Cour Saint-André, Montréal, Microclimat Architecture
Photo : Adrien Williams

Alors qu’une bonne partie de la population âgée souffre d’isolement, l’architecture peut contribuer à limiter le phénomène en rassemblant les générations sous un même toit. La formule semble d’ailleurs bienvenue en ces temps de pandémie et de confinement. Visite guidée dans l’univers de la cohabitation intergénérationnelle.

Le samedi matin, Martin Landry trouve des chocolatines sur le pas de sa porte. C’est son père, qui vit juste en dessous, qui les apporte pour lui, sa conjointe et leurs deux adolescents. « Et je m’occupe de déneiger l’entrée de mes parents l’hiver », explique Martin Landry. Ces exemples simples illustrent les bienfaits de la cohabitation intergénérationnelle pour cette famille dont trois générations se partagent un duplex de la rue Saint-André, dans La Petite-Patrie, à Montréal.

Le bâtiment a été entièrement réamé­nagé par la firme d’architecture Micro­climat afin de répondre aux besoins de tous. L’ancien hangar situé à l’arrière du lot a été transformé en unité d’arrière-cour et a été annexé au logement du deuxième, pour offrir plus d’espace à la jeune famille. Les grands-parents se sont quant à eux installés au rez-de-chaussée du bâtiment principal. Cette proximité propice à l’entraide leur plaît, surtout depuis le début de la pandémie. « Disons que la situation dans les résidences pour aînés nous a confirmé que nous avions fait le bon choix », se félicite Martin Landry, lui-même architecte.

Popularité grandissante

« Est-ce que la crise actuelle pourrait pousser certaines personnes âgées à revoir leurs plans en matière d’habitation ? Probablement », pense Sébastien Lord, professeur à l’École d’urbanisme et d’architecture de paysage de l’Université de Montréal. Beaucoup pourraient décider de retarder leur entrée dans une résidence pour aînés en privilégiant une autre formule, comme la cohabitation intergénérationnelle. Pour en avoir le cœur net, le professeur et son équipe de recherche ont d’ailleurs lancé, fin 2020, une enquête auprès de la population retraitée de la grande région de Montréal pour savoir si la pandémie a modifié leurs intentions à ce chapitre.

En attendant ces données, qui devraient être consultables en 2021, celles que compile l’Association professionnelle des courtiers immobiliers du Québec (APCIQ) indiquent que les ventes de maisons intergénérationnelles ont augmenté de 29 % lorsqu’on compare la période allant de septembre 2019 à août 2020 avec la même période en 2018-2019.

Selon Charles Brant, directeur de l’analyse du marché immobilier à l’APCIQ, il est trop tôt pour conclure à une tendance et en déterminer les causes avec exactitude. Il avance cependant que cette hausse pourrait s’expliquer par différents facteurs, dont le vieillissement de la population, l’intérêt pour ce type de résidences de la part des familles issues de l’immigration et, dans une moindre mesure, par la pandémie.

Des maisons qui s’adaptent

Architecte et cofondateur de Microclimat architecture, Olivier Lajeunesse-Travers observe quant à lui une hausse de l’intérêt pour des projets évolutifs, comme des agrandissements à la résidence principale qui pourront dans un second temps se transformer en deuxième logement pour accueillir des parents vieillissants ou un enfant devenu adulte. « On sent une volonté de penser la vie familiale au-delà de la simple habitation pour les parents et leurs enfants. Souvent, cela devient un projet de vie, incluant une dimension intergénérationnelle. »

Ainsi, de nombreux projets tiennent compte du court et du long terme, note Maggie Cabana, architecte de cette firme spécialisée en densification douce. Bien qu’ils soient motivés par les besoins actuels des occupants et occupantes, on cherche à y préserver une certaine flexibilité en vue de réaménagements qui pourraient se révéler nécessaires à des étapes de vie ultérieures.

C’est dans cette optique que l’équipe redessine les espaces des plex montréalais, ajoute un étage ou construit une unité d’arrière-cour. Autant d’interventions qui permettent de redécouper l’espace afin d’y loger deux ou trois générations d’une même famille. C’est d’ailleurs le cas du projet Cour Saint-André, le duplex de la famille Landry évoqué plus haut. « Nous avons toujours vu ce projet comme flexible, pour qu’il puisse évoluer selon nos besoins », rappelle Martin Landry.

En effet, la famille avait peur de se trouver à l’étroit dans un logement. « En même temps, nous savons que nos enfants ne vivront pas toujours avec nous. C’est pourquoi nous cherchions un projet qui s’adapterait dans le temps aux besoins de notre famille. » C’est ainsi que le couple en est venu à confier à Microclimat le mandat de concevoir un nouvel espace relié au duplex existant. En fait, l’ajout a été conçu pour se rattacher facilement au premier ou au deuxième étage du duplex, ou pour se transformer en unité indépendante. Un immense escalier intérieur fait la jonction entre la partie neuve et l’ancienne. Tous les accès à l’eau et à l’électricité ont été aménagés pour que ces modifications puissent être réalisées sans travaux majeurs.

