Jacques White, directeur de l’École d’architecture de l’Université Laval, voit dans l’architecture commerciale un formidable terrain d’émulation. À condition de jouer les bonnes cartes.

Propos recueillis par Christine Lanthier

Qu’est-ce que les architectes peuvent apporter comme valeur ajoutée dans le contexte évolutif du commerce de détail?

Sans vouloir sous-estimer les ambitions des commerçants, leur but est essentiellement de produire des bénéfices. Si les clients n’apprécient pas leur commerce, il ne fonctionnera pas. Donc l’aspect séduction est très important. Et les architectes ont tout un arsenal de moyens, conceptuels et autres, pour répondre à ça. Un peu comme il travaille avec un danseur pour faire une salle de danse, un architecte va travailler avec un détaillant pour arriver à des solutions. Mais il faut être capable d’aller au-delà du besoin de faire de l’argent et de séduire. On pense à tort que la préoccupation des architectes est l’esthétisation, mais c’est plutôt d’apporter une forme de bonheur ou de plaisir aux gens. Au-delà de l’aspect visuel, ils peuvent remettre en question le rapport entre le commerce et la ville, réfléchir à comment les consommateurs vont acheter les produits en fonction de l’endroit où ils habitent et où ils travaillent, de la manière dont ils se déplacent.

Encore faut-il qu’il y ait une ouverture côté client…

C’est sûr. Mais quand un client allumé veut faire quelque chose de différent, qu’il est prêt à essayer et qu’il a des moyens, c’est formidable pour un architecte. Et quand le commerçant reconnaît dans l’architecte une possibilité d’évolution, c’est gagnant-gagnant. Il faut arrêter de voir l’architecture commerciale comme le parent pauvre de la discipline. Il y a vraiment là des occasions qui sont offertes aux architectes. Les gens adorent aller magasiner; c’est ça qui met de l’animation dans l’espace urbain.

Il reste que notre paysage est plein de centres commerciaux beiges, accessibles seulement en voiture.

Le problème qu’on a en Amérique du Nord, c’est l’uniformisation : on établit un seuil minimum où tout devient acceptable, et on est assez peu intéressé par ce qui est en supplément. Mais si, d’un projet à l’autre, on satisfait un segment de clientèle et que cette clientèle en redemande et influence un autre segment, les choses peuvent changer sur le terrain. Un peu comme ça s’est fait avec les aliments biologiques.

Est-ce que les villes devraient être plus exigeantes envers les projets qu’elles acceptent sur leur territoire?

Je suis membre de la Commission d’urbanisme et de conservation de Québec. J’ai voulu qu’on intervienne plus en amont, pour aider les promoteurs à faire de meilleurs projets, plutôt que lors de la demande de permis, une fois que tout est ficelé. On m’a bien fait comprendre que c’est comme ça que ça fonctionne. Pourtant, la Ville a des PPU [programmes particuliers d’urbanisme] et toutes sortes de programmes assez raffinés. Mais les promoteurs présentent des projets qui en sont des versions appauvries parce qu’ils les ont développés tout seuls de leur côté. Ensuite, la Ville demande des concessions, et un jeu de souque à la corde commence. 

Il faudrait que les projets soient d’abord présentés comme une base de discussion plutôt que comme quelque chose de définitif.

Exactement.

Les magasins Sears viennent de fermer. On reste pris aujourd’hui avec ces espaces faits pour une autre époque. Comment éviter cette désuétude?

Selon le principe du développement durable, pour assurer la pérennité des choses, on les fait très solides tout en s’assurant qu’elles vont être adaptables. Ou alors on va vers quelque chose de complètement renouvelable, quitte à le recycler au bout d’un certain temps. Le problème avec l’architecture commerciale, c’est qu’on est entre les deux. Ça vient avec des infrastructures, des routes, des grands stationnements, de l’éclairage, de la signalisation et, une fois que c’est construit, on ne peut plus reculer. Or, dès que les choses changent, ça ne marche plus. Tant qu’on va penser à court et à moyen terme, on va être encombrés d’objets qui ne sont pas assez solides pour être durables et qui ne sont pas assez temporaires pour être efficients de ce point de vue là.

Qui aurait la clé de ce dilemme? L’État, les villes, le privé, les architectes?

N’importe qui ! Si tout le monde attend après tout le monde, ça ne marchera jamais. À partir du moment où il y a de bons exemples, c’est là qu’on peut amener de l’innovation.