Agriculture urbaine Eureko
Plantation de plate-bande comestible, Larouche, Saguenay-Lac-Saint-Jean, Eurekô!
Photo : Eurekô!

L’agriculture urbaine connaît une croissance soutenue, bien qu’inégale, partout au Québec. Tour d’horizon.

Malgré ses airs de nouveauté, l’agriculture urbaine est aussi vieille que les villes elles-mêmes. « Il y a toujours eu de la production alimentaire à proximité des milieux de vie, mais, pour différentes raisons liées à l’urbanisation, à l’augmentation de la valeur foncière et au développement des moyens de transport, l’agriculture s’est progressivement éloignée de la ville », résume Vincent Galarneau, conseiller, agriculture et environnement pour l’organisme Vivre en Ville.

En Occident, c’est en période de crise que l’agriculture réapparaît en milieu urbain. Durant les deux guerres mondiales, les jardins de la Victoire étaient destinés à accroître l’envoi de denrées aux soldats tout en mobilisant les civils. Selon l’Encyclopédie canadienne, en 1944, le pays comptait jusqu’à 209 200 de ces potagers urbains. On en trouvait notamment à Montréal, à Québec et même à Arvida, au Saguenay.

Quelques décennies plus tard, les jardins communautaires ont fait leur apparition. « Dans les années 1970, le choc pétrolier a causé une crise économique, donc certaines personnes ont dû trouver des solutions de rechange pour se nourrir, raconte Éric Duchemin, professeur associé à l’Institut des sciences de l’environnement de l’UQAM et directeur du Laboratoire d’agriculture urbaine (AU/LAB), un organisme à but non lucratif. C’est à ce moment qu’est apparu l’embryon du mouvement de l’agriculture urbaine à Montréal, basé sur les notions de sécurité et de justice alimentaires. » Aujourd’hui, la métropole compte 8500 parcelles individuelles cultivées annuellement par 12 000 à 15 000 personnes. 

Un Québécois sur deux

Jardin sur le toit du Palais des congrès, Montréal, AU/LAB
Photo : AU/LAB

Depuis une dizaine d’années, l’agriculture urbaine a pris un virage grand public, et on voit maintenant poindre des projets en dehors de la métropole. Selon le professeur Duchemin, 42 % des Montréalais disent pratiquer l’agriculture urbaine et 52 % des Québécois affirment avoir au moins une plante potagère chez eux. « Auparavant, les gens se mettaient des limites mentales en se disant qu’une ville, c’est sale et que les sols y sont contaminés. Puis, ils se sont rendu compte qu’ils pouvaient cultiver en bacs. » ‘ 

« Plusieurs personnes souhaitent aujourd’hui avoir une meilleure prise sur leur alimentation, et le jardinage urbain est l’une des approches possibles, poursuit Vincent Galarneau. Certains cherchent l’autonomie alimentaire, mais la majorité veut surtout améliorer la qualité de ses aliments. »

Les citoyens sont donc à l’affût des possibilités qui s’offrent à eux. À Gatineau, la consultation en vue de l’adoption du Programme d’agriculture urbaine 2016-2018 est celle qui a généré le plus de participation dans l’histoire des consultations publiques de la Ville : plus de 550 personnes et organismes y ont pris part. L’Office de consultation publique de Montréal a fait un exercice semblable en 2012, auquel ont participé près 1500 personnes. Cette consultation est d’ailleurs une des deux seules de l’histoire de la métropole à résulter d’une demande des citoyens.

Pollinisation régionale

« Depuis deux ans, l’agriculture urbaine est réellement sortie de Montréal », constate par ailleurs Éric Duchemin. Les assouplissements réglementaires concernant par exemple l’élevage urbain (voir plus bas) et les jardins en façade fleurissent à Drummondville, à Longueuil, à Sherbrooke et à Victoriaville, entre autres.

De son côté, la Ville de Gatineau finance, depuis les années 1980, des jardins communautaires, auxquels se sont ajoutés des jardins collectifs (voir « Jardins communautaires ou collectifs ? », ci-dessous). « Pour nous, la tomate consommée n’est qu’une plus-value », précise Marie-Noële St-Pierre, agente de développement social et communautaire de cette municipalité et responsable du dossier de l’agriculture urbaine. « Notre objectif est avant tout le développement social qui se fait autour : les jardins font sortir les citoyens de leur isolement et permettent des rapprochements interculturels et intergénérationnels. » ‘

Même constat du côté de Saguenay, qui a connu en 2012-2013 un boom de jardins collectifs. « Ce sont des subventions du Fonds québécois d’initiatives sociales qui les ont financés, car l’agriculture urbaine est un bon moyen de travailler, par exemple, auprès des femmes victimes de violence et des personnes avec des problèmes de santé mentale », explique Marie-Lise Chrétien-Pineault, chargée de projet à Eurêko!, un organisme saguenéen d’action environnementale.

