École de la Grande-Hermine, Québec,
consortium ABCP architecture + Bisson et associés
Photo : Paul Dionne

Pendant la campagne électorale provinciale de 2018, François Legault a promis de doter le Québec des « plus belles écoles du monde ». Depuis, son gouvernement a bonifié les budgets alloués aux projets de construction et d’agrandissement après des années d’austérité. Mais de nouvelles contraintes sont entrées en jeu…

Concrétiser la volonté d’ériger des bâtiments attrayants en répondant aux exigences des centres de services scolaires et du ministère de l’Éducation : c’est la mission des architectes qui se consacrent à la conception d’écoles. Afin de la remplir, ils et elles doivent aussi respecter le budget qui leur est alloué ainsi que des échéan­ciers serrés tenant compte des calendriers sco­laires. La pandémie de COVID-19 a d’ailleurs ajouté des difficultés supplémen­taires, au nombre desquelles figurent la hausse fulgurante du coût des matériaux et la multiplication des mises en chantier.

« Si on n’était pas dans une période de surchauffe, les budgets seraient corrects », avance Dany Blackburn, architecte associé chez ABCP architecture. C’est à sa firme, établie à Québec, que l’on doit les plans de l’école primaire de la Grande-Hermine, dans l’arrondissement de La Cité-Limoilou. Cet établissement, que fréquentent 350 enfants chaque année depuis 2008, a requis un investissement de 6 M$.

Dans le même quartier, le Lab-École de Québec, qui est lui aussi conçu par ABCP architecture, est actuellement en construction. Il doit accueillir près de 400 élèves à la rentrée scolaire de 2022. Son coût : quelque 22 M$, soit près de 2,6 M$ de plus que ce qui avait été annoncé à l’origine.

« Même si les budgets ont été bonifiés dans les trois dernières années, on doit faire des choix », souligne Dany Blackburn. Et ces choix peuvent être difficiles.

Jongler avec les demandes

Les architectes doivent trouver le moyen de répondre, d’une part, aux demandes du milieu scolaire, notamment en choisissant des matériaux faciles à entretenir, et, d’autre part, à celles du ministère de l’Édu­cation. Celui-ci détermine le nombre de salles de classe, de toilettes, de gymnases qu’abritera le bâtiment ainsi que la dimension de chacune de ces pièces.

« Une classe, c’est 72 m2 au secondaire ou 68 m2 au primaire. Avant, quand les budgets n’étaient pas suffisants, on pouvait couper [les superficies]. Aujourd’hui, on ne peut plus », précise Eve Desrosiers, architecte chez Héloïse Thibodeau Archi­tecte, firme montréalaise qui a notamment piloté les projets d’agrandis­sement des écoles Henri-Bourassa, Philippe-Labarre et René-Guénette.

« On part de tellement loin que les budgets d’aujourd’hui permettent d’arriver à un résultat acceptable, mais les exigences ont été rehaussées. »

— Eve Desrosiers

À de telles normes concernant la superficie s’ajoutent les exigences plus spécifiquement architecturales. Le bois et l’aluminium doivent désormais occuper une place de choix dans les établissements scolaires, selon la signature architecturale qu’a présentée le gouverne­ment du Québec en février 2020. Celle-ci exige aussi un apport généreux en lumière naturelle dans les classes et les espaces communs, dont l’aménagement doit être flexible, en plus favoriser les nouveaux modes d’apprentissage, les échanges et les technologies. De jolies cours d’école végétalisées, propices à la socialisation, doivent jouxter ces bâtiments. Sans oublier le « bleu fleurdelisé », ou Pantone 293C, qui marque désormais la signalétique commune à l’extérieur et doit être employé comme accent en façade.

Si l’imposition de cette teinte cause un malaise chez les architectes qui ont répondu à nos questions, les autres directives de la nouvelle signature architecturale leur conviennent, même si elles compliquent leur tâche en contexte de flambée des prix des matériaux.

Les architectes accueillent même favorablement cet intérêt porté aux bâtiments scolaires. « Que le ministère réalise que l’architecture est liée à la réussite des élèves, c’est très positif », estime Laurence St-Jean, architecte et designer urbaine chez ABCP architecture.

