Depuis longtemps, les membres des Premières Nations et du peuple inuit peinent à dénicher une habitation de qualité, à coût abordable et répondant à leurs besoins. Des architectes se penchent sur la question.
À Sept-Îles, la construction de la future résidence étudiante pour Autochtones va bon train. Elle devrait être prête pour la rentrée scolaire de 2022. Sa conception a été confiée à la firme BGLA, qui a remporté le concours d’architecture organisé par la Société immobilière du Regroupement des centres d’amitié autochtones du Québec (RCAAQ), porteuse du projet.
Au début du processus de création, les architectes ont rencontré des femmes autochtones de la région, qui représentaient la principale clientèle visée, pour leur demander de décrire leur vision d’une résidence étudiante. « C’est déjà difficile de se déraciner de sa communauté pour venir étudier à Sept-Îles, on voulait concevoir un lieu qui leur ressemble », explique Caroline Girard, architecte associée chez BGLA.
L’une des participantes a souligné l’importance pour elle de « sentir l’odeur de la forêt et du feu ». Une autre imaginait un espace où il serait possible de « poursuivre [leurs] traditions, même en ville ».
« Elles voulaient une architecture sobre qui leur ferait garder le contact avec la terre ancestrale tout en leur permettant de plonger dans la modernité, raconte l’architecte. On a créé des espaces modulables pour faciliter les rencontres en famille et les rassemblements lors d’activités traditionnelles. »

Illustration : BGLA architecture + design urbain
Donner la parole
Mais les Premières Nations, le peuple inuit et les Métis n’ont pas toujours eu un droit de parole en matière d’habitation. Pendant des décennies, les gouvernements leur ont imposé des résidences calquées sur celles des Blancs qui ne leur permettaient pas de rester en contact avec la nature et de vivre en famille élargie. C’est l’une des principales raisons qui expliquent que les conditions de logement des ménages autochtones comptent aujourd’hui parmi les pires au Canada (voir « Vivre dans la précarité », ci-dessous).
Geneviève Vachon, architecte et professeure titulaire à l’École d’architecture de l’Université Laval, dirige le partenariat de recherche Habiter le Nord québécois, qui a pour objet d’étude l’habitat des Innus du Nitassinan et des Inuit du Nunavik. Travailler avec les communautés autochtones exige selon elle de laisser de côté ses a priori. « Il faut adopter une attitude d’ouverture, de curiosité et de respect envers une autre vision du monde et de la relation avec le territoire », explique l’enseignante.
Ce partenariat de recherche a donné lieu à plusieurs activités, dont des ateliers de design collaboratif et des visites de terrain. Quelque 250 étudiantes et étudiants de diverses disciplines se sont penchés sur les enjeux de l’habitat et de l’aménagement du territoire. « On a offert aux Innus et aux Inuit un lieu de réflexion ouvert sur l’innovation. On leur a donné la parole pour connaître leur quotidien, leur savoir-faire, leur vision de l’avenir », explique Geneviève Vachon.
« On a offert aux Innus et aux Inuit un lieu de réflexion ouvert sur l’innovation. On leur a donné la parole pour connaître leur quotidien, leur savoir-faire, leur vision de l’avenir »
– Geneviève Vachon
Les projets de recherche ont été variés, dont une étude sur les matériaux naturels et locaux utilisables dans la construction chez les Innus, la création d’un atlas sur les défis de l’aménagement en milieu nordique et l’analyse de solutions pour rénover le parc immobilier existant.
Sur le terrain, par contre, il reste beaucoup de travail à faire.
Des réticences à surmonter
À Sept-Îles, le projet de résidence étudiante a mis plusieurs années avant de se concrétiser, en raison notamment de l’opposition d’une partie de la population de la ville au premier site choisi. Des propriétaires craignaient que leur maison perde de sa valeur avec l’arrivée de ce nouveau voisinage. C’est finalement sur un terrain du Cégep de Sept-Îles que la construction a pu s’amorcer.