Certaines municipalités prévoient en outre des aménagements paysagers publics comestibles. C’est par exemple le cas de Saint-Bruno-de-Montarville, de La Pocatière, de Gatineau et de Saint-Fulgence, près de Saguenay. Le centre-ville de Chicoutimi devrait aussi en compter quelques-uns pour la première fois cet été, gracieuseté d’Eurêko ! L’organisme propose également aux municipalités de la région d’aménager de petites forêts nourricières, comme l’ont fait Mashteuiatsh et Saint-François-de-Sales, notamment. « On y trouve différentes strates de végétaux qui sont tous comestibles et qui vont créer une symbiose au fil du temps : un pommier, du myrique baumier, des fines herbes, etc., énumère Marie-Lise Chrétien-Pineault. L’idée est d’implanter un petit écosystème qui vit par lui-même et qui va continuer d’être intéressant esthétiquement même si, un jour, plus personne ne s’en occupe. »

Eurêko! n’entend pas s’arrêter là. Grâce à une subvention du Fonds d’action québécois pour le développement durable, il a lancé ce printemps sa démarche Municipalités nourricières, destinée aux villes de moins de 10 000 habitants. « Nous voulons faire de l’agriculture urbaine un outil de revitalisation pour les villages qui sont en perte de population, qui manquent d’activités et de lieux de rencontre », résume la chargée de projet.

Des règlements à adapter

L’agriculture urbaine demeure toutefois un terrain à apprivoiser, tant pour les villes que pour leurs habitants. « À Gatineau, les citoyens attendent souvent d’avoir l’autorisation de la Ville avant de lancer un projet, alors que nous voudrions qu’ils prennent l’initiative », fait remarquer Marie-Noële St-Pierre. « La municipalité a certainement un rôle à jouer, mais tout ne doit pas non plus lui revenir, poursuit Vincent Galarneau, qui a agi à titre de consultant pour la Ville sur ces questions. Ça prend aussi des citoyens qui vont mobiliser leur quartier et assurer la pérennité de ces projets-là. Il reste beaucoup de travail de maillage à faire. »

Sans compter qu’à bien des endroits, la réglementation représente davantage un frein qu’un accélérateur. « Pour l’instant, la planification des villes ne tient pas compte de l’agriculture urbaine, car elle ne prévoit pas de terrains ou de zonage spécifique, déplore Éric Duchemin. À chaque nouveau projet, les démarches – assez longues et fastidieuses – sont à refaire, alors qu’il faudrait s’assurer que, quand un projet parvient [à obtenir une dérogation], la réglementation soit modifiée pour que les autres puissent ensuite en profiter. »

Certaines limites administratives sont également plus difficiles à franchir que d’autres. Ainsi, les potagers en façade n’ont été permis qu’après d’intenses débats à Québec et à Drummondville. « Si la population est favorable au jardinage de façon générale, fait remarquer Vincent Galarneau, la belle pelouse à l’avant est encore la norme sociale. »

Quoi qu’il en soit, les quatre experts consultés s’entendent sur l’énorme potentiel de développement de l’agriculture urbaine. « Elle peut être utilisée de multiples façons et viser plusieurs objectifs, selon les gens qui la pratiquent », note le professeur Duchemin. En somme, l’imagination des jardiniers urbains n’a pas de limites. Encore faut-il la laisser fleurir.


Le MAPAQ veut « mettre en place un terreau fertile »

Jardin sur le toit du Centre culturel et environnement Frédéric Back, Québec
Photo : Vivre en Ville

En juillet 2016, le ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation (MAPAQ) a fait de l’agriculture urbaine une priorité en lançant sa toute première Stratégie de soutien, assortie d’un budget de 2 M$ sur 3 ans. « Nous souhaitons favoriser le développement de cette activité, dont nous avons vu l’engouement évoluer depuis 2010-2012, mais il faut que ça se fasse de manière adéquate », précise Alexis Cadieux-Gagnon, conseiller en mise en marché de proximité et développement territorial au MAPAQ.

Des outils seront entre autres proposés aux municipalités afin de « mettre en place un terreau fertile » pour le développement de l’agriculture urbaine sur leur territoire. « Nous voulons leur suggérer une démarche d’encadrement et leur donner de bons exemples – Gatineau, par exemple –, sans leur dire comment réglementer », résume Alexis Cadieux-Gagnon.

De leur côté, les entreprises auront accès à divers programmes de financement. L’amélioration et le transfert de connaissances sont également prévus, avec la participation d’établissements de recherche comme l’Institut de technologie agroalimentaire de Saint-Hyacinthe. Finalement, des projets de sensibilisation de la population, dont la mise en ligne d’une trousse d’information, sont enclenchés depuis l’été dernier.

Même s’il doute que le budget alloué soit suffisant, l’organisme Vivre en Ville « salue » le projet du MAPAQ. « C’est un premier pas vers la reconnaissance de l’agriculture urbaine, un bon signal que celle-ci n’est plus uniquement considérée comme un loisir, mais comme une activité à part entière qui peut jouer son rôle dans l’alimentation des populations », conclut le conseiller en systèmes alimentaires de proximité Vincent Galarneau.
 


