Urgence de l’Hôpital du Haut-Richelieu, Saint-Jean-sur-Richelieu, Yelle Maillé architectes, BBBL architectes, Lemay Sauvageau (consortium) Photo : Claude-Simon Langlois
Unité de soins critiques de l’Hôpital du Haut-Richelieu, Saint-Jean-sur-Richelieu, BBBL – Yelle Maillé – Lemay – Sauvageau en collaboration avec CGA architectes
Photo : Claude-Simon Langlois

La pandémie de COVID-19 a pris tout le monde de court, y compris les hôpitaux du Québec, forcés d’improviser des solutions parfois dignes d’une zone de guerre. Dans quelle mesure sont-ils prêts à affronter la situation actuelle et les épidémies futures ? Et quel est le rôle des architectes dans ce combat ?

Tentes, entrée réservée aux patients potentiellement infectés ou cloisons temporaires : le personnel de la santé rivalise d’imagination depuis le début de la crise pour freiner la propagation du coronavirus.

Face à ce nouvel ennemi, les hôpitaux québécois ne se battent pas tous à armes égales. Les ensembles construits dans les 10 dernières années sont beaucoup mieux équipés pour empêcher la transmission des maladies infectieuses que ceux érigés il y a 50 ou 60 ans.

Hôpitaux vétustes

« Les hôpitaux plus anciens, comme Verdun ou Notre-Dame, comprennent des ailes et un corridor central avec des locaux de part et d’autre, explique l’architecte Michel Broz, associé principal responsable du volet santé chez Jodoin Lamarre Pratte. Les patients, le personnel, voire les déchets, empruntent le même corridor : c’est la situation la plus difficile à contrôler en cas d’épidémie, en raison de ces croisements. »

Ces hôpitaux n’ont pas non plus été pensés pour gérer un virus transmissible au contact de gouttelettes. Pour le directeur des services techniques du CIUSSS du Centre-Ouest-de-l’Île-de-Montréal, Georges Bendavid, deux critères sont à prendre en compte dans ce contexte. « Il y a d’abord l’architecture : comment les chambres et les corridors sont organisés, le choix des matériaux, etc. Ensuite, il y a la ventilation. Les hôpitaux construits à l’époque n’avaient pas à répondre aux normes d’aujourd’hui, et leur ventilation peut s’avérer inadéquate. »

Cela dit, les bâtiments plus anciens ne sont pas voués à l’échec pour autant.

Améliorations immédiates

Selon Karine Boisvert, architecte de la firme Yelle Maillé qui se spécialise en santé depuis le début de sa carrière, des mesures peuvent être mises en place promptement. « On a l’exemple de Notre-Dame, qui s’est adapté rapidement et a démontré une agilité incroyable. Le personnel a conçu un hôpital COVID-19 à l’intérieur même de l’hôpital. »

Tout passe par la planification, poursuit l’architecte : il faut déterminer les espaces qui seront destinés à l’arrivée des patients et à la décontamination et se demander où ils seront situés. « Est-ce qu’on utilise le garage des ambulances ? Est-ce qu’on érige des installations temporaires ? Est-ce qu’on prévoit des zones à l’aménagement flexible près de l’urgence, etc. ? »

George Bendavid suggère pour sa part de mettre à jour les systèmes de ventilation dans les unités de soins intensifs et aux blocs opératoires afin d’avoir des filtres HEPA, capables d’empêcher la propagation.

L’urgentologue et président de l’Association des médecins d’urgence du Québec, Bernard Mathieu, se rappelle qu’en 2003, pendant l’épidémie de SRAS, l’Hôpital Maisonneuve-Rosemont s’était protégé en installant des cloisons en plastique munies de fermetures éclair et en ajoutant des ventilateurs. « C’était artisanal. Aujourd’hui, pour lutter contre la COVID-19, on a créé une zone pour accueillir les cas suspects séparément de l’urgence, et on a installé des cloisons à pression négative en une semaine. »

« Tout ce qui a trait à la prévention et au contrôle des infections est beaucoup plus poussé depuis les dernières années. Plusieurs mesures étaient donc déjà en place avant l’épidémie. »

– Karine Boisvert

La COVID-19 a en outre poussé le Québec à adopter plus largement la télémédecine, après des années de tergiversation. Ce n’est vraisemblablement qu’un début. La crise actuelle devrait permettre de peaufiner l’aménagement des établissements hospitaliers afin d’intégrer cette nouvelle réalité.

Beaucoup de progrès en 10 ans

Les nouveaux établissements de santé ont pour leur part tiré des leçons des crises passées. « Tout ce qui a trait à la prévention et au contrôle des infections est beaucoup plus poussé depuis les dernières années, assure Karine Boisvert. Plusieurs mesures étaient donc déjà en place avant l’épidémie. »

« Ça va de petits dispositifs, comme des postes de lavage des mains à proximité des patients, à une planification globale pour les codes orange – qui correspondent à une arrivée massive de patients à l’hôpital à la suite d’une catastrophe », ajoute-t-elle.

