Le consortium formé de Kuehn Malvezzi, Pelletier de Fontenay et Jodoin Lamarre Pratte architectes a marié architecture et muséologie pour offrir au public une immersion dans le monde des insectes.
Photos : James Brittain
Avant de lancer le concours international d’architecture pour la métamorphose de l’Insectarium de Montréal, en 2014, Espace pour la vie, qui chapeaute aussi le Jardin botanique, le Planétarium, le Biodôme et la Biosphère, a longuement réfléchi au futur espace.
« La vision portée par Anne Charpentier [l’ancienne directrice] est issue d’une démarche de codesign », précise l’actuel directeur de l’Insectarium, Maxim Larrivée. Une vingtaine de spécialistes de domaines divers, allant du biomimétisme au cinéma, en passant évidemment par l’entomologie, se sont réunis pour imaginer le nouvel espace.
« Ce qui est ressorti, ajoute-t-il, c’est que le musée devait permettre au public de se mettre à la place des insectes. Quand le monde des humains et celui des insectes se rencontrent, l’expérience est souvent négative. On voulait rendre cette relation positive, susciter des émotions que les gens allaient vouloir revivre en misant sur la biophilie », soit le fait d’aimer le vivant… dont les insectes.
Le projet du consortium incarnait cette idée à la perfection, selon Maxim Larrivée. « Ils ont proposé un geste architectural qui s’inscrit dans le narratif du musée et s’intègre à merveille dans le Jardin botanique. »
Au lieu de réaliser une boîte noire dans laquelle le musée insère ses expositions, l’équipe de conception a formalisé l’expérience. La scénographie et l’architecture ne font qu’un. « On a poussé la commande à l’extrême. Le musée dynamique, parfois désorientant, engage beaucoup le corps », souligne Hubert Pelletier, associé principal de Pelletier de Fontenay.
Un parcours sensoriel
Dès l’entrée, en pénétrant dans le tunnel sombre, on laisse la ville derrière soi. Le dédale de galeries souterraines invite à découvrir l’univers des fourmis et autres bibittes, puis à s’émerveiller devant la collection de 3000 spécimens naturalisés, présentée à l’intérieur du dôme de 10 m de haut, avant d’émerger dans le grand vivarium.
Le bâtiment de verre s’efface pour faire place à la nature. « On voulait créer une architecture presque invisible, qui allait se fondre dans le Jardin botanique. L’intention n’était pas de poser un geste architectural spectaculaire. L’expérience devait primer », remarque Hubert Pelletier.
Le lieu intègre une panoplie de dispositifs techniques pour rendre la visite la plus immersive possible. Ici, un œil à plusieurs facettes reproduit la vision pixellisée d’une mouche. Là, on ressent des vibrations sonores comme si l’on était une sauterelle et qu’on se déplaçait de brindille en brindille. Derrière cette expérience ludique se cache un minutieux travail étalé sur plusieurs années.
Une nuée de défis
Travailler avec le vivant comporte son lot de contraintes. « Concevoir une serre certifiée LEED Or au Canada, alors que c’est probablement la chose la moins efficace sur le plan énergétique, était l’un des plus grands défis. Équilibrer les écosystèmes dans un espace fermé demande beaucoup de mécanique », dit Hubert Pelletier. Même quand il fait -40 °C, il faut notamment conserver des taux d’humidité très élevés et une température de 26 °C pour que les insectes puissent y vivre. Encore aujourd’hui, l’équipe de professionnels et professionnelles ainsi que le propriétaire ajustent les systèmes bioclimatiques, entre autres en périodes de grand froid et de grande chaleur.
Hubert Pelletier précise qu’en architecture, tous les bâtiments sont des prototypes dont la conception ne se termine pas à la fin du chantier. « Il faut continuer à travailler à comprendre et à ajuster le bâtiment et ses systèmes en fonction de toutes sortes de paramètres qui sont parfois difficiles à anticiper sur papier. » C’est particulièrement vrai dans le cas présent.