Paul Faucher, architecte associé chez Espace Vital architecture, y voit plutôt un « retour du balancier » après des années de vaches maigres. Sa firme a entre autres dessiné les plans de trois écoles primaires qui seront construites à Granby et à Cowansville, en collaboration avec Bilodeau Baril Leming architectes. « Créer de beaux espaces lumineux, fonctionnels et durables, c’est l’essence de l’architecture. Avoir des matériaux locaux, une belle cour d’école et des espaces flexibles, ce sont des choses qu’on doit faire dans une bonne pratique », dit-il.

« On part de tellement loin que les budgets d’aujourd’hui permettent d’arriver à un résultat acceptable, mais les exigences ont été rehaussées », nuance Eve Desrosiers.

Trois nouvelles écoles primaires, Granby et Cowansville, Espace Vital architecture – Bilodeau Baril Leeming architectes en consortium
Image : Espace Vital architecture

Douloureux compromis

Pour arriver à concilier les multiples demandes sans défoncer les budgets, des compromis sont nécessaires, mais pas dans les espaces ni dans le concept architectural, cela dit. Il est possible d’alléger les coûts des matériaux grâce à quelques ruses, par exemple utiliser des imitations ou des finitions de bois plutôt que du véritable bois, opter pour une structure en acier et non en matériau ligneux ou encore recourir à l’aluminium et au bois importé, qui sont parfois moins chers que les matériaux produits chez nous, même en tenant compte des coûts de transport.

Il y a cependant des limites aux économies que les architectes peuvent réaliser de ce côté. « La qualité des matériaux de construction et des finis représente de 1 % à 2 % du coût du projet. Et c’est la différence entre faire quelque chose de bien et quelque chose de cheap », mentionne Paul Faucher. La marge de manœuvre est donc bien mince.

Sinon, c’est l’aménagement extérieur qui écope. « Au lieu de refaire la cour, on n’en fait que la moitié », illustre Eve Desrosiers. La signature architecturale prévoit en effet le réaménagement de la cour.

Le comité de la signature architecturale

Agrandissement de l’école primaire René-Guénette, Montréal, Héloïse Thibodeau Architecte
Photo : Héloïse Thibodeau Architecte

Quels que soient les choix des architectes, leurs plans doivent être approuvés par le comité de la signature architecturale du ministère de l’Éducation. Cette étape de validation peut s’étendre sur quelques mois dans certains cas et, par conséquent, exercer une pression sur l’échéancier et le budget.

Car si l’approbation tarde, les étapes subséquentes peuvent être touchées, surtout celle du lancement des appels d’offres pour la construction du projet, selon Dany Blackburn. « Il y a des périodes plus favorables que d’autres : on peut avoir de meilleurs prix en novembre et décembre. » Il est en revanche plus difficile d’obtenir des soumissions à bon prix s’il faut lancer les appels d’offres en haute saison pour respecter des délais serrés. « Si l’échéancier est plus court, il y a aussi plus de travail à effectuer en heures supplémentaires, ce qui fait augmenter les coûts », ajoute l’architecte.

Un échéancier serré augmente également les risques d’imprévus. Ces surprises surviennent entre autres lorsque les plans de la structure existante sont imprécis ou que des travaux de rénovation antérieurs ont été bâclés. Et qui dit impré­vu dit dépense additionnelle, surtout dans les projets d’agrandissement, où des ailes ultramodernes doivent s’arrimer à des bâtiments âgés. « Les architectes sont capables de dessiner des plans parfaits, mais si on leur donne la moitié du temps [pour préparer le projet], il peut y avoir des coûts supplémentaires parce qu’ils n’auront pas tout vu », souligne Héloïse Thibodeau, architecte et tête dirigeante de la firme qui porte son nom.

Le dernier recours consiste à demander au ministère d’octroyer des fonds supplé­mentaires pour la réalisation du projet. Ces demandes sont étudiées au cas par cas. Si le ministère refuse, les architectes doivent trouver des compromis avec le centre de services scolaire.

Les architectes marchent ainsi sur un fil. Leur marge de manœuvre est minime, mais leur volonté d’innover et de construire de belles écoles bien de leur temps pour les jeunes du Québec est ferme. Même avec des budgets limités et de plus grandes contraintes. « Parfois, on ose, et ça fonctionne », dit Héloïse Thibodeau.