Chaque année depuis 2015, le Rendez-vous des écomatériaux de Val-des-Sources est l’occasion de découvrir des matériaux aussi étonnants qu’écologiques. Les 26 et 27 octobre dernier, l’évènement a fait la part belle aux matériaux donnant une nouvelle vie aux matières résiduelles. En voici trois exemples.
Béton de verre
Arezki Tagnit-Hamou est professeur au Département de génie civil et de génie du bâtiment de l’Université de Sherbrooke. Depuis 2004, il est titulaire de la Chaire SAQ de valorisation du verre dans les matériaux, où il mène avec son équipe des recherches sur l’inclusion des résidus de verre dans le ciment, notamment pour réduire l’empreinte carbone du béton. « La fabrication d’une tonne de ciment génère 800 kg de CO2, rappelle le professeur. Si, dans le mélange du béton, une partie du ciment est remplacée par [des résidus], on peut diminuer la “facture” de CO2. »
L’ajout de verre au mélange améliore en outre les propriétés mécaniques du béton. Au fil des ans et des recherches, l’équipe de la Chaire a établi des recettes pour produire de la poudre de verre et l’incorporer au mélange de béton. Le verre récupéré est broyé en fines particules d’environ 45 microns de diamètre chacune. Cette poudre peut remplacer de 10 % à 30 % du ciment, selon l’usage prévu pour le béton. Il en résulte un béton plus résistant à la compression et moins perméable, ce qui empêche le sel de déglaçage de pénétrer jusqu’aux armatures et de les corroder.
Avec ses partenaires municipaux et industriels, la Chaire a réalisé depuis une dizaine d’années différents projets pour transférer la technologie du laboratoire au terrain. Arezki Tagnit-Hamou donne en exemple des trottoirs à Montréal, des dalles à la SAQ, à la Maison du développement durable et au Musée des beaux-arts de Montréal, deux passerelles à l’Université de Sherbrooke. Mais ce dont il est particulièrement fier est la construction en 2020 et 2021 des ponts Darwin à L’Île-des-Sœurs, lauréats du prix d’excellence 2021 dans la catégorie Infrastructures de l’American Concrete Institute.
Le suivi de tous ces projets a permis de caractériser le comportement du béton en situation réelle et d’inclure, en 2018, la poudre de verre à la norme CSA-A3000-18 sur les matériaux liants utilisés dans le béton. « C’est un long chemin. Les travaux de laboratoire, la mise à l’échelle, la standardisation et le transfert technologique : tout cela a pris 15 ans », souligne Arezki Tagnit-Hamou.
Béton de colza
En France, ce sont les résidus de colza que le centre technique Construction durable et écomatériaux innovants (CODEM) veut valoriser dans le béton. Situé dans la région des Hauts-de-France, ce centre s’appuie sur des producteurs agricoles et des partenaires universitaires pour concevoir des écomatériaux et faire la promotion de la construction durable.
Il existe déjà en France une filière du béton de chanvre, mais elle est très localisée, selon Boubker Laidoudi, responsable de la recherche-développement et des essais au CODEM. En revanche, le colza se cultive partout en France. Mais les résidus végétaux de cette culture sont en général laissés au champ comme apports nutritifs pour le sol. C’est sur la base de ce constat que le CODEM a lancé en 2011 le projet Granupaille, qui vise à valoriser la paille de colza dans le béton.

Une première étude a établi que 25 % de la paille pouvait être retirée des champs sans nuire à la qualité du sol. Des travaux ont ensuite été menés en laboratoire pour mettre au point une recette de béton de colza et l’utiliser pour construire un mur. Enfin, l’équipe de Granupaille a rénové deux maisons bâties en ossature de bois et en torchis. « On a enlevé l’ancien torchis et on l’a remplacé par du béton de colza. »
Cette démonstration technique et une étude économique ont conduit, en 2018, à un second projet, BIP-Colza, visant à industrialiser cette filière. « On a travaillé sur deux applications : le bloc de remplissage et le bloc porteur », raconte Boubker Laidoudi. Comme la qualité des blocs dépend de celle des granulats de paille, le CODEM a rédigé avec ses partenaires agricoles un cahier de charges qui établit les critères de récolte de la paille. Le CODEM a ensuite déterminé les formulations de béton pour les blocs de remplissage et les blocs porteurs et il travaille maintenant à établir les règles de mise en œuvre. BIP-Colza doit déboucher sur un autre projet mené avec l’Office public d’habitation de l’Aisne, où le béton de colza sera utilisé dans la construction de logements HLM.
Les mycomatériaux
Le titre de la conférence était assurément intrigant : Les matériaux à base de mycélium : une technologie de gestion des matières résiduelles qui valorise tout sur son passage. Le mycélium, c’est ce réseau de filaments qui constitue la partie souterraine des champignons. Mais comment l’utiliser pour produire des matériaux ?
Geoffroy Renaud-Grignon, étudiant-chercheur à l’Institut de recherche en biologie végétale de l’Université de Montréal et fondateur de Mycélium Remédium Mycotechnologies, explique que les champignons ont la capacité de dégrader la lignine des arbres. Il ajoute qu’en 1998, le département des transports de l’État de Washington a publié un rapport sur la dégradation des hydrocarbures par des champignons. Une étude publiée en 2011 par des chercheurs de l’Université autonome métropolitaine, à Mexico, a quant à elle démontré la capacité de certains pleurotes à dégrader des couches jetables. D’où son idée d’utiliser les champignons comme technologie de gestion des résidus alimentaires, agricoles, textiles ou même des résidus de construction.

Photos : Mycélium Remédium Mycotechnologies

« Un champignon ne peut pas traiter toutes les matières, mais il y a une pléthore de souches de champignons qui ont leur intérêt pour des matières résiduelles précises », dit-il. Le mycélium polymérise les résidus et forme avec eux un matériau composite qu’il est possible de mouler pour fabriquer des objets, dont des matériaux de construction.
Mogu, une entreprise italienne, fabrique ainsi des panneaux acoustiques à l’aide de mycélium. Prenant part lui aussi à la conférence, Alan Boccato, directeur des cultures vivantes chez Mycélium Remédium Mycotechnologies, explique que la nature poreuse et fibreuse des mycomatériaux leur confère des propriétés acoustiques et thermiques qui rivalisent avec celles des matériaux conventionnels. « Cela ouvre tout un pan de la science des matériaux, à la convergence de la biologie, de l’économie circulaire et du génie des matériaux », croit Geoffroy Renaud-Grignon.
Des recherches dont il sera intéressant de suivre l’évolution dans les années à venir.