Dans les projets immobiliers en zone urbaine, l’acceptabilité sociale n’est pas le seul enjeu auquel se heurtent les communautés autochtones. « L’aspect réglementaire est très présent, affirme Tanya Sirois, directrice générale du RCAAQ. Les programmes d’aide au logement social, communautaire et abordable sont tellement normés, notamment en matière de superficie, qu’on peut difficilement innover pour répondre aux besoins des occupants. Chaque projet nous permet toutefois d’avancer dans la recherche de solutions. »
À Val-d’Or, le chantier du Château de Marie-Ève, où seront aménagés des logements sociaux pour personnes à haut risque d’itinérance, s’est amorcé à l’automne 2020. Plus de la moitié de la clientèle qui y sera accueillie est autochtone. Piloté par La Piaule, un organisme communautaire offrant de l’hébergement d’urgence aux personnes en situation d’itinérance, ce projet a lui aussi dû faire face à la résistance d’une partie de la population et de l’ancienne administration municipale, ce qui a entraîné un retard de plusieurs années. « Trouver un bâtiment à rénover n’a pas été simple non plus. Il faut s’armer de patience dans ce type de mandat », conseille Guillaume Lévesque, architecte, qui collabore avec La Piaule depuis 2012.
Il a consulté de futurs usagers et usagères pour connaître leurs attentes, mais sans véritable cocréation dans ce cas. « Ce sont des gens qui vont et viennent, cela rendait l’exercice difficile à réaliser », dit-il.
Le Château de Marie-Ève comptera une quarantaine de logements allant du studio à l’appartement de trois pièces et demie. Le percement de la façade latérale a permis de créer une nouvelle cour sécurisée et paysagée. L’architecte a aussi prévu des espaces communs qui pourront être transformés selon les besoins des occupantes et occupants, par exemple pour partager des repas ou se rencontrer. « Ils voulaient des espaces pour socialiser », dit Guillaume Lévesque.
À la demande des responsables de La Piaule, le projet intégrera une œuvre du peintre anishnaabe Frank Polson, un membre de la Long Point First Nation, de Winneway, reconnu pour ses peintures aux couleurs vives illustrant souvent des animaux porteurs de sens dans les cultures autochtones.
« Quand ils se sentent écoutés, les Autochtones ont tendance à se confier, dit Guillaume Lévesque. Ils ne savent pas toujours qu’ils peuvent avoir mieux sur le plan de l’habitation. Cela requiert davantage de communication de la part des architectes pour leur faire connaître les possibilités. »

Illustration : Guillaume Lévesque Architecte et ARTCAD Architectes en consortium
(la mention d’ARTCAD Architectes a été ajoutée après la publication initiale de cet article)
Construire des ponts
Le RCAAQ pilote deux autres projets de résidences étudiantes, à Trois-Rivières et à Montréal. Tanya Sirois se dit impressionnée par la recherche menée par les architectes des firmes liées à ces projets. « Ils nous permettent de rêver. Ils trouvent des solutions esthétiques et techniques pour concevoir des lieux qui nous rejoignent. »
Ainsi, les architectes de BGLA ont choisi, pour le projet de résidence étudiante à Sept-Îles, un revêtement en bois dont les textures évoquent l’écorce de bouleau. L’ensemble comptera 32 logements, répartis dans des maisonnettes de quatre ou six appartements, dont la plupart auront deux ou trois chambres.
« On ne voulait pas construire un bloc monolithique. De là est venue l’idée de construire des maisonnettes qui rappellent des tentes blanches dansant au vent », explique Caroline Girard. Les bâtiments donneront sur des cours invitantes et lumineuses qui sont aménageables pour la tenue d’événements communautaires : on pourra y installer des structures légères traditionnelles (comme la shaputuan ou tente conique à deux portes), et il sera possible d’y allumer des feux pour les loisirs ou la cuisson. Un centre de la petite enfance sur place facilitera les études des nombreuses étudiantes autochtones qui sont également mères. Bref, le projet vise à leur offrir un véritable milieu de vie. « Fournir un soutien social en plus d’un appartement est important pour nous », précise Tanya Sirois.
