Construction en hauteur
Dubaï
Photo : David Rodrigo/Unsplash

La construction en hauteur est souvent une solution privilégiée dans les villes où la surface au sol se fait rare. Or, des précautions s’imposent pour ne pas confiner les citadins dans des jungles de verre et de béton.

Hong Kong compte plus de 350 tours dépassant les 200 m sur son territoire, ce qui en fait une immense forêt de béton. Pour l’architecte et urbaniste Clément Demers, cette ville est pourtant un bel exemple de densité par la hauteur. « C’est une ville qui respire, car elle a conservé un grand parc de plus de 8 hectares, qui est une véritable oasis de verdure au cœur de la ville. Cet espace offre des vues imprenables sur de nombreuses tours, qui s’intègrent très bien dans le paysage », explique celui qui est aussi professeur à l’École d’architecture de l’Université de Montréal et directeur général du Quartier international de Montréal.

Un urbanisme vertical n’est toutefois pas toujours un gage de densification. Dubaï a beau abriter plusieurs gratte-ciel, dont la plus haute tour réalisée du monde, le Burj Khalifa, qui culmine à 828 m et compte 163 étages, cette ville des Émirats arabes unis ne se distingue pourtant pas par sa densité. « À Dubaï, on est surtout dans la construction d’objets architecturaux, plutôt que de formes urbaines. Les bâtiments sont épars; il n’y a pas eu d’effort d’intégration dans le tissu urbain », explique Aurèle Cardinal, architecte et urbaniste, associé de Humà architecture.

L’aménagement d’un domaine public conséquent : voilà tout l’art de densifier par le haut, selon Josée Bérubé, architecte-urbaniste associée chez Provencher_Roy. « Ce n’est pas tant la hauteur qui pose problème que l’addition de grands bâtiments quand le tissu urbain n’a pas de place pour respirer. Il faut une diversité typologique du bâti, sinon c’est étouffant. »

Une question d’équilibre

Dans leur plan d’urbanisme, la plupart des grandes villes ont inclus des règles relatives à la hauteur des bâtiments, à leur impact sur l’ensoleillement et les vents et à l’homogénéité du cadre bâti des quartiers. La réglementation traditionnelle a toutefois ses limites, et plusieurs lui reprochent un manque de vision d’ensemble.

« Il faut une planification adéquate pour garantir la pertinence et la qualité des immeubles en hauteur, explique Clément Demers. On veut éviter des erreurs comme le quartier Griffintown, à Montréal, où le développement a été improvisé – avec les résultats que l’on connaît aujourd’hui : des tours très rapprochées les unes des autres, des vues inintéressantes sauf pour les logements aux étages supérieurs, une faible emprise de rue qui empêche la construction de trottoirs où il fait bon marcher. Le seul espace dégagé de ce quartier est situé aux abords du canal de Lachine. »

Pour Josée Bérubé, la densification à la verticale est une question d’équilibre – un équilibre toujours fragile. « Il suffit d’un projet de trop pour dépasser le point de bascule », dit-elle. Dans cette optique, des villes comme Miami et Phoenix aux États-Unis, de même que Bromont, Candiac et Hampstead chez nous, ont récemment adopté une nouvelle approche en urbanisme : le form-based code. Cette approche consiste à considérer l’ajout d’un bâtiment en fonction de son ensemble urbain (voir « Tendances : Planifier la forme urbaine, non les usages », Esquisses, automne 2019). Elle inclut des normes sur les caractéristiques et l’usage des bâtiments de même que sur la conception du domaine public : configuration des rues, des trottoirs et autres places publiques. « [Ce concept] prend en compte les vues à préserver et vise la création d’un ensemble intéressant, explique Josée Bérubé. Mais [son défaut] est qu’il est moins objectif, plutôt basé sur des critères qualitatifs qui sont plus difficiles à appliquer [dans le processus d’approbation des projets]. » N’empêche, ses avantages l’emportent et son utilisation gagnerait à se répandre, selon l’architecte. 

Le chaînon manquant

« Une solution à la densification se trouve peut-être quelque part entre la tour et le bungalow », avance Aurèle Cardinal. Solution qui consisterait à choisir la voie du milieu pour concevoir des zones résidentielles inter­médiaires (le missing middle en anglais), où prévalent les bâtiments de moindre gabarit et de typologies variées, tels que des immeubles de quatre à huit étages, des duplex et des maisons en rangée. Le concept n’est pas nouveau, mais il gagne en popularité. C’est la ville à hauteur du regard définie par l’architecte danois Jan Gehl dans Pour des villes à échelle humaine (2010).

