Il faut bien le dire, emménager dans une résidence pour personnes âgées ou un CHSLD ne fait pas rêver beaucoup de monde. Les études le montrent : la grande majorité des gens vieillissants souhaitent habiter leur propre domicile le plus longtemps possible, quitte à adapter leur espace. Et quand l’incapacité devient trop lourde, il faut trouver un environnement qui ressemble le plus possible à ce domicile qu’on quitte.
Le phénomène s’accentue avec le vieillissement de la population – le quart des Québécois et des Québécoises aura 65 ans ou plus en 2031*. Il est exacerbé par les lacunes du système des soins offerts aux personnes âgées, que la pandémie de COVID-19 a exposées de manière crue. Il est donc urgent de rendre les milieux de vie propices à une vieillesse digne, saine et stimulante, et pas seulement pour les plus favorisés. Les architectes apportent une contribution essentielle à cette quête, leur compétence consistant justement à penser l’espace sous l’angle de l’expérience humaine. C’est ce que montre le dossier de ce numéro d’Esquisses en explorant divers angles de réflexion.
Maisons multigénérationnelles, adaptabilité des logements, Maisons des aînés… Des formules variées sont en train d’être mises au point au Québec, mues par la nécessité de pallier la perte d’autonomie et de contrer l’isolement. Les besoins sont multiples, complexes, particuliers, et les solutions vont à l’avenant.
L’espace résidentiel dont on parle beaucoup dans ce numéro ne réglera pas tout : la conception des lieux publics doit aussi évoluer de manière à inviter et à accueillir des gens de tous âges. En plus du maintien à domicile, il faut tendre vers le « maintien en société ».
En participant à ce questionnement de société, les architectes témoignent de la vitalité de leur profession. Dans cette démarche collective, leur point de vue et leur expertise contribuent à faire émerger une vision globale intégrant le bien-être des personnes, les soins qui leur sont prodigués et la qualité du cadre bâti, où, immanquablement, tout se vit. Cet apport des architectes s’apparente ainsi un peu à ce qu’on attend d’un bon processus de design intégré, appliqué à un projet qui va bien au-delà de leur champ de pratique. D’ailleurs, les architectes ne font pas ici qu’intervenir en concevant des solutions construites, ils auront eux aussi à utiliser ces solutions à plus ou moins long terme.
Prendre le temps de bien faire
En lançant le projet des Maisons des aînés, en 2019, le gouvernement a vu juste en cherchant à humaniser les conditions de vie des personnes âgées vivant en institution. Or, pour répondre à l’engagement de livrer 2600 places avant septembre 2022, la Société québécoise des infrastructures a dû commander une documentation type pour 30 Maisons des aînés, plutôt que de traiter un établissement à la fois.
Il faut laisser au temps le soin de faire son œuvre. Surtout quand les semaines de réflexion supplémentaires permettent d’améliorer pendant des années et de manière sensible la qualité de vie des personnes pour qui on conçoit ces projets.
Je comprends l’urgence d’agir et je comprends aussi que la répétition de projets nécessitant un minimum d’adaptation est très avantageuse au regard du calendrier. Par contre, un projet qui se veut reproductible comporte un risque : celui d’oublier le contexte d’insertion physique et social qui commande des solutions adaptées et spécifiques.
Malgré la très grande qualité des réflexions en cours, il nous faut souhaiter qu’elles n’entraînent pas une multiplication de normes qui en viendraient inévitablement, à force de répétition, à banaliser des espaces qu’on voulait tous stimulants.
Il faut laisser au temps le soin de faire son œuvre. Surtout quand les semaines de réflexion supplémentaires permettent d’améliorer pendant des années et de manière sensible la qualité de vie des personnes pour qui on conçoit ces projets.
Mais aussi, il reste dommage que ces réflexions nécessaires sur les maisons des aînés – comme celles sur les écoles d’ailleurs – ne se fassent pas sous l’égide de la Stratégie québécoise de l’architecture, qui aurait le potentiel de mieux les encadrer. Cette Stratégie, tout autant nécessaire, et qui a suffisamment profité du temps pour s’affiner, est presque prête et n’attend qu’un peu d’encre pour être imprimée…**
Les bâtiments, rappelons-le, doivent servir plus qu’une génération, et l’urgence climatique accentue cet impératif de pérennité.
Après tout, bien vieillir, ça vaut non seulement pour les humains, mais aussi pour les lieux où ils vivent.
* La version imprimée de ce texte indique « … le quart des Québécois et des Québécoises aura plus de 75 ans en 2029 », ce qui est erroné. Mes excuses. Au moins, cette version corrigée nous fait collectivement rajeunir de 12 ans !
** Ce paragraphe ne figure pas dans la version imprimée.