Même s’il reste beaucoup à faire pour améliorer les conditions de logement des Autochtones, la situation progresse, selon la directrice générale. « On peut aspirer à des solutions aussi grandes que toutes les années de colonialisme derrière nous. »
Elle est d’avis que l’architecture contribue à la réconciliation. « Le rôle de l’architecture va au-delà du beau et du fonctionnel. Les bâtiments réaffirment la présence des Autochtones sur le territoire », conclut-elle. ●
Vivre dans la précarité
Selon une étude de la Société canadienne d’hypothèques et de logement (SCHL) fondée sur les données du recensement de 2016, un Autochtone sur cinq (19,4 %) vit dans un logement qui a besoin de réparations majeures. La proportion est plus élevée au sein de la population inuite (26,2 %) et chez les Autochtones qui vivent dans les réserves (44,2 %). Ils et elles sont aussi 18,3 % à vivre dans un logement surpeuplé. Les ménages, souvent composés de deux ou trois générations, s’entassent dans des maisons trop petites où il est difficile de s’épanouir. Cette surpopulation favorise les problèmes sociaux et une usure prématurée des habitations.
En milieu urbain, la précarité, la discrimination et le choc culturel guettent les Autochtones qui s’y exilent pour les études, pour le travail ou pour avoir accès à un logement. « Il y a plus de 55 % des membres des Premières Nations qui vivent dans les villes, 15 % chez les Inuit, explique Tanya Sirois, directrice générale du RCAAQ. Ils s’y heurtent à un manque de logement locatif à coût raisonnable et de qualité. Ils peinent à trouver des appartements assez grands pour loger la famille. Plusieurs vivent dans des logements insalubres. On a aussi besoin d’hébergement de transition pour des personnes en situation de vulnérabilité, comme des femmes victimes de violence conjugale ou des jeunes qui quittent la DPJ [Direction de la protection de la jeunesse], et d’hébergements temporaires pour répondre à différents besoins. »
À cette situation préoccupante s’ajoute la forte croissance de la population autochtone (environ 20 % à chaque recensement depuis 1996), comparativement à celle de la population allochtone (3 % à 5 %). Pour combler les besoins à l’échelle du pays, il faudrait construire 73 000 nouvelles unités d’habitation, selon le caucus autochtone de l’Association canadienne d’habitation et de rénovation urbaine. L’investissement nécessaire s’élèverait, selon l’organisme, à 25 G$ sur 10 ans.
Des chantiers d’expérimentation
L’amélioration des conditions de logement des Autochtones fait partie des priorités de la Stratégie nationale sur le logement (SNL), que le gouvernement fédéral a lancée en 2017 en la dotant d’une enveloppe de 72 G$ sur 10 ans.
En 2020, la Société canadienne d’hypothèques et de logement (SCHL) a ainsi investi 257,5 M$ dans la construction de 3418 logements destinés aux Premières Nations, aux Inuit et aux Métis, et prévoit offrir dans les prochains mois plus de 4783 logements supplémentaires à ces populations. De plus, dans le cadre de l’Initiative pour la création rapide de logements, mise sur pied en 2020, la SCHL a appuyé la construction de plus de 4700 logements à travers le Canada, dont 38 % sont destinés aux Autochtones.

Photo : TRAME Architecture + Paysage
Partout au pays, des projets d’habitation sont menés par ou en collaboration avec les communautés autochtones, avec le soutien de la SCHL et de différents ministères et programmes. « Ces projets deviennent de véritables laboratoires de solutions, qui sont documentées de façon à ce qu’elles puissent être reproduites, explique Wendy Pollard, architecte et spécialiste principale, Innovation et recherche à la SCHL. On augmente ainsi la capacité d’innovation de la population autochtone en matière d’habitation. »
Kijaté, un immeuble de 24 logements sociaux situé à Val-d’Or, en Abitibi-Témiscamingue, représente bien ce type de démarche. Le bâtiment inauguré en 2019 est le fruit d’un projet lancé par le Centre d’amitié autochtone de Val-d’Or bien avant la SNL. Il procure aux résidents et résidentes un lieu de vie stable, adéquat et respectueux de leur identité. On y offre des services communautaires et de santé sur place, et des espaces communs permettent la tenue d’activités diverses (cuisine collective, cours de musique traditionnelle, etc.).
« Cela a pris 10 ans avant d’avoir toutes les autorisations, mais on peut dire que ce projet trace la voie », résume Tanya Sirois, directrice générale du RCAAQ.