Pour les étudiants et étudiantes en architecture, les échanges avec les camarades et professeurs se révèlent primordiaux. La distance qu’imposent les mesures sanitaires pendant la pandémie de COVID-19 freine cependant l’émulation, si chère à la profession.
Les entrevues pour cet article ont été réalisées en novembre 2020. Les mesures de confinement visant les universités pourraient avoir changé au moment de la publication.
« Le pire impact de la pandémie, c’est le manque de socialisation », avance le directeur de l’École d’architecture de l’Université Laval, Jacques White, en évoquant l’entraide et la collaboration qui prévalent en temps normal au sein de la population étudiante.
Le directeur de l’École d’architecture Peter Guo-hua Fu de l’Université McGill, Martin Bressani, abonde dans le même sens. « L’immense perte, c’est le contact entre les étudiants et l’esprit de corps qui est créé au cours des ateliers, dit-il. Même si on organise des réunions Zoom [pour qu’ils puissent socialiser], la vie universitaire que tout étudiant est en droit d’exiger n’existe pas. »
Des cours à distance
À la rentrée 2020-2021, l’ensemble des étudiantes et étudiants en architecture suivaient leurs cours magistraux à distance. Les ateliers de design, qui représentent le noyau de la formation universitaire et qui figurent à l’horaire de toutes les sessions des programmes de baccalauréat et de maîtrise, se déroulaient dans certains cas en présentiel, notamment au deuxième cycle à l’Université McGill. Ils sont passés au mode à distance lorsque la progression de la pandémie de COVID-19 l’a exigé au cours de l’automne.
L’Université Laval fait figure d’exception. Malgré l’intensification de la propagation du virus, les étudiants et étudiantes ont continué de se présenter à l’École d’architecture pour effectuer des travaux pratiques. « L’astuce, c’est que les ateliers sont considérés comme des laboratoires », indique Jacques White. Or, ces derniers pouvaient avoir lieu en présentiel en vertu des consignes de santé publique, moyennant certaines mesures de distanciation. De plus petits groupes travaillaient donc ensemble à l’université une demi-journée par semaine, plutôt qu’une journée et demie en temps normal. Le reste du temps, étudiantes et étudiants s’affairaient à leurs projets à la maison.
Comme dans les autres universités, les enseignantes et enseignants de McGill ont misé sur la technologie afin de poursuivre les ateliers. Grâce à différentes applications, ils ont pu retravailler à distance les dessins soumis par les étudiants et étudiantes, exposer virtuellement leurs travaux et tenir des discussions en ligne.
« Ça fonctionne assez bien », dit Martin Bressani, qui souhaite néanmoins un retour au mode présentiel le plus rapidement possible. Il souligne que la fabrication de maquettes à domicile est plus laborieuse. « Les étudiants n’ont pas accès à un atelier de bois ou de métal. Ils font des maquettes en carton », rapporte-t-il.
Si l’enseignement a pu se poursuivre virtuellement dans les universités et même pendant les stages, il en va tout autrement pour les échanges internationaux et les voyages à l’étranger. « Tout a été annulé, se désole Martin Bressani. C’est une grosse perte pour les étudiants. Ce sont des expériences marquantes. »
En manque de proximité
Dans ces conditions d’apprentissage, celles et ceux qui suivent la formation se sentent redevables des actions déployées par les écoles pour leur permettre de poursuivre leurs études en temps de pandémie, mais ils et elles admettent que la proximité avec leurs camarades et le corps enseignant leur manque. Impossible d’intervenir spontanément dans une discussion de classe, d’entendre les commentaires que le professeur formule à l’équipe d’à côté ou de passer à l’improviste au bureau du chargé de cours.
« Les étudiants de deuxième année ont eu un an en présentiel; ils ont déjà développé un esprit de camaraderie. Ceux de première année n’ont pas cet avantage. »
– Martin Bressani
« L’architecture, c’est un milieu d’échange et de collaboration, affirme la présidente de l’Association des étudiantes et étudiants en architecture de l’Université Laval (ASSÉTAR), Jasmine Minville. On n’a pas le choix d’échanger pour développer notre créativité et notre esprit critique. »
« Ce qui me manque, c’est la profondeur, confie pour sa part l’étudiante de deuxième année de l’Université Laval et vice-présidente de l’ASSÉTAR, Élizabeth McNeil. Pendant une conférence Zoom, plus de la moitié de la classe ferme sa caméra. On nous présente des projets, mais c’est plus dur de discuter. »
Calina Olari, une étudiante de troisième année de l’Université de Montréal, s’ennuie de la complicité qu’elle a développée avec ses coéquipières et coéquipiers. « En présentiel, autour de la table, on sketche et on s’entend sur ce qu’on dessine. On est habitué de s’entraider, parfois jusqu’à 3 h du matin, dans le local de l’atelier. À travers un écran, c’est plus compliqué. »
Pour les étudiantes et étudiants de première année, cette émulation s’avère plus difficile à trouver. « Ils ne se connaissent pas, note Martin Bressani. Les étudiants de deuxième année ont eu un an en présentiel; ils ont déjà développé un esprit de camaraderie. Ceux de première année n’ont pas cet avantage. »
Les écoles d’architecture s’inquiètent d’ailleurs pour ceux et celles qui viennent d’entamer leur cursus. « Cette génération entraînera des changements [dans le mode d’exercice de la profession], prévoit Jacques White. On va mesurer le rattrapage nécessaire après la pandémie. »
Des exigences maintenues
La santé mentale des étudiantes et étudiants en architecture préoccupe également les membres du corps professoral. Enseignants et enseignantes acceptent bien de revoir les échéanciers et de repenser les évaluations, mais tiennent à maintenir leurs exigences.
« On ne veut pas trop baisser les attentes parce qu’on a une responsabilité : leur diplôme doit être représentatif de l’ensemble des compétences qu’ils doivent acquérir au cours du programme », explique Jacques White. Il a malgré tout demandé à ses collègues « d’être plus efficaces et plus concis » dans leur enseignement.
De son côté, Martin Bressani limite la durée des vidéoconférences et il réserve un moment, à la fin, pour parler à bâtons rompus avec ses groupes. « On essaie de garder nos exigences, [mais] on est très conscient [de leurs difficultés], dit-il. On est à l’écoute. C’est une année très spéciale… »
Des conséquences ?
Même si la somme de travail demeure considérable et que les critères d’évaluation restent inchangés, les étudiantes et étudiants se font du souci pour la qualité de leur formation. « Est-ce qu’on aura des lacunes ? Est-ce que des barrières se dresseront devant les finissants ? » demande Jasmine Minville.
« Ils seront aussi bien formés que les autres architectes », insiste Martin Bressani. Son homologue de l’Université Laval s’attend pour sa part à ce que ces architectes de demain aient gagné de cette expérience une grande capacité d’adaptation et une plus grande familiarité avec une variété de moyens de communication.
« Ils vont faire preuve des mêmes efforts, de la même intelligence et de la même créativité, mais avec des façons de faire différentes. Ce ne sera pas une génération sacrifiée », assure Jacques White.