Salle multifonctionnelle Katittavik, Kuujjuarapik (Canada), Blouin Orzes architectes Photo : Blouin Orzes architectes
Salle multifonctionnelle Katittavik, Kuujjuarapik (Canada), Blouin Orzes architectes
Photo : Blouin Orzes architectes

Au Québec comme ailleurs dans le monde, des architectes allochtones ont le défi de concevoir des bâtiments pour des communautés autochtones, ce qui les plonge au cœur de cultures qu’il leur faut apprendre à connaître. Voici une salle multifonctionnelle, un centre culturel, des maisons modèles et même un parlement qui illustrent ces démarches.

La salle multifonctionnelle Katittavik

Diffuser la culture inuite

Salle multifonctionnelle Katittavik, Kuujjuarapik (Canada), Blouin Orzes architectes Photo : Blouin Orzes architectes
Salle multifonctionnelle Katittavik, Kuujjuarapik (Canada), Blouin Orzes architectes
Photo : Blouin Orzes architectes

Pendant trois ans, Blouin Orzes architectes a travaillé étroitement avec l’Administration régionale Kativik et les membres de la communauté inuite de Kuujjuarapik, au Nunavik, afin de peaufiner ce projet, prévu initialement comme un espace communautaire, mais qui est devenu une véritable salle multifonctionnelle vouée aux arts de la scène et aux rassemblements à l’occasion de grandes fêtes. 

L’investissement de la firme dans ce projet est allé bien au-delà des questions architecturales, selon l’architecte Marc Blouin, qui a par ailleurs remporté le prix Engagement social 2020 de l’OAQ pour son travail avec les communautés autochtones (voir « Marc Blouin : Le cœur au Nord », Esquisses, vol. 31 n2, automne 2020). Son équipe a participé tant aux demandes de financement qu’à la formation des techniciens et techniciennes de scène, de même qu’à la création d’un manuel illustré pour l’exploitation du bâtiment.

« Ce projet a constitué pour nous une réelle immersion dans la culture inuite et une sensibilisation à l’importance, pour la communauté de ce village nordique de 700 personnes, de se doter d’un équipement qui lui permettra de conserver et de diffuser cette culture, témoigne aujourd’hui Marc Blouin. Nous aimons l’idée de voir notre travail dans le Grand Nord comme une expédition, à la rencontre d’un peuple d’une résilience hors du commun. Nous nous sommes questionnés sur le rôle que pouvait jouer l’architecte pour un peuple nomade devenu sédentaire. C’est par l’accompagnement des communautés dans leur vie au quotidien dans les villages, dans une recherche d’équilibre avec leurs pratiques traditionnelles et leur culture, que nous avons trouvé des pistes de réponse à cette question. »

Inauguré en 2017, le bâtiment de 680 m2 pouvant accueillir 300 personnes joue d’audace avec ses revêtements extérieurs qui font écho au paysage du Nunavik. Le bois peint jaune ocre évoque la dune sur laquelle est assis le bâtiment, tandis que le revêtement métallique à baguettes, avec sa finition argentée, peut se fondre avec le ciel ou la neige. Une manière, selon l’archi­tecte, d’intégrer subtilement la construction à son environ­nement et d’assurer sa durabilité, tout en respectant le budget de 4,2 M$.

« Le projet a été réalisé pour 3,8 M$ », souligne-t-il, ajoutant que les fonds dégagés seront transférés à la seconde phase du projet : la restauration de l’église anglicane St. Edmund adjacente. Construite en 1879, elle est l’un des plus anciens bâtiments du Nunavik. La collaboration se poursuit donc.

