KANVA a tenu une série de consultations et d’ateliers de participation collective à l’occasion de la rénovation du Visual Collections Repository de la Faculté des beaux-arts de l’Université Concordia, à Montréal (2018).
Photo : David Boyer

La présentation publique. Certains la redoutent, d’autres y voient un terreau fertile aux échanges d’idées. Dans tous les cas, l’exercice exige une bonne préparation pour éviter le fameux syndrome « Pas dans ma cour ». Conseils.

Quand Thomas Gauvin-Brodeur a commencé à travailler à la conception d’une nouvelle école pour enfants handicapés à Châteauguay, il ne s’attendait pas à une telle levée de boucliers de la part du voisinage. « Des citoyens déploraient la présence du bâtiment à proximité de leur habitation, sur un terrain inoccupé en partie boisé. Ils craignaient aussi d’être dérangés par le bruit », raconte l’associé de Leclerc architectes.

Une centaine de personnes ont assisté à la consultation publique, où étaient aussi présents des représentants des commissions scolaires anglophone et francophone du territoire, qui menaient le projet en collaboration. « On a eu vent du militantisme de certains citoyens en cours de conception, poursuit l’architecte. Cela nous a permis de bien nous préparer. On a fait valoir qu’il était préférable qu’un bâtiment à vocation sociale s’implante sur ce terrain, voué au développement de toute façon. On a aussi expliqué les mesures prises pour réduire les nuisances sonores, dont la plantation d’arbres et des modifications au plan pour faire en sorte que les locaux qui se trouvent près des habitations soient réservés à des activités plus calmes. Cela a permis d’apaiser les craintes. Les citoyens ont aussi vu qu’on était sensibles à leurs préoccupations. »

La construction de l’École régionale Brenda-Milner s’est ainsi amorcée avec une plus grande acceptabilité sociale. Elle a accueilli ses premiers élèves en août 2019.

Clarté et transparence

Contrairement à Thomas Gauvin-Brodeur, les concepteurs ne sont pas toujours prévenus du mécontentement que peut susciter leur projet. Et même quand ils le sont, il demeure difficile d’anticiper tous les coups. « On ne sait jamais à l’avance qui sera présent aux consultations populaires. Prévoir les objections, c’est le défi, explique Ron Rayside, associé principal de Rayside Labossière, qui ne compte plus les consultations publiques auxquelles il a participé au cours de sa carrière. Il faut donc bien se préparer à l’exercice en essayant de se mettre dans les souliers de l’autre. Cela aide à trouver les réponses adéquates. »

« Les gens sont généralement attachés à la qualité de vie de leur quartier, soutient Éric Pelletier, associé principal chez Lemay. C’est normal qu’ils aient des appréhensions à propos d’un projet de construction. Le rôle de l’architecte est de les rassurer. Il doit fournir des clés pour les aider à comprendre ses intentions. » Maquettes, rendus, animations, etc. : l’architecte doit se servir des meilleurs outils à sa disposition pour expliquer son concept (en tenant compte de ce qui est permis ou pas si le processus est encadré par une réglementation).

« Il est important d’adapter son discours de façon à être compréhensible par l’ensemble des gens, qui sont pour la plupart peu familiarisés avec le langage architectural. Sans rien cacher, il faut aussi décider quelle information est la plus pertinente à transmettre et à montrer », conseille Ron Rayside en rappelant que cette démarche de consultation exige de l’architecte une bonne dose d’humilité… et de la patience. « Il y aura toujours des individus qui argumenteront plus que les autres, poursuit-il. Il faut garder son calme et rester à l’écoute malgré le ton élevé, voire les insultes personnelles. Ça m’est déjà arrivé… On doit quand même donner une réponse aux arguments qui sont avancés. En même temps, il faut en mesurer le poids par rapport à celui des autres. »

Pour devenir un pro de la consultation publique, il n’y a qu’un moyen : plonger ! Cela peut être intimidant, surtout en début de carrière, mais le métier finit par entrer. « La formation universitaire nous prépare à faire des présentations et à défendre nos idées, mais elle ne nous prépare pas à affronter un groupe hostile et à considérer les problématiques en amont », déplore Thomas Gauvin-Brodeur. Il évalue que son expérience au Comité consultatif d’urbanisme (CCU) de Rosemont, dont il est membre depuis neuf ans, lui a été très utile. « Je connais les deux camps. J’ai aussi une meilleure idée de ce qui passe moins bien. C’est très formateur. »

« Le processus créatif doit inclure les gens du milieu. Il n’y a personne qui connaît mieux le quartier que ceux qui y habitent. On crée ainsi un dialogue avec la communauté. Qu’il y ait des opposants, c’est normal. Il faut seulement comprendre pourquoi. »

– Rami Bebawi, associé principal chez KANVA

Un lieu d’échanges

Cela dit, les consultations publiques ne sont pas qu’un lieu de confrontation. Pour Rami Bebawi, associé principal chez KANVA, ces rencontres sont aussi génératrices d’idées quand elles sont organisées lors de la phase de conception, une pratique courante au sein du collectif d’architectes. « Le processus créatif doit inclure les gens du milieu, soutient-il. Il n’y a personne qui connaît mieux le quartier que ceux qui y habitent. On crée ainsi un dialogue avec la communauté. Qu’il y ait des opposants, c’est normal. Il faut seulement comprendre pourquoi. »

Dans certains cas, des citoyens prennent une part un peu plus active que prévu au processus créatif. Par exemple, un historien s’est présenté à une consultation pour le complexe immobilier Origine, à Verdun, et a parlé de l’histoire du site, où avait été construite l’une des premières maisons du quartier, au 19e siècle. Il était si captivant qu’il a été intégré à l’équipe de projet, et certaines de ses propositions ont influencé les choix des architectes. « Il faut élargir la notion de consultation publique pour travailler davantage en concertation avec le milieu », affirme Rami Bebawi.

Le Bureau des grands projets de la Ville de Laval tient régulièrement des consultations publiques, parfois même à la phase d’idéation. « Il y a plusieurs secteurs en développement sur notre territoire, explique la directrice, Marie-Claude Le Sauteur. Ces consultations font partie du processus de conception des projets et sont inscrites dans le cadre de gouvernance. Elles suscitent l’intérêt de la population, qui se présente en grand nombre [parfois jusqu’à 200 personnes]. Les citoyens veulent savoir comment le milieu sera transformé. Ils sont curieux, préparés et posent de bonnes questions. Cela mène à un échange d’idées fructueux. »

Un échange qui trace bien souvent la voie à une plus grande acceptabilité sociale des projets.