Planifier des réparations à un bâtiment avant que les coûts ne dépassent ceux de la démolition et de la reconstruction : un exercice indispensable qui ne s’improvise pas.
Un système électrique qui ne répond plus aux normes, un revêtement mural qui s’écaille, des infiltrations d’eau… Voilà des signes de vétusté qu’il faut corriger pour maintenir un bâtiment en bon état à long terme. Car si rien n’est fait, la dégradation aura forcément des impacts négatifs sur d’autres composantes. Passé un certain point, un dilemme se pose : vaut-il mieux investir dans la remise en état du bâtiment ou le reconstruire à neuf ? D’où l’intérêt d’en mesurer le niveau de vétusté afin de prioriser les réparations et les remplacements à effectuer, en évaluer les coûts et, ainsi, prendre les décisions qui s’imposent.
Faire le bilan de santé
Pour déterminer les interventions à effectuer, il convient d’établir le bilan de santé* du bâtiment et de réaliser ce que Michel Brière, architecte, conseiller en gestion d’actifs immobiliers chez Planifika, qualifie de « chasse aux déficiences ».
« On inspecte les planchers, les murs, le système électrique, les gicleurs, l’entrée d’eau, les ascenseurs… Si on mettait le bâtiment à l’envers, on inspecterait tout ce qui ne tombe pas », illustre Karine Faucher-Lamontagne, architecte associée, cheffe de pratique en planification immobilière chez STGM.
« Il faut faire le tour de tous les composants du bâtiment pour dresser un inventaire des besoins en travaux », poursuit Jean-Pascal Foucault, professeur-chercheur à l’Université de technologie de Compiègne, en France, diplômé et ex-chargé de cours à Polytechnique Montréal et fondateur de tbmaestro, une entreprise franco-québécoise spécialisée en gestion d’actifs physiques. Les différents composants sont examinés visuellement à l’aune de leur durée de vie utile. « On regarde dans quel état ils sont, combien d’années de vie utile il leur reste afin de prévoir à quel moment il faudra les changer », explique Karine Faucher-Lamontagne.
Une dégradation prématurée peut survenir en raison de conditions environnementales comme la pollution ou du manque d’entretien, estime Karine Faucher-Lamontagne. Par ailleurs, « il n’y a pas de lien de causalité entre l’âge et la vétusté », précise Jean-Pascal Foucault.
En effet, les bâtiments récents utilisant les dernières technologies risquent l’obsolescence ou la désuétude accélérée par rapport aux anciens bâtiments construits selon des techniques plus simples, éprouvées par le temps.
Prioriser les interventions
Le Conseil du trésor a établi des directives pour évaluer la vétusté des édifices gouvernementaux et prioriser les interventions.
Les bilans de santé se limitent généralement aux travaux à faire dans un horizon de cinq ans. Certains des problèmes relevés requièrent des correctifs immédiats, tandis que d’autres pourront être corrigés dans les deux à cinq années qui suivent.
Les défauts, défaillances et dégradations sont également classés selon la gravité de leurs conséquences sur le bâtiment et les personnes. Celle-ci se décline en cinq catégories d’impacts : la santé et la sécurité, l’intégrité du bâtiment, la qualité du service, l’esthétique et le confort. Des carreaux de plafond qui menacent de tomber ne seront pas jugés du même niveau de gravité que la dégradation d’un revêtement mural. Les interventions se voient alors attribuer un coût ainsi qu’une cote de priorité qui associe la catégorie d’impact à un échéancier de remise en état.
L’indice de vétusté physique
Ces coûts représentent ce que Jean-Pascal Foucault appelle la « perte de valeur d’usage ». Ils sont comparés à la valeur actuelle de remplacement pour calculer l’indice de vétusté physique (IVP)*. « Ainsi, si la valeur de remplacement est de 10 M$ et que les travaux sont estimés à 1 M$, la perte de valeur d’usage est de 10 %, et l’IVP est de 10 % », explique-t-il.