Certaines villes canadiennes empruntent cette avenue pour densifier des quartiers existants. C’est le cas notamment de Toronto, où, depuis des décennies, un territoire de près de 200 km2 – deux fois la superficie de Manhattan – est réservé aux maisons unifamiliales. Or, l’administration municipale a exprimé, en juillet dernier, sa volonté d’accroître la mixité des habitations dans cette zone, connue sous le nom de Yellowbelt, nom qui réfère à la couleur qu’elle arbore sur les cartes de zonage. Pour cela, la Ville doit modifier ses règles de zonage. Le processus est en cours et pourrait aboutir en 2020. La Ville d’Edmonton, en Alberta, a quant à elle organisé cette année un concours afin de bâtir des habitations intermédiaires sur un terrain du centre-ville (voir ci-contre). Des projets à surveiller. 

Qui sait, la ville de demain donnera peut-être un peu moins le vertige… 

À l’échelle humaine, malgré la hauteur

La tour Woodward, Vancouver, Henriquez Partners Architects
Photo : Vivre en Ville

La tour Woodward, à Vancouver, représente un mariage réussi entre la construction en hauteur et la qualité de vie. Le rez-de-chaussée de l’immeuble de 43 étages s’ouvre sur une place publique entourée de commerces et de terrasses, où il est facile de circuler tant à pied qu’à vélo.

« Vancouver est devenue très verticale depuis quelques années avec la construction de multiples tours, mais elle demeure intéressante pour les piétons et les cyclistes, en raison d’aménagements au sol, comme des espaces piétonniers, des places publiques animées et des pistes cyclables », souligne l’architecte et urbaniste Rémi Morency, de Groupe A/Annexe U.

« Si l’on construit un édifice de 50 étages, ajoute-t-il, on n’est pas obligé d’avoir une façade de 50 étages donnant directement sur la rue. Certaines stratégies, comme des basilaires ou des retraits, permettent d’atténuer l’impact. » Ce jeu avec les volumes présente aussi l’avantage de conserver le contact visuel entre les résidents et les piétons et, donc, d’augmenter le sentiment de sécurité et de convivialité, deux ingrédients essentiels à la qualité de vie en ville. 

Un point de vue que partage Laurence Vincent, architecte et coprésidente du Groupe Prével, promoteur et gestionnaire immobilier. « Il y a moyen de jouer avec les volumes pour diminuer l’effet de masse des immeubles, d’animer les façades avec des petits commerces et de travailler l’expérience piétonne », dit-elle. (J.-F. V.)

Edmonton : créer une communauté intergénérationnelle

The Goodweather, projet gagnant du concours Missing Middle Infill Design Competition, Edmonton,
Part & Parcel, Studio North et Gravity Architecture
Illustration : Studio North

En 2019, après avoir lancé un concours de conception-construction nommé Missing Middle Infill Design Competition, la Ville d’Edmonton a reçu un total de 39 propositions en vue de concevoir et de construire des bâtiments d’habitation de taille intermédiaire sur un terrain à proximité du Kingsway Mall, dans le centre de la ville. Le jury, formé d’experts en architecture d’un peu partout au pays, a finalement choisi le projet The Goodweather, de Studio North, Gravity Architecture et Part & Parcel.

L’ensemble comportera de nouveaux logements visant à combler les besoins d’une population d’âges variés. Plutôt que d’offrir un modèle d’habitation unique, les architectes ont prévu une série d’unités modulaires pouvant être configurées de différentes manières, du studio à l’habitation de trois chambres à coucher. Les unités situées au rez-de-chaussée sont destinées aux gens âgés et aux personnes à mobilité réduite. Le concept comprend également une cour centrale, des jardins communautaires, une garderie de même qu’une petite salle communautaire, de façon à encourager les échanges. « Le plan prévoit la construction de 56 unités d’habitation sur des lots ayant précédemment abrité cinq maisons unifamiliales », précise Carol Bélanger, architecte à la Ville d’Edmonton.

Fait à noter, la Ville n’était pas le maître d’ouvrage de ce projet. Elle a plutôt invité les firmes d’architectes à s’associer avec des promoteurs pour former des équipes prêtes à acheter le terrain. « Les participants devaient démontrer la rentabilité et la faisabilité de leur concept », explique Carol Bélanger.

Au moment de l’entrevue, les négociations étaient toujours en cours pour conclure l’achat du terrain. Il est offert à la vente à sa valeur marchande, mais la Ville renonce aux frais de zonage. Selon l’échéancier, la construction devrait s’amorcer au printemps 2020, après la démolition des bâtiments existants. La livraison est prévue d’ici le début de 2021. (S.L. )