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Certaines firmes d’architectes se contentent de livrer leur bâtiment, d’autres effectuent un sondage de satisfaction auprès du client après coup. Mais, à proprement parler, les évaluations post-occupation (ÉPO) en sont à leurs balbutiements au Québec.

Illustration: Marie-Eve Tremblay, colagene.com

Chez Éric Painchaud Architecte et associés, une firme de Chicoutimi possédant également un bureau à Terrebonne, les suivis post-occupation font partie de la gamme de services offerts. « Environ un mois après la fin d’un chantier, après avoir passé en revue la liste des travaux à corriger avec l’entrepreneur, effectué notre contrôle de qualité et livré le bâtiment au client, nous évaluons la satisfaction de notre clientèle, par téléphone », indique Sonia Simard, architecte associée.

André Potvin, professeur titulaire à l’École d’architecture de l’Université Laval, salue les architectes qui se donnent la peine d’interroger ainsi leurs clients. « Il ne faut pas diminuer l’importance de cette initiative, mais il serait souhaitable que ce soit intégré de façon formelle dans un système d’accréditation et effectué de façon systématisée par une tierce partie. »

André Potvin a fait ses études postdoctorales en architecture à l’Université de Cambridge, au Royaume-Uni, là où est née la philosophie qui sous-tend les évaluations post-occupation – soit ce processus rigoureux d’évaluation d’un bâtiment visant à analyser l’expérience vécue par les occupants et le rendement des systèmes mis en place. En Amérique du Nord, selon lui, l’importance de mesurer la performance énergétique des bâtiments est bien comprise, alors que sonder les usagers semble moins prioritaire. « Je rappelle souvent à mes étudiants qu’on ne construit pas des bâtiments pour économiser de l’énergie de prime abord, mais pour y loger des gens dans les meilleures conditions de productivité et de bien-être possible. Ça, les Européens l’ont compris depuis 30 ans. »

Il ajoute tout de même que les ÉPO commencent à émerger aux États-Unis et au Canada, ce que confirme un rapport d’expertise publié en 2015 par la firme Skidmore, Owings & Merrill de Chicago. Le document établit que plus de la moitié des firmes interrogées (soit 29 chefs de file en design durable aux États-Unis et au Canada) effectuent des ÉPO au moins à l’occasion et que presque toutes aimeraient le faire pour la majorité de leurs projets dans un avenir proche.

Remettre l’usager au cœur de la démarche

Alors qu’il semble y avoir mille et une façons de réaliser une ÉPO, ce qui importe le plus, selon André Potvin, c’est de mener la démarche à partir d’un questionnaire reconnu, calibré et pondéré. Le professeur en cite deux : la méthode BUS (Building Use Studies), originaire du Royaume-Uni et considérée comme « la mère des méthodes d’évaluation en matière d’ÉPO », ainsi que le IEQ Survey (Occupant Indoor Environmental Quality Survey) du Center for the Built Environment (CBE) de l’Université Berkeley, aux États-Unis, qui s’inspire du BUS, mais qui s’applique au contexte nord-américain.

« Les questions sont semblables dans les deux systèmes. Dans le BUS, par exemple, il y a 45 variables regroupées sous 12 indicateurs. On obtient notamment la vision des usagers par rapport à leur manière de se comporter et d’habiter l’espace. »

Des réticences

Évaluer la satisfaction des usagers comporte toutefois des écueils, en particulier pour les architectes. Lorsqu’il est question de se démarquer en tant qu’entreprise performante, il est facile de vanter ses réussites. Par contre, personne ne veut s’afficher quand il s’agit d’un échec.

