Illustration : Romain Lasser

Les trois écoles d’architecture au Québec misent sur la multidisciplinarité pour former les architectes de demain. Mais comment ce principe est-il enseigné ?

«On essaie de donner des occasions d’échanges aux étudiants du premier cycle lors d’activités communes et de charrettes interdisciplinaires, explique Izabel Amaral, directrice de l’École d’architecture de l’Université de Montréal. Nous organisons aussi des ateliers conjoints avec les écoles de génie – Polytechnique et ÉTS – lors desquels les étudiants en architecture travaillent pendant tout un trimestre avec de futurs ingénieurs à un projet commun. » 

Et comme la recherche universitaire est de plus en plus multidisciplinaire, les cohortes aux études supérieures bénéficient elles aussi de cette approche. « De nombreuses équipes de recherche universitaire sont composées de cher­cheurs de différentes disciplines. Comme les étudiants font également partie de l’équipe, ils sont d’emblée plongés dans le processus multidisciplinaire », ajoute Izabel Amaral. 

Une formation sur le terrain  

Virginie LaSalle est professeure adjointe à l’École de design de l’Université de Montréal. Elle étudie notamment la conception d’environnements spécialisés, d’une part pour des personnes autistes (pour la Fondation Véro et Louis) et d’autre part pour des personnes présentant des problèmes neurologiques. Ces recherches offrent un terrain de rencontre propice aux échanges à une dizaine de ses étudiants et étudiantes et à deux de ses collègues universitaires. 

« Nous avons réalisé l’étude préparatoire pour alimenter le processus de conception avec une superbe équipe convoquant trois disciplines : le design d’intérieur, l’architecture et l’architecture de paysage, explique-t-elle. Chaque étudiant partait de la perspective dans laquelle on l’a formé. » 

De plus, la professeure intervient régulièrement dans le cours d’une collègue ergonome, et vice-versa, sur des sujets comme l’aménagement fonctionnel  
d’une pièce. « On invite nos étudiants respectifs pour qu’ils constatent ce que l’autre discipline pourrait apporter à un éventuel projet », mentionne-t-elle. 

En plus de l’ergonomie, Virginie LaSalle fait souvent appel à des psychiatres ou à des spécialistes en neuropsychologie. « En mobilisant ces champs de connaissances spécifiques dans nos projets, on invite les étudiants à s’ouvrir à d’autres disciplines », explique-t-elle. 

Selon elle, la multidisciplinarité permet d’enrichir la pratique. « Les étudiants discutent, se découvrent, collaborent et se rendent plus loin, ensemble. » Pour elle, il s’agit d’un « regard croisé enrichissant pour préparer les prochaines générations d’architectes à résoudre des problèmes complexes, par exemple en matière de développement durable », poursuit-elle. 

Un principe de base 

Pour de nombreux architectes, cependant, la multidisciplinarité est inhérente à la profession. « Notre école a toujours été multidisciplinaire, depuis le 19e  siècle », affirme David Theodore, directeur de l’École d’architecture Peter Guo-hua Fu de l’Université McGill, pour qui il n’y a pas d’autres moyens d’enseigner l’architecture. D’ailleurs, la multidisciplinarité est abor­dée dès le premier cycle universitaire. « Chez nous, dit-il, les urbanistes, les éco­nomistes, les ingénieurs, les paysagistes et même les artistes donnent des cours à nos étudiants. » 

Même son de cloche à l’Université Laval et à l’Université de Montréal où, cependant, la multidisciplinarité est surtout présente aux cycles supérieurs. « Les étudiants arrivent au deuxième cycle après avoir acquis les bases disciplinaires et peuvent alors avoir de bonnes discussions inter­disciplinaires », explique François Dufaux, professeur à l’École d’architecture de l’Université Laval. « Au baccalauréat, ce sont surtout les cours optionnels qui permettent ces rencontres multidisci­plinaires », mentionne Izabel Amaral de l’École d’architecture de l’Université de Montréal. 

La multidisciplinarité figure donc au programme des trois écoles d’architecture du Québec. « Il est clair qu’il y a un grand effort en cours pour former des architectes aptes à travailler avec des gens provenant d’autres disciplines, tout comme avec le grand public », conclut Izabel Amaral.

Un réflexe nécessaire 

Présidente de Humà design et vice-présidente de Humà architecture, l’architecte Stéphanie Cardinal s’est dotée d’une vision multidisciplinaire dès ses études. 

Titulaire d’un certificat en urbanisme et d’un baccalauréat en architecture de l’Université de Montréal, elle a par la suite obtenu une maîtrise en architecture en Europe. « Ces études ont été une formidable rencontre avec l’histoire, l’économie, l’architecture, l’urbanisme et l’art », affirme-t-elle. Depuis, elle aime dire qu’elle a une tête « formée » à tisser des liens entre diverses compétences et disciplines. 

« J’ai d’ailleurs créé l’un des premiers ateliers interdisciplinaires à l’Université de Montréal, au baccalauréat en architecture, en 1990, qui impliquait aussi l’urbanisme et le design industriel », ajoute-t-elle. Dans sa pratique, l’approche interdisciplinaire l’amène à concevoir tout projet d’architecture de l’intérieur vers l’extérieur. « Je m’inspire d’abord de l’histoire de l’être humain, qui se déplace, qui vit, qui construit un bâtiment et qui s’ouvre sur l’extérieur », explique-t-elle. Sont convoqués tour à tour l’histoire, l’aménagement, le design, l’ergonomie, l’architecture et plusieurs autres disciplines.  

L’architecte ne voit d’ailleurs pas comment l’enseignement de l’architecture pourrait évoluer autrement. « La posture interdisciplinaire trouve davantage de réponses aux problèmes actuels complexes, comme la densification urbaine et l’identité. »