Contrairement aux hôpitaux anciens, la configuration des établissements plus récents prévoit une circulation des patients, du personnel et de l’équipement qui limite au maximum les possibilités de contagion, notamment grâce à des corridors et à des horaires distincts. Plusieurs unités de soin permettent aussi de regrouper les patients contaminés. Certaines comportent également des chambres à pression négative : l’air y est filtré, et ne peut en sortir, car la pression y est inférieure à celle de l’extérieur.


Pavillon des soins critiques (K) de l’Hôpital général juif, Montréal, Jodoin Lamarre Pratte architectes, en collaboration avec Gross Kaplin Coviensky et Marosi Troy Photo : Stéphane Groleau

Le pavillon K de l’Hôpital général juif de Montréal (signé Jodoin Lamarre Pratte) s’illustre sur ce plan. Bâti en 2016, il comprend un étage de mise en quarantaine. Les 24 chambres à pression négative sont munies de sas, où se trouve tout l’équipement de protection pour le personnel. Au total, l’hôpital dispose de 87 espaces entièrement isolés pour accueillir des patients.

Parce qu’un malade qui se déplace d’un lieu à l’autre pour subir des tests augmente les risques de propagation, Georges Bendavid appuie l’idée des unités fermées. « Chaque unité devrait renfermer tous les services, comme la radiologie ou la pharmacie, pour être autonome en cas de confinement. » L’Hôpital général juif comporte par exemple une pharmacie centrale, des pharmacies satellites sur plusieurs étages, de même qu’une pharmacie réservée à la chimiothérapie, à même l’unité d’oncologie. On y trouve en plus des distributeurs de médicaments à chaque étage.

Et ailleurs ?

Certains hôpitaux étrangers sont plus avant-gardistes encore dans leur gestion des épidémies. Michel Broz donne l’exemple du University Medical Center de La Nouvelle-Orléans, en Louisiane, reconstruit après l’ouragan Katrina. « Ils ont vraiment réfléchi à la façon d’utiliser et d’adapter les espaces en cas de tragédie. Le hall d’entrée peut ainsi être converti rapidement en zone de triage pour répondre à une entrée massive de malades, avec une infrastructure bien cachée permettant l’alimentation en gaz médicaux et en services électriques. Le stationnement étagé de l’hôpital peut aussi être adapté rapidement en zone de triage en cas d’urgence. »

Il existe en Europe des pavillons consacrés aux maladies infectieuses qui sont complètement séparés de l’hôpital auquel ils appartiennent. « C’est le cas du Skane University Hospital, à Malmö, en Suède. Un patient infecté n’entre pas dans le bâtiment, dit Karine Boisvert. Il y a un réseau de circulation qui ceinture les lieux à l’extérieur. Le personnel, quant à lui, se déplace par l’intérieur. La chambre devient le point de rencontre entre les deux. »

L’architecte, un allié essentiel

Urgence du Centre universitaire de santé McGill (CUSM), Montréal, Yelle Maillé architectes Photo : Claude-Simon Langlois

Dans la conception d’un hôpital, l’architecte fait partie d’une équipe multidisciplinaire qui comprend notamment des médecins, des infirmiers et des membres du service de prévention et de contrôle des infections.

« Nous avons un rôle de collaboration important, croit Michel Broz. Le personnel médical connaît déjà les meilleures pratiques. On crée les outils pour que [ses membres] soient efficaces et en sécurité, on leur pose des questions pour essayer de prévoir tous les scénarios possibles et on adapte les plans en fonction de leurs réponses. »

L’architecte de Jodoin Lamarre Pratte souligne que sa spécialité l’entraîne également à visiter des établissements ailleurs dans le monde pour se tenir au courant des dernières avancées. « Créer un hôpital est un défi d’une complexité extrême. Il y a tout un travail à faire en amont avant de commencer à dessiner. »

Une démarche importante, certes, mais qui aide les hôpitaux québécois à sauver des vies.

Du soleil contre la grippe espagnole

L’hôpital de campagne Camp Brooks, érigé à Boston en 1918 pendant l’épidémie de grippe espagnole.
Photo : National Archives

Bien avant la COVID-19, en 1918-1919, la pandémie d’influenza de souche H1N1 dite « grippe espagnole » a sévi partout dans le monde et fait de 50 à 100 millions de victimes. Pour y faire face, les médecins de Boston ont misé sur une solution étonnante : un hôpital de campagne en plein air.

La ville du Massachusetts a été particulièrement touchée, ce qui a obligé les autorités à ériger d’urgence Camp Brooks, formé d’une douzaine de tentes occupées chacune par un ou deux malades. La prescription du médecin ? Une bonne dose de soleil et d’air frais. Par beau temps, on installait donc les lits des patients à l’extérieur. La nuit, on les gardait au chaud grâce à des bouillottes et des couvertures.

Comme le personnel médical d’aujourd’hui, celui de Camp Brooks devait se protéger en portant un masque facial « maison », des gants, une blouse et un couvre-chef. Infirmières et préposés devaient également se laver les mains avec un désinfectant.

Comme quoi, les épidémies se suivent et se ressemblent quand même un peu.