Salle multifonctionnelle Katittavik, Kuujjuarapik (Canada), Blouin Orzes architectes Photo : Blouin Orzes architectes
Salle multifonctionnelle Katittavik, Kuujjuarapik (Canada), Blouin Orzes architectes
Photo : Blouin Orzes architectes

Maisons innues pour la communauté d’Uashat Mak Mani-utenam

Un projet-pilote sur la Côte-Nord

Maison innue (modèle A), Uashat Mak Mani-utenam, DMG Architecture Illustrations : DMG Architecture
Maison innue (modèle A), Uashat Mak Mani-utenam, DMG Architecture
Illustration : DMG Architecture

En 2022, deux maisons modèles destinées à la communauté d’Uashat Mak Mani-utenam, près de Sept-Îles, seront construites après des années de démarches. La genèse de ce projet remonte à 2003, explique André Casault, professeur à l’École d’architecture de l’Université Laval. Quatre prototypes de maisons abordables et durables, adaptées au mode de vie innu nord-côtier, avaient alors été imaginés par des étudiantes et des étudiants à la maîtrise en collaboration avec des membres de la communauté. 

« C’était tout un processus participatif », décrit le professeur titulaire, qui s’est donné pour mission « d’enseigner aux futurs architectes à intervenir dans le respect et la compréhension de l’autre ». Élaborés au fil de plusieurs rencontres avec les membres de la communauté innue et en tenant compte de leurs besoins, de même que de leurs réalités économiques et démographiques, ces concepts à aire ouverte « sortaient des sentiers battus », avec des propositions comme un plafond cathédrale ou un atelier trois saisons adjacent au bâtiment principal. 

À la lumière d’une nouvelle étude de marché menée à l’automne 2020, à l’initiative de Nakoma Jourdain, l’actuel directeur de l’habitation, des immobilisations et des infrastructures de l’Innu Takuaikan Uashat Mak-utenam (ITUM), deux habitations inspirées de ce projet de recherche-création sortiront finalement de terre l’année prochaine, près de 20 ans après les premiers coups de crayon. 

Les plans sont actuellement revus par une équipe d’experts et d’expertes, dont l’architecte Annie Gosselin de DMG Architecture et Serge Bouchard, formateur itinérant en habitation au conseil tribal Mamuitun, afin de répondre aux demandes de la communauté, qui voulait entre autres augmenter le nombre de chambres à coucher et mieux relier l’atelier (devenu entre-temps une pièce multi­fonction) à la pièce principale de la maison.

Chose certaine, puisque l’aspect écologique constituait une préoccupation importante à Uashat, les maisons innues répondront aux exigences du programme Novoclimat et devraient recevoir la certification LEED, selon Serge Bouchard. Par exemple, l’installation d’une thermopompe réduira consi­dérablement la consommation d’électricité. Côté matériaux, on souhaite miser sur la durabilité et sur le potentiel de recyclage. L’utilisation d’un revêtement de bois et celle d’une toiture en métal ou en bardeaux de caoutchouc recyclé en sont des exemples.

« Ce projet-pilote va bien au-delà de la construction, souligne le formateur. On vise en plus à démontrer aux membres de toutes les communautés [autochtones] du pays qu’il est possible de construire des maisons à leur image, à la fois écologiques et abordables. »


Note : Nous présentons ici en images une seule des deux maisons innues qui seront construites à Uashat Mak Mani-utenam. Le modèle A, illustré ci-contre, sera toutefois agrandi afin d’ajouter une chambre à coucher supplémentaire au rez-de-chaussée. Au moment de mettre sous presse, une équipe de DMG Architecture, en collaboration avec des étudiantes et étudiants de l’Université Laval, travaillait toujours aux modifications des plans du second modèle en fonction des commentaires des membres de la communauté.

Sametinget – Parlement sami

Matérialiser la démocratie samie

Sametinget – Parlement sami, Karasjok (Norvège), Stein Halvorsen Arkitekter et Christian Sundby (première phase) Photo : Stein Halvorsen Arkitekter
Sametinget – Parlement sami, Karasjok (Norvège), Stein Halvorsen Arkitekter et Christian Sundby (première phase)
Photo : Stein Halvorsen Arkitekter

Depuis 20 ans, le peuple sami de Norvège du Nord a un parlement à son image. Le bâtiment conçu par Stein Halvorsen et Christian Sundby évoque la forme d’une lávvu (ou tente samie), symbole du mode de vie nomade de ce peuple autochtone de Scandinavie.

