Dans la conception d’un centre de données, les considérations techniques l’emportent sur les préoccupations esthétiques. On parle après tout d’intégrer l’équivalent de la capacité énergétique d’une petite ville dans un seul bâtiment ! L’architecte Stéphane Carrière, vice-président de COHÉSIO Architecture, en a fait sa spécialité.
Les infrastructures physiques de notre monde numérique n’ont plus de secrets pour Stéphane Carrière. Au début de sa pratique, il y a plus de 25 ans, l’architecte a reçu des mandats pour repenser les salles mécaniques vétustes de certains édifices du centre-ville de Montréal. À force de travailler ces aspects techniques en équipe avec des ingénieurs, il a attrapé la piqûre et s’est intéressé de plus en plus à l’intégration d’équipements technologiques de pointe, une spécialisation qui demeure rare au Québec.
« Ce ne sont jamais de petits projets, lance-t-il. On dispose de budgets de 10 à 20 M$ pour concevoir des intégrations de génératrices et d’équipements de refroidissement requis pour faire fonctionner un centre de données. » Son intervention au 1250, boulevard René-Lévesque Ouest, à Montréal, en 2014, en constitue un bon exemple. Stéphane Carrière et son équipe ont dû tripler la capacité électrique et de refroidissement de ce gratte-ciel de 47 étages – la deuxième plus haute tour de Montréal. « Pour un locataire en informatique, on a introduit cinq groupes électrogènes et huit énormes unités de climatisation, décrit-il. Tout cela, sans engendrer d’impact visuel important sur cet édifice de prestige. »
Une équipe interdisciplinaire

L’architecte spécialisé en centres de données travaille en étroite collaboration avec des ingénieurs ou ingénieures. « L’organisation logique des espaces doit avant tout tenir compte de la performance technique des équipements, du cheminement de l’électricité et de la chaleur », précise Stéphane Carrière.
D’ailleurs, ajoute-t-il, l’équipe de conception d’un centre de données n’est pas complète sans l’apport d’un intégrateur ou d’une intégratrice de technologies, rôle souvent joué par une ingénieure ou un ingénieur ou encore un ou une spécialiste du matériel informatique. Cette dernière personne assure la coordination du projet, de sa planification à l’aménagement de l’espace.
Aucun détail ne doit être laissé au hasard. Les appareils, parfois « gros comme des autobus », requièrent non seulement une structure robuste capable de supporter leur poids – de 5000 à 15 000 kg –, mais aussi des installations électriques d’une capacité de 5 à 25 mégawatts (MW). « Certains pensent que ce n’est qu’un entrepôt qui consomme beaucoup d’électricité, dit Stéphane Carrière, mais les centres de données les plus gros et les plus performants ont la capacité électrique d’une petite ville, soit environ 35 MW. » En guise de comparaison, la traditionnelle tour de bureaux de quelque 50 000 m2 consomme environ 5 MW, calcule-t-il.
Des normes strictes
« Pour un concepteur, c’est un défi », concède l’architecte. Afin d’approfondir ses connaissances techniques et de « parler la même langue » que les autres intervenants et intervenantes du secteur, Stéphane Carrière a suivi, en 2007, la formation Accredited Tier Specialist (ATS) de l’Uptime Institute, un organisme de certification américain devenu la référence internationale en matière de normes de construction des infrastructures numériques.
C’est que la conception des centres de données est régie par une panoplie de normes. Ces dernières concernent entre autres la performance électrique, l’incombustibilité, l’inflammabilité, la filtration de l’air, le contrôle de l’humidité, la régulation de la température, et la sécurité. « Si on pense que le Code du bâtiment est normatif, le domaine des centres informatiques l’est encore plus, lance l’architecte. Certains critères de conception sont carrément inspirés des secteurs industriel et militaire. »
Les défis de l’intégration urbaine

Si Stéphane Carrière se réjouit de voir des installations informatiques « de plus en plus sophistiquées », il remarque qu’elles deviennent en revanche « plus volumineuses, plus énergivores et plus bruyantes ». Cela pose des défis de taille dans les villes, où les centres de données sont très souvent implantés afin de se rapprocher de leur clientèle d’affaires. Dans la métropole québécoise, observe-t-il, des contraintes découlent notamment des exigences du comité consultatif d’urbanisme et de la proximité d’immeubles résidentiels.
Un projet à la tour de la Bourse, à Montréal, a ainsi amené COHÉSIO à imaginer un enclos visuel et acoustique sur le toit du bâtiment, intégré à son architecture. Réalisée en 2017, cette installation est destinée à dissimuler « l’équivalent d’un terrain de tennis en équipements mécaniques, soit deux énormes génératrices emboîtées, six unités de climatisation haute performance dédiées, un banc de charge et des réservoirs de compensation, le tout déposé sur une plateforme technique qui transfère les charges à la charpente », énumère-t-il.
Pour toutes ces raisons, « l’architecture de centres de données en est une de discrétion », croit Stéphane Carrière. ●
Le Québec : prisé des multinationales
Le Québec se présente comme un territoire stratégiquement avantageux pour accueillir des projets de centres de données, souligne Investissement Québec. Stéphane Carrière le confirme. Selon lui, au moins 20 installations devraient s’ajouter d’ici 2023 à la quarantaine déjà établies dans la province.
Ce n’est pas pour rien que les Google, Amazon et IBM de ce monde ont opté pour le Québec. « Nous sommes particulièrement bien positionnés pour répondre à la demande grâce à notre situation géographique, à notre climat, à l’abondance d’une électricité fiable, propre et peu coûteuse, à la disponibilité d’une main-d’œuvre qualifiée et au prix abordable du pied carré », énumère l’architecte.