Exploiter une serre commerciale sur un toit tombe sous le sens du point de vue énergétique. Sur le plan réglementaire, par contre, c’est beaucoup moins évident. Parlez-en aux fondateurs des Fermes Lufa.

Mohamed Hage, fondateur et président des Fermes Lufa, est un pionnier. En 2011, son entreprise a inauguré dans le quartier Ahuntsic la première serre commerciale du monde à être située sur le toit d’un bâtiment industriel. « La première fois que j’ai rencontré un propriétaire d’immeuble, en 2009, il n’arrivait pas à saisir le concept… Et quand il a fini par comprendre, il m’a mis dehors ! se souvient-il en riant. Aujourd’hui, des propriétaires d’immeubles nous téléphonent 5 à 10 fois par jour. »

Il faut dire que la technique a fait ses preuves, si bien que Lufa a ouvert deux autres serres dans la région métropolitaine. « Nous avons aujourd’hui environ 13 000 m2 de production hydroponique et nous sortons à peu près 15 palettes de légumes par jour, affirme l’entrepreneur. Nous arrivons à faire pousser à l’année plus de 140 variétés de légumes de façon rentable – laitues, concombres, céleris, poivrons, etc. – et nous avons des projets de recherche en cours pour d’autres. » 

Les toits en ville sont beaucoup plus favorables à la production en serre que le niveau du sol, selon l’entrepreneur. « Nous estimons utiliser la moitié moins d’énergie parce que nous récupérons la chaleur du bâtiment en dessous et du béton autour. » 

Sortir du cadre

Fermes Lufa, Ahuntsic-Cartierville (Montréal)
Photo : Benoit Rochon

L’approche de Lufa comporte toutefois ses défis. « Même si les bâtiments industriels sont conçus pour recevoir des charges supplémentaires, ni le Code de construction ni les spécifications des serres standards au sol ne sont adaptés aux serres en toiture », résume Yahya Badran, directeur de l’ingénierie et membre fondateur, également propriétaire de FDA Construction. « Pour l’instant, nous construisons des serres qui respectent le Code de construction, mais nous travaillons très fort [auprès des autorités concernées] pour obtenir plus d’ouverture à ce sujet. » L’entreprise travaille aussi à la mise au point de technologies qui permettraient de faciliter l’intégration de serres sur les toits de nouveaux immeubles, et d’en diminuer le coût afin qu’il s’approche de celui d’un revêtement en membrane.

Les démarches à entreprendre auprès des municipalités requièrent aussi une bonne dose de patience. « Nous avons une serre à Ahuntsic, une à Laval et une à Anjou, donc il a fallu effectuer trois fois les formalités pour les changements de zonage », note Yahya Badran.

À l’inverse, la démarche auprès du ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation a été simple. « Nous n’avons eu qu’à nous inscrire comme producteur et à devenir membre de l’Union des producteurs agricoles », relate Mohamed Hage. Quant à la réaction des citoyens de la région métropolitaine – à qui Lufa livre aujourd’hui « plus de 10 000 paniers » par semaine –, elle a été « très positive ». 

Un secteur à défricher

Fermes Lufa, Ahuntsic-Cartierville
Photo : Benoit Rochon

En plus des Fermes Lufa, la métropole compte actuellement une poignée d’autres producteurs agricoles, comme La ferme Pousse-Menu à Montréal-Ouest, la champignonnière Blanc de gris dans Hochelaga-Maisonneuve – dont les installations sont situées à l’intérieur de bâtiments – et la semencière artisanale Terre Promise, qui exploite des champs à L’Île-Bizard. « Il y a un intérêt grandissant pour des fermes urbaines ici et ailleurs dans le monde. Je crois que dans deux ans, les projets vont émerger de partout », souligne le professeur Éric Duchemin, qui coordonne l’École d’été sur l’agriculture urbaine depuis 2009. « Depuis deux ou trois ans, il y a de plus en plus de participants qui portent des projets [à visée commerciale] et de jeunes architectes et urbanistes qui souhaitent pouvoir intégrer l’agriculture urbaine dans leur pratique », remarque-t-il.

Quant à Mohamed Hage, il espère avoir un jour des compétiteurs. « Nous ne voulons pas demeurer les seuls [à exploiter des serres sur les toits au Canada], parce que nous voulons que ça devienne une industrie. »