L’architecture et l’urbanisme sont des disciplines clés dans la lutte contre le réchauffement climatique. C’est dans cet esprit que l’organisme sans but lucratif Architecture 2030 a tenu, le 8 septembre dernier, le colloque en ligne CarbonPositive intitulé RESET!, volet nord-américain d’une série d’évènements internationaux. Son objectif : transmettre les meilleures approches pour réduire les émissions de gaz à effet de serre des bâtiments.
Les architectes ne manquent pas d’idées pour aider les sociétés à composer avec les conditions climatiques les plus variées. Cependant, les équipements mécaniques de climatisation, de chauffage ou de contrôle de l’humidité, qui requièrent une énergie souvent de source fossile, ont relégué les réponses architecturales à l’arrière-plan au cours des dernières décennies. Avec à la clé une production élevée de gaz à effet de serre (GES).
« Nous devons retourner aux solutions architecturales vernaculaires que nous avons un peu délaissées au cours des 20e et 21e siècles », a soutenu le conférencier Alfredo Fernández-González, professeur d’architecture à l’Université du Nevada à Las Vegas, lors la présentation intitulée Design with Climate. L’orientation du bâtiment, la disposition des fenêtres, la conception du toit ou encore l’isolation comptent parmi les outils les plus utilisés pour réguler la température et l’humidité des bâtiments sans recourir à une source d’énergie.
Le Rocky Mountain Institute Innovation Center, construit au Colorado selon des plans de ZGF Architects, constitue un exemple d’application des stratégies passives en zone froide. Ce bâtiment certifié LEED Platine est érigé sur un axe est-ouest et comporte de larges façades percées de fenêtres sur la face sud, afin de maximiser le chauffage solaire. Un toit papillon recouvre le tout, et les plafonds s’élèvent davantage près des fenêtres du côté sud. Des volets extérieurs permettent de contrôler la quantité de lumière naturelle qui entre dans le bâtiment, et des ouvertures étroites sur la face nord assurent une ventilation naturelle tout en limitant les pertes de chaleur. Quant à son enveloppe, très isolée, elle permet un changement d’air de 0,36 % par heure, ce qui la rend plus étanche que celle d’un immeuble commercial conventionnel.
Dans un climat plus chaud et humide, on gagne à opter pour des toits épais qui s’étirent au-delà des murs, afin de réduire l’accumulation de chaleur dans l’enveloppe. Tous les climats chauds n’appellent cependant pas les mêmes réponses. Si l’humidité est élevée, séparer les bâtiments devient primordial pour assurer la circulation d’air et favoriser l’évaporation naturelle. Au contraire, dans des zones plus sèches, mieux vaut les regrouper pour créer plus d’ombre.
« Des régions très éloignées, mais qui connaissent des conditions climatiques similaires, comme le sud du Japon ou le Venezuela, ont adopté des approches de construction traditionnelles semblables en raison de leur efficacité », a rappelé Pablo La Roche, directeur du design durable de la firme CallisonRTKL et professeur d’architecture à l’Université d’État polytechnique de Californie à Pomona.
Bâtir des villes résilientes
L’Organisation des Nations Unies (ONU) prévoit que 80 % de la population mondiale habitera dans des villes en 2060. « Les villes constituent de réels écosystèmes, qui vivent très longtemps », a souligné Doug Kelbaugh, professeur d’architecture à l’Université du Michigan, pendant la conférence The Urban Fix . En raison des changements climatiques, elles affrontent aujourd’hui des défis telles les sécheresses et la hausse du niveau des océans.
Sur le plan environnemental, les grandes villes présentent des avantages. Leur empreinte écologique par résident est inférieure à celle des banlieues, où le transport fait exploser les émissions de GES. Elles souffrent toutefois davantage des îlots de chaleur créés par l’abondance de tuyaux d’échappement, de cheminées et de surfaces sombres chauffées par le soleil. En conséquence, elles se réchauffent deux fois plus vite que le reste de la planète.
« Mais nous pouvons déployer des stratégies pour réduire cette chaleur urbaine », selon Doug Kelbaugh. Des sols et des toits plus pâles qui renvoient une partie de la lumière du soleil vers l’espace et des panneaux solaires qui convertissent cette énergie en électricité plutôt qu’en chaleur : de telles approches peuvent donner des résultats concluants en quelques années.
Bien sûr, diminuer le transport automobile permet de faire baisser la portion de la chaleur urbaine qui résulte de la combustion des véhicules. Mais l’une des grandes causes du réchauffement demeure l’utilisation des climatiseurs. En 2050, leur nombre sera passé de 1,2 milliard à 4,5 milliards dans le monde, prévoit un rapport de l’organisme indépendant Rocky Mountain Institute, qui s’intéresse à la transition énergétique.
