Conception des espaces potentiels de l’Espace des peuples autochtones, Ottawa, Smoke Architecture, David T Fortin Architect, Wanda Dalla Costa Architect et Winnie Pitawanakwat Illustration : Smoke Architecture, David T Fortin Architect, Wanda Dalla Costa Architect
Conception des espaces potentiels de l’Espace des peuples autochtones, Ottawa,
Smoke Architecture, David T Fortin Architect, Wanda Dalla Costa Architect et Winnie Pitawanakwat
Illustration : Smoke Architecture, David T Fortin Architect, Wanda Dalla Costa Architect

Il est stagiaire en architecture et membre de la nation huronne-wendat; elle est architecte et issue de la nation anishnaabe de Lac Seul, en Ontario. Ensemble, Gregory Brais Sioui et Eladia Smoke discutent d’architecture pour et par les Autochtones, et des bienfaits de leur inclusion dans les décisions concernant le cadre bâti.

Parlez-nous un peu de votre parcours.

Eladia Smoke (ES) : J’ai grandi dans le nord-ouest de l’Ontario, en territoire anishnaabe. J’ai ensuite vécu au Nouveau-Mexique, en territoire pueblo, hopi et navajo, et à Winnipeg, où j’ai travaillé pendant dix ans pour la firme Prairie Architects. J’y ai beaucoup appris sur le design collaboratif.

J’ai fondé Smoke Architecture en 2014, et j’ai emménagé ici, en territoire haude­nosaunee et anishnaabe, à Hamilton, en Ontario. Mon équipe et moi avons mené plusieurs projets passionnants. L’un de ceux où j’ai beaucoup appris est celui de l’Espace pour les peuples autochtones [au 100, rue Wellington et au 199, rue Sparks], à Ottawa. Avec l’Inuit Tapiriit Kanatami (ITK), l’Assemblée des Premières Nations (APN) et le Ralliement national des Métis, nous avons pris part à la phase conceptuelle, qui n’a pas encore vu le jour à cause de la nature très particulière de ce « cadeau » fait aux peuples autochtones : le gouvernement nous a donné un édifice Beaux-Arts patri­monial dont on ne peut pas modifier la façade… Comment, alors, y représenter les peuples autochtones ? 

Eladia Smoke Photo : Eladia Smoke
Eladia Smoke Photo : Eladia Smoke

Avec mes collègues architectes David Fortin et Wanda Dalla Costa, nous avons fait appel à une aînée autochtone, nommée Winnie Pitawanakwat, qui vit à Sudbury, et l’avons incluse dans l’équipe de conception. Elle nous a conseillé d’envelopper ce cadeau dans une couverture, pour honorer l’inten­tion derrière le cadeau tout en nous l’appro­priant. Alors nous avons enveloppé le bâtiment dans une sorte de couverture représentant les communautés autochtones du continent. Nous avons aussi prévu un feu sacré dans l’axe de la Flamme du centenaire, afin de rappeler la présence autochtone sur ce territoire depuis des temps immémoriaux.

Mais les Algonquins se sont opposés au projet parce qu’ils n’ont pas été nommés dans ce don du gouvernement, alors qu’Ottawa se trouve en territoire algonquin non cédé. L’APN a préféré le mettre sur pause en attendant un accord avec les Algonquins. Ce projet m’a donc appris qu’il est crucial d’impliquer ceux et celles qui parlent au nom du territoire à toutes les étapes de nos projets.

Gregory Brais Sioui (GBS) : J’ai grandi à Montréal, loin de ma communauté, qui se trouve à Wendake, près de Québec. Mon grand-père a fréquenté un pensionnat autochtone, dont il s’est enfui à 16 ans. Il n’a jamais voulu retourner dans sa communauté. Ma famille est fière de ses origines autochtones, mais sans l’afficher. Depuis quelques années, je reprends davantage contact avec mes racines autochtones, surtout depuis mes études en architecture à Québec, qui m’ont rapproché de ma réserve et des membres de ma famille qui y habitent.

J’ai une maîtrise professionnelle en architecture et une maîtrise en recherche, pour laquelle mon mémoire portait sur le rôle de l’eau dans l’expérience des ambiances sensibles. On peut voir un lien avec mon héritage autochtone dans le fait que je me suis intéressé à un élément naturel, l’eau, mais ce lien n’est pas explicite.

Comme stagiaire, j’ai travaillé pendant un an chez Smith Vigeant Architectes et je suis maintenant chez NÓS Architectes.

Pourquoi croyez-vous qu’il y a aussi peu d’architectes autochtones au Québec?

GBS : L’accès aux études supérieures est plus ardu pour les Autochtones, en raison des iniquités sociales. C’est un cycle qui se poursuit de génération en génération. En ce qui concerne précisément l’architecture, l’idée même de construire pour plusieurs décennies, c’est tellement une idée de Blancs ! À partir de la mise en réserve, l’architecture a été prise en charge par les Blancs, jusqu’à ce que Douglas Cardinal entre dans la profession.  