En juillet 2016, le ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation (MAPAQ) a fait de l’agriculture urbaine une priorité en lançant sa toute première Stratégie de soutien, assortie d’un budget de 2 M$ sur 3 ans. « Nous souhaitons favoriser le développement de cette activité, dont nous avons vu l’engouement évoluer depuis 2010-2012, mais il faut que ça se fasse de manière adéquate », précise Alexis Cadieux-Gagnon, conseiller en mise en marché de proximité et développement territorial au MAPAQ.

Des outils seront entre autres proposés aux municipalités afin de « mettre en place un terreau fertile » pour le développement de l’agriculture urbaine sur leur territoire. « Nous voulons leur suggérer une démarche d’encadrement et leur donner de bons exemples – Gatineau, par exemple –, sans leur dire comment réglementer », résume Alexis Cadieux-Gagnon.

De leur côté, les entreprises auront accès à divers programmes de financement. L’amélioration et le transfert de connaissances sont également prévus, avec la participation d’établissements de recherche comme l’Institut de technologie agroalimentaire de Saint-Hyacinthe. Finalement, des projets de sensibilisation de la population, dont la mise en ligne d’une trousse d’information, sont enclenchés depuis l’été dernier.

Même s’il doute que le budget alloué soit suffisant, l’organisme Vivre en Ville « salue » le projet du MAPAQ. « C’est un premier pas vers la reconnaissance de l’agriculture urbaine, un bon signal que celle-ci n’est plus uniquement considérée comme un loisir, mais comme une activité à part entière qui peut jouer son rôle dans l’alimentation des populations », conclut le conseiller en systèmes alimentaires de proximité Vincent Galarneau.
 


Jardins communautaires ou collectifs ?

Les jardins communautaires et les jardins collectifs sont deux types d’infrastructures différentes. Les jardins communautaires sont subdivisés en plusieurs parcelles sur lesquelles les citoyens d’une ville peuvent cultiver leur propre potager. Comme le souligne Vincent Galarneau de Vivre en Ville, ils relèvent généralement des divisions des loisirs des municipalités et sont très encadrés. Quant aux jardins collectifs, il s’agit plutôt de terrains habituellement gérés par des organismes communautaires et cultivés par un groupe qui se partage à la fois les tâches et les récoltes.


L’élevage urbain, « la prochaine grande étape »

Photo : Kristine Paulus

L’agriculture urbaine englobe également la récolte de produits animaux tels les œufs et le miel. L’élevage représente d’ailleurs la prochaine grande étape du mouvement au Québec, selon Vincent Galarneau. «Nous devons avoir une discussion collective sur cet enjeu, car plusieurs acteurs s’y opposent férocement, alors que beaucoup d’autres revendiquent la chose d’un point de vue éducatif et alimentaire.

À Montréal, les arrondissements de Ville-Marie, de Mercier–Hochelaga-Maisonneuve et de Rosemont–La Petite-Patrie (RPP) ont permis, pendant l’été 2016, l’élevage de poules à quelques endroits précis. «La situation va changer avec la nouvelle réglementation sur les pitbulls, car la responsabilité des animaux est passée des arrondissements à la ville-centre », avance Éric Duchemin. Cet été, le laboratoire d’agriculture urbaine qu’il dirige travaillera avec l’entreprise POC sur un projet pilote de réintroduction des poules chez une cinquantaine de particuliers dans RPP.

Un essai semblable se déroulera à Gatineau, qui a octroyé 50 licences. «Elles se sont envolées en une journée, le lendemain de l’adoption du règlement le 14 février », affirme Marie-Noële St-Pierre. Une poignée d’autres municipalités, telles Chambly, Drummondville, Cowansville, Mont-Joli et Sainte-Anne-des-Plaines, ont aussi réglementé l’élevage de poules en secteur résidentiel. À Québec, il demeure interdit.

Bourdonnement de ruches 

Des toits d’hôtels à ceux d’organismes communautaires, l’apiculture urbaine gagne aussi des adeptes, entre autres parce que la pratique est permise dans la plupart des municipalités — ainsi, Montréal compte plus de 570 ruches. Gatineau, l’une des rares à l’interdire, a lancé cet hiver un projet pilote afin d’encadrer ses 15 premiers apiculteurs et, ultimement, de modifier son règlement. Comme tous les propriétaires d’abeilles de la province, ceux-ci devront s’enregistrer auprès du ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation (MAPAQ).

Si les abeilles et les poules urbaines semblent avoir de beaux jours devant elles, ce ne sera sans doute pas demain la veille que seront permis les élevages de lapins ou de cochons. «L’abattage soulève énormément d’enjeux de salubrité, de contrôle animalier et de préoccupations sanitaires, fait valoir Marie-Noële St-Pierre. Il faudrait aussi faire appel au MAPAQ.