Aucun architecte ne peut se targuer d’avoir réalisé plusieurs insectariums, souligne Nicolas Ranger, associé principal de Jodoin Lamarre Pratte architectes. « C’est un contexte bien particulier. Les conditions doivent être maintenues dans la serre et le dôme. Un tiers des serres sert aussi à la culture des plantes. Insérer une zone de production dans un bâtiment muséal est assez complexe. »
Le béton projeté, qui évoque la terre d’une fourmilière, a également donné du fil à retordre aux architectes. Bien que la technique existe déjà, elle est peu utilisée en scénographie. On y recourt plutôt en infrastructure, notamment pour solidifier des tunnels. Les architectes ont joué avec la matière, lui ont ajouté des pigments et des agrégats spéciaux pour lui conférer son aspect organique.
« On a dû peaufiner le mélange par prototypage, en commençant par de tout petits échantillons, jusqu’à construire une section de la grotte dans le Jardin, explique Hubert Pelletier. Au début, le matériau n’a pas réagi comme on le pensait. On a essayé avec des truelles de bois et de métal, des éponges… On a mis beaucoup d’efforts dans le développement technique parce que c’était une partie intégrante de l’expérience de visite. Ça a pris plus d’un an. »
L’union fait la force
Le codesign a prévalu tout au long du projet. Des rencontres entre maître d’œuvre et équipe de conception ont eu lieu chaque mois durant la préparation des plans et devis.
« On commentait l’évolution selon les besoins des visiteurs, des insectes ou des employés. Ça a maintenu la cohérence du produit fini », raconte Maxim Larrivée.
Nicolas Ranger souligne que le projet l’a amené à collaborer avec des spécialistes avec qui il ne fait habituellement pas affaire. « Discuter avec différents entomologistes crée des échanges intéressants, même si on ne parle pas toujours le même langage. On a eu la chance d’avoir un client très patient, prêt à expérimenter. »
En symbiose avec la nature
Si la métamorphose de l’Insectarium de Montréal devait valoriser les petites bestioles, Maxim Larrivée et son équipe peuvent dire mission accomplie. « Plus de 60 % des visiteurs ont changé leur perspective en ce qui a trait aux insectes dès leur première visite. Pour nous, c’est majeur. »
Ce dernier estime que la tenue d’un concours international d’architecture valait la peine. « Montréal compte maintenant un bâtiment emblématique. Et on est perçu en design et en muséologie comme un pôle d’innovation grâce à l’Insectarium. »
Commentaires du jury
Ce projet d’exception a unanimement retenu l’attention du jury pendant toute la durée des délibérations. Dans cet établissement, la notion de biophilie prend tout son sens. Les défis techniques qu’il a fallu relever pour transformer à ce point l’expérience muséale de même que la forte synergie entre l’architecture du bâtiment et du paysage qui favorise son intégration au Jardin botanique de Montréal valent à ce projet l’un des deux Grands Prix que le jury a choisi de décerner cette année.
Livraison 2022
Emplacement Montréal
Maîtrise d’ouvrage Espace pour la vie
Architecture Kuehn Malvezzi/Pelletier de Fontenay/Jodoin Lamarre Pratte, architectes en consortium
Architecture de paysage atelier le balto (Berlin)
Ingénierie électromécanique Dupras Ledoux Ingénieurs (Montréal)
Ingénierie des structures NCK (Montréal)
Ingénierie civile Génie+ (Lévis)
Accompagnement développement durable CIMA+ (Montréal)
Signalisation intérieure et extérieure Kuehn Malvezzi et Double Standards (Berlin)
Exécution et surveillance de chantier pour la muséologie La bande à Paul (Montréal)
Consultation spécialisée en serres Capital Greenhouse (Thetford Mines)
Préservation des arbres Nadeau Foresterie Urbaine (Laval)