Trouver la bonne manière de refléter la culture de ce peuple représentait cependant un défi de taille, convient Stein Halvorsen. « Il n’existait aucun exemple de grand bâtiment, et encore moins de parlement, dans la culture samie », explique-t-il. L’architecte et son collègue Christian Sundby se sont néanmoins inspirés de la tradition architecturale samie pour imaginer les plans en demi-cercle qui leur ont permis de remporter, en 1996, le concours international organisé par le gouvernement norvégien visant à doter Karasjok, la capitale samie, d’un édifice hautement significatif.

Aujourd’hui, le vaste parlement de 5300 m2 – qui abrite aussi une bibliothèque et des archives – ne détonne pas au milieu des forêts de conifères de la région. D’ailleurs, son revêtement de bois grisonnant, du mélèze de Sibérie, rappelle les maisons traditionnelles. « J’aime les matériaux utilisés, et aussi son architecture, affirme la présidente du Parlement sami de Norvège, Aili Keskitalo. Il est ouvert, lumineux et chaleureux. »

Sametinget – Parlement sami, Karasjok (Norvège), Stein Halvorsen Arkitekter et Christian Sundby (première phase) Photo : Stein Halvorsen Arkitekter
Sametinget – Parlement sami, Karasjok (Norvège), Stein Halvorsen Arkitekter et Christian Sundby (première phase)
Photo : Stein Halvorsen Arkitekter

« En faisant un clin d’œil subtil à la culture samie, le bâtiment est devenu un symbole de notre démocratie. Il est très apprécié localement, même si certains ont fait remarquer qu’il semblait inachevé en raison de la structure visible », témoigne-t-elle.

Centre culturel Te Oro

Conception collaborative

Centre culturel Te Oro, Glen Innes (Nouvelle-Zélande), Archimedia Photo : Patrick Reynolds
Centre culturel Te Oro, Glen Innes (Nouvelle-Zélande), Archimedia Photo : Patrick Reynolds

Situé à Glen Innes, en banlieue d’Auckland, où habitent de nombreux membres de la communauté maorie néo-zélandaise (ou tangata whenua, comme ils et elles se désignent eux-mêmes et elles-mêmes), le centre culturel Te Oro se caractérise par son architecture inspirée d’un bosquet d’arbres jouxtant un sentier vers le fleuve Tamaki tout proche. De l’idéation à l’inauguration en 2015, il a fallu 20 ans pour mener à terme ce projet imprégné des principes de design maoris.

« Te Oro fait référence à des architectures traditionnelles locales et issues des îles du Pacifique, mais il ne s’agit pas d’un bâtiment maori », nuance Lindsay Mackie, architecte responsable du projet pour le compte de la firme néo-zélandaise Archimedia. Autrement dit : son style ne s’inspire pas direc­tement de constructions traditionnelles maories.

Centre culturel Te Oro, Glen Innes (Nouvelle-Zélande), Archimedia
Photos : Patrick Reynolds

Le bâtiment a cependant été imaginé de pair avec la communauté maorie et des usagers et usagères de tous horizons. Le gouvernement local et des artistes autochtones dont les œuvres ornent le bâtiment ont également pris part à la conception. Cette collaboration a entre autres permis de définir les formes du bâtiment : « Les deux volumes sont orientés de façon que les 256 panneaux solaires photovoltaïques béné­ficient d’un maximum d’exposition, donnant lieu à un bâtiment à la géométrie complexe et sculpturale », explique Lindsay Mackie. 

Ce processus de conception collaborative a été « couronné de succès », selon le bureau du design du Auckland Council, qui le cite dans son manuel de design. « Le processus a été complexe, long et parfois difficile, mais il a permis de créer un projet riche et significatif dans une zone historiquement dépourvue d’infrastructures sociales et culturelles », y lit-on. 

Grâce à son architecture complexe et étudiée qui se démarque dans le paysage urbain, « Te Oro établit une nouvelle norme pour les bâtiments publics dans le quartier en mettant en évidence l’importance de fixer des objectifs ambitieux sans succomber aux options faciles et bon marché », soutient l’Auckland Council.