Comptoir Avril Végé
Comptoir Avril Végé (anciennement Crudessence) au Quartier DIX30, Brossard, Laurent McComber
Photo : LM Chabot

Ces dernières années, plusieurs projets ont valorisé le bois de manière spectaculaire à l’intérieur de bâtiments non résidentiels au Québec. Des prouesses rendues possibles par l’évolution des technologies… et l’imagination des architectes.

Un comptoir de mets végétariens bios évoquant la nature avec authenticité : l’idée est belle, mais encore faut-il la réaliser. C’est ce qu’a réussi l’architecte Laurent McComber, en 2013, pour un point de vente de la défunte marque Crudessence, dans le supermarché Avril du Quartier DIX30.

« Une série de pièces de bois de cerisier massif d’environ 50 cm de largeur, dont la hauteur varie de 75 cm à un peu plus de 2 m, forment une espèce de coquille de noix une fois assemblées, explique-t-il. Cette coque autoportante enveloppe le cœur en acier inoxydable du kiosque. C’est assez impressionnant à voir. »

Le projet était risqué, car il faillait surmonter le défi de la stabilité. Le bois, matière vivante, tend en effet à se contracter et à se dilater en fonction du taux d’humidité – quoiqu’à l’intérieur d’un supermarché, celui-ci est assez bien contrôlé. Des connecteurs à tige filetée ont donc été insérés entre les planches, un peu comme dans certaines tables ou certains grands comptoirs. La cliente, l’entreprise Avril Supermarché Santé, a tellement aimé qu’elle a répété l’expérience dans ses succursales de Lévis, Québec, Sherbrooke et Granby sous le nom d’Avril Végé.

« Dans un contexte où les budgets en architecture demeurent relativement serrés et laissent moins de place aux détails, le bois permet de donner de la texture et de la chaleur à des designs et d’éviter un résultat trop homogène et terne », avance Laurent McComber.

Un matériau écologique

Ædifica a aussi mis le bois en valeur dans des projets comme le Planétarium, la Maison symphonique de l’OSM et la boutique MEC. Ce dernier s’avère particulièrement intéressant. Ce commerce d’articles de plein air avait l’habitude de construire ses propres bâtiments hautement écologiques, mais souhaitait s’établir dans des centres commerciaux. Comment y arriver sans dénaturer son image ?

« Avec le bois, nous avons élaboré un projet au Carrefour Laval qui rappelle la topographie des vallées et des montagnes, [une thématique] chère à l’entreprise », explique Stéphane Bernier, directeur du studio design d’Ædifica.

La boutique, inaugurée en 2016, vend des articles lourds tels que canots, kayaks et vélos de montagne. Suspendre ces produits exige normalement de renforcer les murs, notamment avec des attaches métalliques. Or, de tels matériaux sont susceptibles d’être mis au rebut en fin de vie, alors que le bois peut facilement être recyclé.

Le bois lamellé-croisé a donc été utilisé pour réaliser des éléments structurants, dont des murs et du mobilier autoportants, ce qui a permis de présenter l’ensemble des articles en stock tout en bonifiant l’expérience des clients grâce à une atmosphère chaleureuse. 

« L’utilisation du bois ne se résume pas à l’esthétique, précise Guy Favreau, architecte et vice-président au développement durable chez Ædifica. Elle offre aussi la possibilité de réaliser des projets plus écologiques. En ce sens, la provenance du bois devient cruciale. Dans ce projet, il a été fourni par une entreprise de Colombie-Britannique, la province d’origine de MEC, choisie pour sa gestion très responsable de la ressource. »

La technologie au service de l’imagination

« La question n’est pas de savoir ce que l’on peut faire de plus aujourd’hui avec le bois, mais ce que l’on peut faire de plus avec les nouveaux outils dont on dispose », affirme pour sa part l’ébéniste Jean-Sébastien Turcotte, fondateur d’Ébénisterie Hi-Teck. Son entreprise a notamment fabriqué les pièces de bois pour le projet de la vitrine étudiante de Polytechnique Montréal, un espace de rassemblement et d’étude, et pour la Maison symphonique.

