Le 19 octobre dernier a été un jour de grandes réjouissances pour l’OAQ et, j’ose croire, pour toute la communauté architecturale : le premier ministre François Legault a enfin annoncé son intention de présenter une politique nationale d’architecture et d’aménagement du territoire, avec une date ferme en avril 2022. Alors que la pandémie semblait avoir mis en veilleuse les travaux de la Stratégie québécoise de l’architecture, cette volonté d’aller de l’avant avec une politique globale et intégrée ne pouvait que nous rassurer. Nous sommes déjà à pied d’œuvre pour collaborer à sa finalisation, et nous avons très hâte d’en voir les retombées dans l’environnement bâti québécois.
Ce progrès s’ajoute à celui que représente la nouvelle Loi sur les architectes, adoptée en 2020 après plus d’une décennie de discussions et de reports, et qui reconnaît pleinement le rôle de l’architecte tout en lui conférant de nouvelles activités réservées.
Ainsi, le Québec semble désirer plus de qualité architecturale, ce qui est très positif. Mais il y a un hic : les moyens donnés aux architectes pour répondre à ce désir légitime demeurent figés dans un ancien paradigme. Malgré le devoir d’exemplarité de l’État, le tarif d’honoraires qui normalise les rapports professionnels entre les architectes et le gouvernement (le fameux décret 2402-84) n’a pas été révisé depuis 1984. À l’époque, pour ceux et celles qui n’y étaient pas, la haute technologie, c’était de dessiner sur film, plutôt que sur papier. Plus déstabilisant encore, quand il est question de qualité, les taux horaires accordés aux architectes par le gouvernement, et qui sont utilisés comme maxima par nombre d’organismes publics, n’ont pas été indexés depuis avril 2009.
On ignore pour le moment quelle orientation prendra le gouvernement en matière de contrats publics, mais j’espère vivement qu’elle concordera avec les visées de la future Politique nationale d’architecture et d’aménagement du territoire.
Heureusement, l’Association des architectes en pratique privée du Québec demeure en contact régulier avec le Secrétariat du Conseil du trésor sur cette question. Or, la seule annonce publique qui laisse entrevoir une évolution se trouve dans le Plan d’action pour le secteur de la construction, dévoilé par le gouvernement en avril dernier. Ce plan prévoit le dépôt d’un projet de règlement afin d’établir de nouvelles règles pour les contrats de construction des organismes publics – dont ceux pour les services professionnels.
On ignore pour le moment quelle orientation prendra le gouvernement en matière de contrats publics, mais j’espère vivement qu’elle concordera avec les visées de la future Politique nationale d’architecture et d’aménagement du territoire. À tout le moins, j’espère que le gouvernement n’ouvrira pas la porte au mode de sélection en fonction du « plus bas soumissionnaire », comme son prédécesseur comptait le faire en 2018 dans un autre projet de règlement qui a heureusement été suspendu. Comment, en effet, pouvoir sainement exiger plus en cherchant à payer moins ?
Afin de pouvoir en toute équité exiger que les architectes du Québec répondent aux défis de demain plutôt que de simplement mettre à jour leurs acquis, il est urgent de régler la question de leur rémunération. Comme le fait ressortir une étude de Raymond Chabot Grant Thornton citée dans ce numéro d’Esquisses, 93 % des firmes d’architecture sondées en 2020 disent écarter les donneurs d’ouvrage publics de leur carnet de commandes. Les taux horaires prévus au décret expliquent en grande partie ce désintérêt. La Société québécoise des infrastructures note de son côté une baisse du nombre moyen de soumissionnaires par appel d’offres (tous types de soumissionnaires confondus), selon le Plan d’action pour le secteur de la construction. Difficile de favoriser la qualité quand l’éventail du choix diminue…
Alors que l’actuelle pénurie de main-d’œuvre pousse les salaires à la hausse et oblige les bureaux à choisir leurs mandats en fonction de leur capacité limitée, la situation est devenue intenable. Le gouvernement ne pourra prétendre servir d’exemple à l’ensemble des donneurs d’ouvrage s’il ne parvient pas à offrir des conditions acceptables à ceux et celles qui fournissent des services professionnels.
Cet enjeu va bien au-delà de la conduite des affaires ; il concerne avant tout la protection du public. En effet, le Code de déontologie des architectes leur interdit d’offrir ou de rendre des services professionnels faute de préparation suffisante, d’aptitudes, de connaissances ou des moyens requis. Il faut éviter à tout prix que des architectes se retrouvent devant un dilemme insoluble, divisés entre leur capacité à couvrir les frais engendrés par un projet et leurs obligations déontologiques.
En vertu de sa mission de protection du public, l’OAQ soumet ses membres à des exigences élevées en matière de compétence, de formation continue, d’assurance responsabilité et de tenue de dossiers. Le niveau de qualité qui en résulte doit impérativement être reconnu, et cela passe par une rémunération en conséquence.