En plus de réchauffer l’air extérieur en y rejetant la chaleur extraite de l’air des bâtiments, ces appareils constituent la source d’émission de GES qui connaît la plus forte croissance dans tous les pays du globe. En 2050, si la tendance actuelle se maintient, leurs émissions seront 2,5 fois plus élevées qu’en 2016, selon le même rapport. Des constructions mieux planifiées créeraient des environnements plus aérés qui diminueraient le recours à la climatisation, rappelle Doug Kelbaugh.
« Les rues représentent environ 75 % de l’espace public d’une ville, mais leur potentiel de contribution à la performance environnementale demeure très peu utilisé. »
– Harrison Fraker
Pour Harrison Fraker, professeur d’architecture à l’Université de Californie à Berkeley et doyen émérite à l’Université du Minnesota, l’urbanisme doit tenir compte de ces besoins, en privilégiant trois stratégies. La première consiste à penser les aménagements de manière holistique, en tenant compte des bâtiments, du transport, de l’énergie, de l’eau et des déchets. La deuxième vise à améliorer la performance environnementale des espaces publics. Le professeur estime en effet que ces espaces ont beaucoup servi à favoriser les activités sociales et les transports, mais beaucoup moins à purifier l’air, réduire les îlots de chaleur, absorber le CO2 ou accueillir de l’agriculture urbaine. « Les rues, par exemple, représentent environ 75 % de l’espace public d’une ville, mais leur potentiel de contribution à la performance environnementale demeure très peu utilisé », a-t-il déploré. Enfin, la troisième stratégie est de donner du sens à ces espaces partagés, en misant sur leur aspect sensoriel et esthétique.
Se montrer à la hauteur du défi
Carl Elefante, directeur émérite de la firme Quinn Evans Architects et ancien président de l’American Institute of Architects, rappelait lui aussi dans sa présentation intitulée (RE)DESIGN : Repurpose, Re-Skin, Renovate que l’urbanisation se poursuit. « Nos bâtiments [en ville] doivent constituer une partie de la solution en matière de développement durable », concluait-il. En d’autres termes, les édifices doivent passer du rôle de grands émetteurs de GES à celui de moyens privilégiés pour atteindre la neutralité carbone.
Démolir un immeuble pour reconstruire est rarement une bonne approche sur le plan environnemental, en raison de l’empreinte écologique de cette double opération.
L’architecte a souligné que les bâtiments les plus verts demeurent ceux qui existent déjà. Démolir un immeuble pour reconstruire est rarement une bonne approche sur le plan environnemental, en raison de l’empreinte écologique de cette double opération. Il vaut mieux miser sur la réfection des ouvrages existants, d’autant plus qu’ils revêtent souvent une valeur sociale et patrimoniale significative.
Inclure la notion de cycle de vie dans l’évaluation des retombées environnementales d’un projet de rénovation devient crucial dans une optique de développement durable. En effet, les différents composants d’un édifice, tels les finitions, les systèmes mécaniques, électriques et de plomberie (MEP) ou encore la structure, ont tous des cycles de vie différents. Ils présentent également des empreintes carbone variées. « On peut les voir comme des pelures d’oignon, que nous devons étudier attentivement », résumait-il.
Le conférencier offrait l’exemple de The Plaza, à Detroit, un ancien immeuble commercial devenu résidentiel. Les architectes ont réaménagé tout l’intérieur, y compris les systèmes MEP, mais ils ont conservé la structure. Ce geste de préservation de base a permis de limiter de manière importante le carbone intrinsèque du projet, lequel aurait été près de trois fois plus élevé si la structure avait été remplacée.

Convaincu des impacts du cadre bâti sur la vie des gens, Carl Elefante a invité les architectes à faire preuve d’imagination dans leurs interventions sur des ouvrages qui ont besoin d’amour. La rénovation du 71 Garfield Street, à Detroit, est à cet égard l’un de ses projets favoris. Un incendie avait gravement endommagé cet immeuble résidentiel du quartier Sugar Hill, construit en 1922. Grâce à un programme de crédits d’impôt de la Ville pour la rénovation de bâtiments historiques, la firme Quinn Evans l’a réhabilité pour en faire un édifice à logements et à bureaux dont le bilan énergétique est quasi neutre en raison, notamment, de ses panneaux solaires et de son système de chauffage géothermique.
La crise climatique constitue le grand défi des générations actuelles, comme la crainte d’un holocauste nucléaire représentait celui des années 1960, selon Carl Elefante. L’architecte souhaite que nous nous y attaquions avec la même détermination qu’avait mise John F. Kennedy à persuader l’Union soviétique de ratifier le premier traité contre les essais nucléaires. « Il ne s’agit pas seulement d’arrêter de “mal faire”, mais bien d’avoir un bilan carbone positif, concluait-il. C’est une occasion que j’accueille en tant qu’architecte. »
On peut revoir les conférences sur la chaîne YouTube d’Architecture 2030.