Les ébénistes peuvent maintenant générer des images 3D des pièces de bois à produire à partir de logiciels comme SolidWorks. Un avantage décuplé par l’utilisation de machines-outils à commandes numériques par calculateur (ou CNC, en anglais computer numerical control), que l’on peut programmer pour réaliser des centaines de pièces uniques. Dans le cas du projet de Polytechnique, il en a fallu environ 800, toutes similaires, mais dont le rayon varie légèrement en longueur, afin de réaliser un effet d’ondulation.

L’ébéniste doit aussi parfois rappeler aux architectes la réalité du bois. Dans le cas de Polytechnique, Ébénisterie Hi-Teck a notamment proposé l’ajout de joints de dilatation afin d’éliminer les risques de distorsion et de rétrécissement dus aux variations du taux d’humidité. Une retombée de 30 m de long, par exemple, aurait pu subir des variations de près de 4 cm, ce qui représente un risque réel de bris.

Jean-Sébastien Turcotte voit de plus en plus de ces projets en bois à effet 3D à l’intérieur d’édifices, comme les murs à pointes de diamants des bureaux montréalais de Desjardins service des cartes et de Banque Capital One. « Sans les logiciels de conception et les machines à CNC, de tels projets seraient irréalisables », insiste-t-il.

Le défi de l’installation

Si la conception et la fabrication sont grandement facilitées par ces nouveaux outils, l’assemblage et l’installation de ces pièces de bois représentent un véritable casse-tête, indique Julie Morin, architecte chez Menkès Shooner Dagenais LeTourneux. Elle donne l’exemple du plafond en merisier de la Maison des étudiants de l’École de technologie supérieure. Le projet comportait 641 pièces à assembler. « Dès la conception, nous avons dû prévoir des systèmes permettant des ajustements, car le plafond contourne la structure de béton, et épouse la forme des anciens conduits mécaniques de ventilation, ainsi que des nouvelles composantes électriques et mécaniques », explique-t-elle.

Il fallait aussi tenir compte de nombreuses contraintes du Code du bâtiment pour s’assurer que le plafond de bois respectait les normes de résistance sismique (avec l’aide d’un ingénieur en bâtiment), que les matériaux utilisés seraient compatibles et vieilliraient bien ensemble et que le bois pourrait « bouger » en fonction de l’humidité.

« Nous aimons intégrer des ouvrages en bois soignés dans nos projets, conclut-elle. Le bois confère un caractère fort et une identité à un lieu, tout en offrant beaucoup de possibilités aux architectes. »

La montée du shou sugi ban

La technique japonaise du bois brûlé dite shou sugi ban connaît un certain engouement au Québec dans l’architecture et le design d’intérieur. « Il s’agit de brûler le bois en surface avec une flamme, à la différence du bois torréfié, qui est carbonisé en profondeur », explique Guillaume Ouellet, cofondateur d’Espace-Bois. Cette entreprise, spécialisée dans les projets de rénovation et la création de meubles sur mesure, dispose des installations de brûlage, de brossage, de nettoyage et de finition qui sont requises pour ce procédé.

Le bois brûlé offre un fini texturé et tout en relief ainsi qu’une belle teinte foncée. « Aucun revêtement ne donne un aussi beau résultat », soutient Guillaume Ouellet. Il faut toutefois sceller le bois avec une huile, à défaut de quoi il tachera ce qui le touche, ce qui a aussi l’avantage de le rendre hydrophobe. De plus, la technique protège le bois contre les insectes.

Guillaume Ouellet emploie le shou sugi ban surtout avec le cèdre blanc de l’Est, un bois imputrescible, mais qui grisonne avec le temps, ce que le brûlage empêche. La technique peut aussi être utilisée avec d’autres essences comme l’akoya, le chêne ou le frêne.