Les matériaux de construction issus de la biomasse ou des matières résiduelles gagnent en performance, et le Québec est à l’avant-plan de la recherche dans le domaine. Incursion dans les labos.

Des fibres de carotte qui améliorent la performance des pare-vapeur : c’est l’une des dernières trouvailles de l’ingénieur Mathieu Robert, titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur les éco-composites polymères de l’Université de Sherbrooke. « Ça a l’air trendy, mais ça marche ! Avec des déchets agricoles, on est capables de mettre au point des films translucides qui ont des propriétés mécaniques équivalentes ou supérieures au polyéthylène standard. »

Les carottes utilisées par les chercheurs proviennent de lots déclassés par les maraîchers ou par l’industrie agroalimentaire. Mais le procédé fonctionnerait aussi avec d’autres variétés de légumes, comme des panais ou des pommes de terre, explique-t-il. La beauté de la chose, selon lui, c’est qu’en plus de contribuer à réduire la fabrication de produits de synthèse, l’utilisation de déchets agricoles dans les matériaux crée une économie circulaire à l’échelle régionale.

« Comme le Canada est l’un des plus gros producteurs agroalimentaires au monde, on a de la biomasse inutilisée en grande quantité… et très renouvelable ! Mes travaux de recherche portent sur les débouchés pour des végétaux qui ne sont pas ou peu utilisés actuellement. C’est notamment le cas du lin, qu’on ne cultive ici que pour la graine. »

Projet de maison « biologique », faite de matériaux issus de sous-produits de l’agriculture, BIOTOPE Ecopark, Middelfart (Danemark), Een Til Een Photo : Een Til Een

Frénésie de recherches

Loin d’être réservés aux hippies sur le retour, les matériaux biosourcés – issus de la biomasse, si on préfère – ou ceux qui intègrent des matières résiduelles gagnent en popularité… et en performance.

C’est particulièrement le cas de ceux destinés à l’enveloppe des bâtiments, fait remarquer Pierre Blanchet, titulaire de la Chaire indus-trielle de recherche sur la construction écoresponsable en bois (CIRCERB) de l’Université Laval. « Ça bouillonne de recher-ches vu l’énorme potentiel de performance des matériaux biosourcés, en particulier pour les isolants à base de laine de bois, de chanvre ou de fibres agricoles. Ces produits occupent des parts de marché croissantes, notamment en raison d’une demande soutenue des architectes. »

Pour sa part, le chercheur planche entre autres sur la mise au point de panneaux d’isolation rigides à base de tanins et de glycérol, un dérivé de la production du biodiesel. Prochaine étape : créer une mousse d’isolation qui pourrait être giclée. « Les mousses de polyuréthane 100 % pétrosourcées actuellement utilisées présentent l’inconvénient de contaminer tous les autres matériaux sur lesquels elles sont giclées, les rendant inutilisables en fin de vie. Il faut trouver une solution de rechange. » Récemment, ajoute-t-il, des chercheurs du Centre collégial de transfert de technologie Serex, à Amqui, ont obtenu une mousse de tanins en grande partie biosourcée. « Il n’est pas encore possible de la gicler, mais c’est une avancée. Il faut prendre ça bouchée par bouchée. »

La recherche portant sur les applications des matériaux biosourcés destinés aux systèmes structuraux progresse aussi, note Pierre Blanchet. « D’ici 5 à 10 ans, on devrait par exemple voir émerger une deuxième génération de panneaux lamellé-croisé (CLT) intégrant des fonctions comme des vides techniques pour le passage de la tuyauterie ou du câblage. Ça va devenir drôlement intéressant, entre autres pour la réduction des délais sur les chantiers. »

Vert et performant

La fabrication d’écomatériaux ne date pas d’hier, constate Jean-François Côté, directeur des affaires scientifiques et de la normalisation chez Soprema. Par exemple, le manufacturier fabrique depuis une quinzaine d’années des armatures pour membranes d’étanchéité faites de polyester recyclé à partir de bouteilles de plastique. Mais depuis environ deux ans, ce chimiste remarque un accroissement de la demande de produits à faible impact environnemental de la part de ses clients, dont les architectes et les donneurs d’ouvrage.

Bonne nouvelle pour eux : les écomatériaux sont mieux documentés que jamais. « Les processus se formalisent », dit-il, grâce aux déclarations environnementales de produits (DEP). Il s’agit de fiches décrivant les impacts environnementaux d’un matériau selon les critères de l’analyse du cycle de vie, conformément au protocole ISO 14025. Elles sont aussi validées par une tierce partie indépendante.

Pour sa part, Jean-François Côté mène des activités de R et D pour évaluer le potentiel de résidus de l’industrie de la transformation du bois dans les membranes d’étanchéité de Soprema. « On continue d’avancer, mais avant de commercialiser [un tel produit], il faut être certain de sa durabilité. Le fait d’incorporer une matière biosourcée ne doit pas raccourcir sa durée de vie. »

Défis

Chez Recyc-Québec, on remarque notamment l’essor des ajouts cimentaires alternatifs – issus de la biomasse ou de matières recyclées – dans le béton, explique Nicolas Bellerose, agent de recherche et de planification.

En revanche, malgré leur potentiel, l’enjeu de la fin de vie des matériaux biosourcés demeure flou, dit-il. « Seront-ils recyclables ? Réutilisables ? Comme ces produits sont émergents, les fabricants n’ont pas encore de réponses à ces questions, mais ils devront en avoir tôt ou tard. »

On ne pourra pas tout régler en même temps, d’après le chercheur Mathieu Robert. « À long terme, c’est sûr qu’on veut produire des matériaux 100 % gérables en fin de vie. Mais pour l’instant, l’idée est d’éviter de produire des matériaux synthétiques – eux aussi compliqués à gérer en fin de vie – en utilisant ce qu’on a sous la main : des déchets. »

En outre, démontrer la durabilité des matériaux biosourcés est le grand défi des chercheurs, note-t-il. « C’est ce qui bloque le recours massif à ces matériaux, car les utilisateurs ont peur. Ils sont préoccupés par le rendement de l’investissement, et je les comprends. » Une grande partie de ses recherches portent sur la démonstration ou l’amélioration de la durabilité des matériaux écocomposites, souligne-t-il.

Mais la recherche progresse et se raffine, dit Jean-François Côté, de Soprema. « Les manufacturiers ont d’ailleurs tout intérêt à mettre au point des matériaux biosourcés. C’est clairement une valeur ajoutée. »

Bref, la table est mise et les carottes sont cuites. Reste plus qu’à appuyer sur le champignon.

Percées à surveiller

Voici quelques matériaux qui font l’objet de travaux dans les laboratoires québécois.

• Isolant d’ouate de cellulose (composé en majorité de journaux et de circulaires recyclés)

• Isolants biosourcés* pouvant être giclés

• Béton de chanvre industriel

• Panneaux d’isolation en fibre de chanvre

• Polymères recyclés renforcés avec de la paille résiduelle de chanvre ou de lin servant à fabriquer des parements extérieurs à isolation acoustique et thermique accrue

• Panneaux à base de gypse recyclé et de biomasse

• Panneaux contenant des matériaux à changement de phase (qui stockent la chaleur avant de la restituer) biosourcés*

* Différentes biomasses sont testées : bois et résidus de l’exploitation forestière, paille, tiges de lin, asclépiade, fibres de différents légumes, filaments de cellulose issus des papetières, etc.

Sources : Nicolas Bellerose (Recyc-Québec), Pierre Blanchet (Université Laval), Mathieu Robert (Université de Sherbrooke)