Dans un projet de construction, la mauvaise communication entre les différents acteurs mène parfois à des écarts par rapport au résultat escompté, comme le rapporte une architecte souhaitant garder l’anonymat. « Il y a une grosse part de gestion dans notre travail, ça va vite, on communique par courriels, il faut régler des problèmes en urgence. Bref, entre ce que le client voulait au départ et le produit final, plein de problèmes peuvent survenir. C’est parfois tellement chaotique qu’il ne sera pas question de faire de suivi de satisfaction après la livraison du bâtiment pour certains clients, car on sait qu’ils ne seront pas contents du résultat. »

En tant que membre du Groupe de recherche en ambiances physiques de l’Université Laval, André Potvin avait émis l’idée, il y a plusieurs années, de mettre sur pied une banque de relevés post-occupation du bâtiment canadien. « L’ensemble des concepteurs aurait pu consulter cette banque, mais contrai­rement à plusieurs domaines scientifiques où l’on apprend des recherches des autres pour avancer, en architecture, cette approche d’amélioration continue n’est pas courante », explique le chercheur, qui n’a finalement pas concrétisé son projet faute de subvention.

Une volonté d’agir

Questionnée sur ses pratiques, la Société québécoise des infrastructures (SQI) indique qu’elle effectue différents suivis post-construction après la livraison de ses nouveaux immeubles. Cette démarche, mise en place au début des années 2000, s’inscrit dans un « système de management de la qualité » défini par les normes ISO. Il est question, pour les projets de plus de 50 M$, de réaliser un bilan à l’aide d’indicateurs de performance – processus dans lequel les architectes sont intégrés –, de valider la satisfaction de l’organisme client et de l’accompagner dans l’atteinte de différents objectifs de qualité.

Un questionnaire de satisfaction est également utilisé depuis plus de 10 ans auprès des clients de la SQI dans les projets d’aménagement. En 2005, la Société a par ailleurs mis en place un centre d’appels, sorte de guichet unique de réception des demandes de services en lien avec les conditions d’occupation des clients.

« Toutes ces actions s’apparentent aux évaluations post-occupation, c’est-à-dire qu’elles visent des objectifs de suivi de la performance des ouvrages et de la mesure de la satisfaction de la clientèle », indique Nicolas Murgia, conseiller en communication à la SQI.

Du côté du ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS), il est plutôt question de « reddition de compte fonctionnelle ». « L’objectif est le même [que celui des ÉPO] », affirme Céline Drolet, architecte à la direction de l’expertise et de la normalisation, au MSSS.

Cette pratique est déjà prévue quand il s’agit de la réalisation de projets du réseau de la santé et des services sociaux, mais les objectifs et les outils restent à finaliser. « En principe, ces évaluations [seront] effectuées quelque 18 mois après la mise en service des bâtiments, pour permettre aux équipes cliniques et techniques des établissements d’avoir apprivoisé leur nouvel environ­nement, et en faire une appréciation plus juste », ajoute Céline Drolet.

Pour André Potvin, ces démarches sont de bons points de départ, mais il rappelle que les ÉPO portent sur la satisfaction des occupants et sont réalisées par une tierce partie. « De plus, l’ÉPO est un outil innovant, car il permet de refaire l’évaluation lorsque les usagers du bâtiment changent avec les années. Leur satisfaction devient un exercice d’amélioration continue », conclut le chercheur.


Pas juste pour les architectes


D’autres professionnels s’intéressent aussi au suivi post-occupation. C’est le cas des ergonomes.

« Nos analyses post-occupation permettent de corriger le tir dans les bâtiments neufs lorsque l’environnement de travail n’est pas adapté aux travailleurs, explique Patrick Vincent, de Vincent Ergonomie. Ça nous permet de faire ressortir les écarts entre la planification et la réalité. Ça peut être aussi banal qu’un téléphone qui n’est pas facilement accessible sur un bureau, ou une superficie de travail inadéquate pour la tâche à accomplir. L’ergonome met l’accent sur les usagers, développe une compréhension du problème et des solutions, notamment en formant les occupants sur le bon usage des lieux. »

Sa firme offre par ailleurs une expertise en ergonomie de conception architecturale pouvant servir dans le cadre de la certification LEED v4, dont le crédit Innovation et processus de design exige un sondage post-occupation. Certifiée LEED Argent, la bibliothèque Marc-Favreau, à Montréal, en a bénéficié.