L’IVP se décline en cinq cotes, de A à E. Entre 0 et 5 %, le bâtiment est jugé en très bon état et reçoit la cote A. Il reçoit une cote B lorsqu’il se situe entre 5 et 10 % (bon état), une cote C entre 10 et 15 % (état satisfaisant), une cote D entre 15 et 30 % (mauvais état). Au-delà de 30 %, le bâtiment reçoit la cote E et il est jugé en très mauvais état.
« Dans les 5 à 15 %, on retrouvera, par exemple, des fenêtres qui ferment mal, illustre Jean-Pascal Foucault. Dans les 15 à 30 %, la dégradation physique s’accélère avec un effet d’enchaînement : la toiture coule, l’eau s’infiltre dans les murs et entraîne la dégradation des briques. »
Dans le secteur public, le déficit de maintien* d’actifs correspond généralement aux cotes D et E. Dans ce cas, les sommes nécessaires pour réaliser les travaux énumérés dans le bilan de santé ont fait défaut et des travaux qui auraient dû être faits sont en attente. « Voilà pourquoi il y a actuellement deux grandes enveloppes budgétaires, une pour le maintien courant des actifs et une autre pour la résorption du déficit de maintien d’actifs », dit Michel Brière.
Quand vient le temps de décider de la démolition d’un immeuble, la vétusté n’est cependant pas le seul critère. Outre l’IVP, qui mesure la dégradation, il faut aussi tenir compte de la fonctionnalité et de la conformité, qui font l’objet d’autres analyses et peuvent faire augmenter le coût des travaux. Par ailleurs, la valeur patrimoniale justifie parfois l’investissement de sommes importantes, car, comme le fait remarquer Michel Brière, les bâtiments patrimoniaux ont parfois un IVP supérieur à 100 %.
Et le privé ?
Si le gouvernement du Québec a établi des directives pour son parc immobilier, la mesure de la vétusté est à géométrie variable dans le secteur privé. « Il y a vraisemblablement une grande variabilité dans la façon dont les organisations privées “connaissent” ou analysent leurs actifs dans le détail », croit Michel Brière. Un exemple classique est le fonds de prévoyance des immeubles de copropriété, qui n’est pas toujours à la hauteur des besoins.
Or, la saine gestion implique une bonne maîtrise du maintien des actifs.
* Voir « Petit lexique du maintien des actifs ».
L’expertise et les outils
Réaliser le bilan de santé d’un bâtiment est un examen multidisciplinaire qui nécessite les compétences de l’architecte et une expertise en génie. « Une bonne pratique est d’être accompagné par les employés des services techniques, qui connaissent le bâtiment et le fréquentent à longueur d’année, recommande Karine Faucher-Lamontagne. Ils peuvent nous dire que l’été, il fait chaud à tel endroit ou que, chaque printemps, il faut repeindre le corridor parce qu’il y a des coulisses d’eau. Cela nous donne des indices. »
Pour mener à bien ce travail minutieux, il existe des plateformes technologiques comme VFA, de l’entreprise Gordian, ou Maximo, d’IBM. STGM en a essayé plusieurs, mais a finalement opté pour un fichier Excel maison. Planifika, de son côté, a développé son propre logiciel.
Quant au BIM 7D, qui traite de l’exploitation du bâtiment, son emploi est encore embryonnaire. « BIM est utilisé de façon relativement efficace en conception et construction, mais en phase d’exploitation, les personnes qui récupèrent le BIM ne sont pas bien formées pour l’utiliser », observe Jean-Pascal Foucault. « Les gestionnaires d’immeubles ont beaucoup de difficulté à mettre les données à jour », renchérit Michel Brière. Et même si une notification avertit de changer le chauffe-eau dans cinq ans, ce n’est pas un logiciel qui dira si la dégradation est accélérée ou non, ajoute Karine Faucher-Lamontagne.