Gregory Brais Sioui Photo : Bliss Mutanda/Je suis Montréal
Gregory Brais Sioui
Photo : Bliss Mutanda/Je suis Montréal

ES : Au Canada, les Autochtones repré­sentent environ 5 % de la population totale, mais seulement une vingtaine d’architectes en tout. Au Québec, les Autochtones forment 2,3 % de la population, alors qu’à notre connaissance, il y a actuellement une seule architecte autochtone !* Nous sommes donc profondément sous-représentés. 

En outre, la formation d’architecte est très exigeante. Il faut s’y consacrer corps et âme. Elle se prête difficilement aux études à temps partiel ou à l’accueil d’une population étudiante qui a des soucis en matière de logement, de financement ou de réseau de soutien. Et il y a peu d’occasions de men­torat pour les jeunes Autochtones parce qu’il y a si peu d’architectes autochtones. 

Nous nous penchons sur ces questions dans le Groupe de travail autochtone de l’Institut royal d’architecture du Canada (voir encadré) : comment attirer plus de jeunes membres autochtones et les soutenir dans leur parcours ? Je crois qu’il est plus important que jamais d’attirer davantage d’Autochtones en architecture, notamment parce que la population canadienne se rend compte que nous avons été longtemps privés de tout ce pan fondamental de notre identité collective.

Comment peut-on représenter les valeurs et les cultures autochtones dans l’environnement bâti?

ES : Il faut tout simplement demander l’avis des Autochtones. Même si vous êtes allochtone, vous pouvez leur parler et inclure leurs points de vue dans vos projets. Nos gens ont une compréhension profonde du territoire et de son occupation qui peut enrichir chaque petite décision, par exemple sur les façons de relier l’environnement bâti et les écosystèmes qui nous entourent et nous soutiennent. 

GBS : Je crois qu’il ne faut pas attendre l’université pour que les futurs architectes découvrent les cultures autochtones. Elles devraient être enseignées dès le primaire. Pourquoi pas quelques heures par semaine consacrées aux savoirs autochtones de la région, comme à la découverte des plantes comestibles de la forêt ? Je pense que c’est en transmettant les savoirs et valeurs autochtones dès l’enfance que nous pourrons les enraciner dans notre architecture.

Que pensez-vous de la reconnaissance des territoires non cédés? Comment en tenir compte dans les projets d’architecture?

ES : Je pense que la reconnaissance des territoires non cédés est utile, mais qu’il faut aller plus loin. Il faut remplir notre devoir de consulter les Autochtones en matière de territoire. Il faut aussi connaître l’histoire des peuples autochtones. Par exemple, le fait que la nation naskapie de Kawawa­chikamach a été déplacée en plein hiver de la baie d’Ungava à son village actuel près de Schefferville [dans les années 1950] à la suite d’une décision du gouvernement. 

D’ailleurs, on entend souvent dire que l’idée de possession du territoire est inexistante chez les Autochtones, ce qui est faux. Nos aînées et aînés m’ont appris que cette idée est bien ancrée dans les cultures autochtones, mais à l’inverse de celle qui prévaut aujourd’hui : c’est la terre qui possède les gens qui y habitent. Et ces gens ont une responsabilité : celle de parler au nom de la terre qui les soutient. Cette responsabilité est cruciale pour faire face à la crise que l’espèce humaine traverse actuellement. C’est pourquoi nous devons collaborer au-delà des frontières culturelles perçues, écouter les aînées et aînés autochtones dès maintenant, et agir sur la base de leur parole. ●


* NDLR : L’IRAC et l’OAQ ne tiennent pas de données à ce sujet.

Le Groupe de travail autochtone de l’Institut royal d’architecture du Canada (IRAC)

Créé en juin 2016, le Groupe de travail autochtone de l’IRAC vise à promouvoir le design et l’architecture autochtones au Canada, tant dans les communautés rurales qu’en milieu urbain et au sein de la profession d’architecte.

Il rassemble plus de 30 membres qui sont d’origine autochtone ou travaillent avec des peuples autochtones : des architectes et des stagiaires en architecture, mais aussi des designers, des universitaires et des membres de la communauté étudiante. 

Parmi les actions de ce groupe de travail, on note l’organisation de symposiums internationaux mettant en lumière des problématiques de design et des projets d’architecture menés pour et avec des populations autochtones; le plus récent a eu lieu les 23 et 24 juin dernier. Le groupe a milité pour l’adoption de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, que le Parlement du Canada a adoptée en juin 2021, et se penche sur les façons dont l’IRAC peut en appliquer les principes. Il a aussi produit le Guide sur la reconnaissance des terres et des territoires.