Au Cap, en Afrique du Sud, des architectes ont transformé un silo à grains vétuste en un vibrant musée d’art contemporain et hôtel luxueux.
Pour célébrer ses 26 ans, le Sud-Africain Samuel Mohaleamalla avait un programme chargé : faire un tour dans la Cape Wheel, la grande roue emblématique du Cap, grimper au sommet de la montagne de la Table, qui s’élève au centre de la ville, et visiter le Zeitz Museum of Contemporary Art Africa (MOCAA), le tout nouveau musée d’art contemporain aménagé dans un ancien silo à grains. « J’en rêve depuis l’ouverture, dit-il. Je n’ai jamais rien vu de tel. Au premier coup d’œil, on sait que quelque chose d’intéressant nous attend à l’intérieur. »
Il n’a pas tort. Le bâtiment, visible des quatre coins de la ville, pique la curiosité. Planté au cœur du V&A Waterfront, secteur portuaire et touristique bourdonnant d’activité, ce silo devenu musée et hôtel ne ressemble à aucun autre. Sa base de béton, haute, massive et austère, est surmontée d’une structure quadrillée d’apparence légère ornée de vastes fenêtres bombées.
Un air de cathédrale
Les environs immédiats, où se trouvait jadis un stationnement étagé, ont été complètement dégagés. « Nous voulions donner à l’endroit des airs de square européen », dit l’architecte Lloyd Rubidge, du cabinet capétonien Van der Merwe Miszewski Architects, qui s’est chargé entre autres des plans d’exécution, des devis techniques et de la supervision des travaux de conversion de ce silo datant du début des années 1920. « L’édifice, ajoute l’architecte, rappelle une cathédrale avec sa place publique autour. »
Dès qu’on met le pied à l’intérieur, le regard se lève. Non pas vers un Christ en croix, mais vers le résultat de la prodigieuse transformation du lieu, imaginée par l’architecte britannique Thomas Heatherwick. Droit devant, 12 des 42 silos d’origine, hauts comme un édifice de 10 étages, ont été coupés et sculptés jusqu’à devenir de longues alcôves tubulaires faisant penser aux tuyaux d’un grand orgue. « Je voulais exposer ces silos, rendre ce lieu impressionnant, commente Thomas Heatherwick dans le guide audio consacré à l’architecture du musée. Pour ce faire, je me suis inspiré des milliards de grains en provenance de toute l’Afrique qui ont été entreposés ici au fil des décennies. Nous avons numérisé un grain de maïs et en avons sculpté une forme, que nous avons ensuite reproduite à l’échelle des silos. »
Cet atrium donne le ton à ce qui attend les visiteurs du musée : un art qui secoue, jamais banal, totalement affranchi des traditions. Ici, pas de place pour les masques et les statuettes de bois vendus dans les boutiques de souvenirs. Pas de place, en fait, pour l’ordinaire. Et la règle s’applique aussi à l’édifice.
Intervention chirurgicale
Les 30 silos qui se trouvaient à l’intérieur du bâtiment ont pratiquement tous été démolis pour permettre l’aménagement des salles d’exposition. Seule la surface externe de ceux situés en périphérie a été conservée. Les architectes s’en sont servis non seulement pour préserver le look industriel du lieu, mais aussi pour y ancrer les poutrelles d’acier qui soutiennent les planchers des cinq étages du musée.
Au total, 75 % du béton qui composait la structure d’origine a été retiré – et recyclé – , ce qui fait dire à David Green, PDG du V&A Waterfront, que la reconversion de ce vieux silo à grains – abandonné aux pilleurs, aux vandales et aux goélands depuis 1994 – « n’était pas tant un travail de construction que de…déconstruction ».
Cela dit, on ne taille pas comme on veut dans un tube fait de béton quasi centenaire. Il fallait d’abord solidifier l’ouvrage, ce qu’on a fait en coulant une nouvelle couche de béton d’une trentaine de centimètres d’épaisseur le long des parois internes des silos. « On éliminait ainsi le risque qu’ils implosent au moment des travaux », explique Lloyd Rubidge. Une fois la structure renforcée, le travail de retrait du béton pouvait commencer. Il s’est étiré sur deux ans.
Mis à part l’atrium du hall d’entrée et l’étage supérieur du bâtiment, où ont été aménagés une terrasse extérieure et un restaurant, la centaine de salles d’exposition du Zeitz MOCAA n’ont pas la moindre fenêtre. « L’objectif était de laisser toute la place aux œuvres », précise Lloyd Rubidge. En effet, les vues de l’extérieur auraient sans doute détourné l’attention des visiteurs. Pour les admirer, il faut plutôt se rendre sur la terrasse. D’un côté, la montagne de la Table, emblème naturel de la ville, et de l’autre, l’océan Atlantique et ses phoques qui batifolent entre les bateaux de pêche. Au large, Robben Island, l’île où Nelson Mandela et d’autres prisonniers d’opinion ont été incarcérés pendant des années, au temps de l’apartheid.
Inspirer Montréal
L’ancien silo abrite aussi un hôtel dont le raffinement laisse pantois. Quatre étages de vastes chambres et de suites ultramodernes et abondamment fenestrées, dont les plus chères se louent 180 000 rands la nuit, soit 17 200 $… Qui peut bien avoir les moyens de dormir ici ? « Les Elton John et les Justin Bieber de ce monde », dit Mark Noble, directeur du développement du V&A Waterfront.
Le musée, lui, est beaucoup plus accessible. L’entrée y est même gratuite les mercredis matin pour les résidents des pays africains. Les moins de 18 ans, eux, y entrent gratuitement en tout temps, africains ou non.
Tous ces travaux de restauration, réalisés en partenariat public-privé, ont coûté l’équivalent de 50 M$. Très vite, le musée a attiré les foules. Un an après son ouverture, en septembre 2017, plus de 300 000 personnes avaient déjà franchi les tourniquets. C’est presque autant que Robben Island et ses 400 000 visiteurs annuels.
À leur sortie du musée, les Californiens Phillip Musikanth et Kerry Flowers peinaient à mettre en mots ce qu’ils venaient de voir. « Les œuvres présentées dans ce musée nous ont beaucoup émus. C’est tellement moderne, pas du tout ethnique. Et que dire de l’édifice ! À lui seul, c’est une œuvre d’art ! » ont-ils fait remarquer.
Un commentaire qui a une résonance avec les propos de l’architecte Lloyd Rubidge, qui n’hésite pas à qualifier le Zeitz MOCAA de plus grande réalisation architecturale d’Afrique, « mais je suis un peu subjectif », avoue-t-il.
Curieux, il savait déjà avant notre rencontre qu’il existe, dans le Vieux-Port de Montréal, un certain silo no 5 qui attend qu’on lui donne une nouvelle vie. « Si jamais Montréal cherche un bureau d’architectes pour travailler à sa transformation, nous sommes disponibles ! » lance-t-il dans un éclat de rire…