Les donneurs d’ouvrage publics l’ont bien constaté : dans les soumissions reçues des entreprises de construction, les prix augmentent et s’écartent des estimations préliminaires. Une situation à la fois conjoncturelle et structurelle.
De mai 2020 à mai 2021, le prix des produits du bois d’œuvre de résineux a augmenté de 235,5 % au pays avant de fléchir de 40 % de mai 2021 à septembre 2021. C’est ce qu’indique l’Indice des prix des produits industriels (IPPI) compilé par Statistique Canada. D’autres prix de matériaux de construction ont aussi connu des fluctuations importantes. De surcroît, le personnel sur les chantiers se raréfie.
Résultat : du troisième trimestre de 2020 au troisième trimestre de 2021, les coûts de construction des bâtiments non résidentiels, qui incluent les projets publics, ont par exemple grimpé de 9,7 % à Montréal et en moyenne de 8,3 % au pays, toujours selon Statistique Canada. Pour composer avec les possibles hausses du prix des matériaux et retards de travaux, les entreprises de construction incluent dans leurs soumissions une clause compensatoire à leur prix. De son côté, la Société québécoise des infrastructures (SQI) s’apprête à tenir compte de la fluctuation des prix dans l’établissement de ses contrats avec les constructeurs. Mais cela ne réglera pas tous les problèmes.
Nouvelles clauses en vue
La SQI a entamé des négociations avec l’ACQ afin d’adopter des clauses contractuelles qui tiennent compte du coût des matériaux. Elle compte utiliser l’IPPI publié chaque mois par Statistique Canada pour compenser les entreprises de construction quand le prix d’un matériau fluctue en cours de chantier. « Il y aura une clause de compensation propor-tionnelle à l’augmentation du coût des matériaux. Par exemple, si le prix augmente de 20 %, il pourrait y avoir une compensation de 15 % », explique Jean-Philippe Cliche, économiste sénior à l’ACQ.
Une autre clause en cours d’élaboration devrait quant à elle annuler les pénalités pour retard de livraison s’il est démontré que ce retard résulte d’un problème d’approvisionnement des matériaux. Avec ces clauses, les entreprises de construction seraient moins incitées à majorer leurs prix par prévoyance. « La SQI espère ainsi avoir des soumissions à des prix plus raisonnables. C’est une méthode qui, on l’espère, devrait être implantée sous peu », confie Jean-Philippe Cliche.
Chantiers recherchent main-d’œuvre…
En 2019, avant la pandémie, la Commission de la construction du Québec soulevait déjà l’enjeu de la rareté de la main-d’œuvre sur les chantiers. Un sondage qu’elle a réalisé en mai auprès de 1127 entreprises indiquait que plus des deux tiers d’entre elles ne parvenaient pas à pourvoir tous leurs postes de personnes apprenties, et la proportion est encore plus élevée en ce qui concerne les postes de compagnons (77 %).
« Nos entrepreneurs nous le disent constamment depuis 2018 », confirme Jean-Philippe Cliche, économiste sénior à l’Association de la construction du Québec (ACQ). Conséquence de ce manque de bras sur les chantiers : les travaux prennent du retard… et coûtent plus cher. « Il faut travailler temps double et payer temps double », poursuit l’économiste.
Chez les architectes aussi, la main-d’œuvre se fait rare. Le système de projection des professions du Canada indique un équilibre entre les 6800 postes d’architectes qui devraient être créés au total de 2019 à 2028 et les 7800 architectes qui devraient être en recherche d’emploi à travers le pays pendant cette période.
Mais une étude commandée à MCE Conseils par l’Association des architectes en pratique privée du Québec (AAPPQ), réalisée auprès de 213 firmes d’architecture en 2020 et publiée en janvier 2021, suggère plutôt que le compte n’y est pas. MCE Conseils estime les besoins pour l’année 2021 à 350 architectes, alors qu’elle prévoit l’arrivée sur le marché du travail de 184 architectes pendant la même période. « Il n’y a pas assez d’architectes qui entrent dans la profession compte tenu des départs à la retraite et de l’effervescence du marché de la construction », commente Lyne Parent, directrice générale de l’AAPPQ. Les honoraires professionnels sont donc susceptibles d’augmenter et, par conséquent, de se répercuter sur le coût de réalisation global du projet, mais Lyne Parent précise que ces honoraires ne sont pas inclus dans les soumissions des entreprises de construction.
… et matériaux
Au printemps 2020, le confinement lié à la pandémie a ralenti la production industrielle, y compris celle des matériaux de construction. Parallèlement, les aides gouvernementales combinées à une baisse des taux d’intérêt ont propulsé les travaux de construction et de rénovation résidentielles. « Normalement, dans le secteur résidentiel, on a entre 40 000 et 50 000 mises en chantier par année. En 2021, on les estime à 72 000. Beaucoup de ventes et de faibles inventaires ont causé une hausse des prix des matériaux », dit Jean-Philippe Cliche.
Les produits dérivés du bois sont les plus touchés, mais l’économiste parle aussi des produits électriques et de l’acier. « Même le prix des vis a augmenté de 20 % », illustre-t-il. Un sondage réalisé au printemps 2021 par l’ACQ révèle que 68 % des entreprises en construction sondées ont fait face à une hausse de plus de 20 % des coûts des matériaux et 71 % ont subi des retards d’approvisionnement.
« Face à la COVID, les gouvernements investissent dans la construction pour stimuler l’économie. Mais la construction était déjà en surchauffe avant la pandémie »
— Philippe Hudon
La commande publique touchée
C’est dans ce contexte de rareté de main-d’œuvre et de difficultés d’approvisionnement en matériaux que le gouvernement a inscrit des investissements record de 130,5 G$ au Plan québécois des infrastructures (PQI) 2020-2030. De surcroît, le Plan d’action pour le secteur de la construction mis en place par le gouvernement du Québec en mars 2021 pour relancer l’économie propose d’accélérer l’approbation des dépenses prévues au PQI afin que les mises en chantier aient lieu plus rapidement.
« Face à la COVID, les gouvernements investissent dans la construction pour stimuler l’économie. Mais la construction était déjà en surchauffe avant la pandémie », souligne Philippe Hudon, président d’Akonovia, une entreprise spécialisée en efficacité énergétique du bâtiment.
En effet, ces investissements ne résoudront pas la pénurie de main-d’œuvre. Le vieillissement de la population pourrait faire perdurer le climat d’incertitude sur les chantiers et maintenir une pression sur les prix de construction. Et la rareté de personnel qui prévaut aussi dans le milieu de l’architecture pourrait ajouter une pression supplémentaire sur le coût global de réalisation des projets. ●
La faute des normes énergétiques ?
Selon Philippe Hudon, président de l’entreprise spécia-lisée en efficacité énergétique du bâtiment Akonovia, la nouvelle réglementation qui harmonise les performances énergétiques du Code de construction du Québec avec le Code national de l’énergie pour les bâtiments (CNEB) de 2015 n’est pas en cause dans l’augmentation des coûts de construction. Certes, dans son analyse d’impact réglementaire, Transition énergétique Québec estimait que cette réglementation pouvait faire augmenter ces coûts de 3,5 %. Mais en vertu du Plan d’action sur les changements climatiques 2013-2020, les bâtiments publics québécois doivent de toute façon dépasser de 20 % les exigences énergétiques du CNEB de 2011 et atteignent ainsi déjà celles du CNEB de 2015.