Solitude de masse

Selon une revue de la littérature de l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ),

19 %

des Canadiens et Canadiennes âgés ont le sentiment d’être délaissés ou isolés, et

30 %

d’entre eux seraient à risque de souffrir d’isolement social.

Ces données ont été recueillies avant la pandémie de COVID-19. Source : INSPQ, « Lutter contre l’isolement social et la solitude des personnes aînées en contexte de pandémie », 19 juin 2020.

C’est ce qui a permis à la famille de céder le rez-de-chaussée aux parents de Martin Landry quand ils ont manifesté l’envie de venir vivre à Montréal. Ce changement n’a demandé que des ajustements mineurs aux plans, alors en cours de réalisation. « La preuve que la maison s’adapte à nos besoins ! » souligne-t-il.

Choix multiples

DCMS, Stoneham-et-Tewkesbury, TERGOS Architecture + Construction Image : TERGOS Architecture + Construction
DCMS, Stoneham-et-Tewkesbury, TERGOS Architecture + Construction Image : TERGOS Architecture + Construction

Plex partagé, maison pouvant accueillir deux ménages, ajout d’une aile ou d’un pavillon indépendant : la cohabitation intergénérationnelle peut prendre différentes formes. « L’habitation constitue vraiment une clé pour briser l’isolement des aînés, mais aussi pour aider les jeunes parents. Toutefois, il faut trouver l’équilibre entre proximité et intimité », estime Geneviève Mainguy, architecte et associée chez TERGOS Architecture + Construction.

Cette réflexion a guidé l’architecte dans le projet DCMS, à Stoneham-et-Tewkesbury. Cette maison bigénérationnelle se déploie en deux ailes indépendantes qui se rejoignent au centre. D’un côté, une maison sur un seul niveau loge les grands-parents, alors que la jeune famille habite sur trois étages. Les deux logements sont reliés par un hall central et partagent certaines pièces, comme la chambre d’amis. « Les deux terrasses sont aménagées de manière à préserver un espace privé. C’est psychologique, mais c’est important dans ce genre de contexte », dit Geneviève Mainguy. De plus, grâce au plan en T, les fenêtres ne donnent pas sur le logement de l’autre ménage.

Quelle que soit la solution choisie, Geneviève Mainguy estime cependant qu’il faut penser aux façons de briser l’isolement des aînés et aînées au-delà de la seule question de la cellule familiale. L’architecte prend pour exemple Cohabitat Québec, auquel elle a contribué. Ce concept unique dans la province, inauguré en 2013, regroupe 42 logements en copropriété dans le quartier Saint-Sacrement, à Québec (voir « Autopro­motion : Proprio direct », Esquisses, vol. 26, no 2, été 2015, p. 60). Ce qui le distingue, selon l’architecte, est l’accent qu’il met sur les relations entre générations. L’ensemble comporte au total près de 900 m2 d’espaces communs où se déroulent de nombreuses activités qui favorisent les rencontres entre les personnes plus âgées et les plus jeunes, comme des ateliers de cuisine collective et des séances d’aide aux devoirs. Une autre piste prometteuse pour briser la solitude, une fois, bien sûr, que les restrictions dues à la pandémie s’assoupliront.

Contraintes financières et réglementaires

L’ajout d’un logement à sa résidence pour accueillir un parent n’est pas à la portée de tous, selon Sébastien Lord. « La recherche montre que, souvent, les aînés pensent à ces options assez tard, si bien que ce n’est pas une solution rentable, à cause des coûts élevés de ce type de projet. Par exemple, ajouter un logement supplémentaire peut coûter plus de 100 000 $. Il est donc important de le prévoir. » De plus, ce type de construction peut s’avérer complexe sur le plan réglementaire, affirme-t-il. 

Charlotte Montfils-Ratelle, urbaniste et chargée de projet à L’Arpent, partage ce point de vue. Cette firme d’urbanisme a étudié les règlements entourant les unités d’habitations accessoires (UHA), ces unités secondaires construites à même un terrain déjà occupé par une résidence principale (Voir « Unités d’habitation accessoires : Combler les vides »). Même si les UHA ne sont pas destinées qu’à cet usage, elles peuvent accueillir des parents âgés. « Plusieurs municipalités permettent ce genre de constructions, mais la réglementation est à géométrie variable et peut s’avérer très contraignante », dit l’urbaniste.

Elle constate toutefois une ouverture croissante envers ce type de densification douce. Par exemple, la Ville de Sainte-Catherine, en Montérégie, a observé qu’elle recevait de plus en plus de demandes d’ajout de logements additionnels de différents types (regroupées sous l’appellation UHA) « mais il n’y avait qu’une proportion très faible des projets qui aboutissaient ». Sa firme a donc travaillé avec le Service d’aménagement du territoire et du développement économique pour simplifier le règlement. Les changements devraient être adoptés en 2021. L’urbaniste pense que d’autres municipalités pourraient emboîter le pas au cours des prochaines années.