Lyne Parent, directrice générale de l’Association des architectes en pratique privée du Québec Photo : Fany Ducharme
Lyne Parent, directrice générale de l’Association des architectes en pratique privée du Québec Photo : Fany Ducharme

Comme beaucoup d’entreprises, les firmes d’architecture ne savent pas ce que l’avenir leur réserve à l’issue de la pandémie de COVID-19. Pour l’instant, celles qui le peuvent s’accrochent aux projets publics, qui devraient se poursuivre pour la plupart.

« Il est excessivement difficile de prévoir à quoi s’attendre, puisqu’on reçoit de nouvelles informations chaque jour », convient d’emblée la directrice générale de l’Association des architectes en pratique privée du Québec (AAPPQ), Lyne Parent, interrogée au début du mois d’avril.

Bien que certaines activités étaient sur pause – entre autres les visites de chantiers ou les rencontres de coordination de projets considérés comme « non essentiels » –, la plupart des firmes d’architecture au Québec ont pu maintenir une partie de leurs services à distance, a révélé un sondage de l’AAPPQ mené auprès d’une centaine de firmes de toutes tailles à la fin du mois de mars. Près de la moitié (45 %) des répondants avaient d’ailleurs évalué pouvoir continuer de fonctionner à 80 % ou plus de leurs capacités d’avant la crise.

« On m’a confirmé que le télétravail avait été relativement facile à instaurer, explique la directrice générale. Toute la planification, l’analyse, de même que la conception des plans et devis peuvent se faire à distance. » Les enjeux de confidentialité sont en outre tout à fait gérables, selon elle (voir à ce sujet l’article « Télétravail : rester en contrôle »).

Projets annulés et problèmes de liquidités

Les enjeux de liquidités risquent toutefois de freiner l’élan de plusieurs firmes d’architecture. D’ailleurs, le tiers des répondants au sondage de l’AAPPQ prévoyaient être à sec de trois à cinq semaines après le début de la crise.

Certes, le sondage a été mené avant que les gouvernements ne précisent leurs programmes d’aide aux entreprises, mais ces données démontrent néanmoins « la fragilité de plusieurs firmes », selon Lyne Parent. Elle poursuit : « [Leur capacité à s’en sortir] dépend autant de la fragilité qu’elles avaient avant la crise que de leur portfolio. Les firmes d’architecture qui ont beaucoup de contrats publics sont moins inquiètes. » La directrice générale rappelle que, toujours selon le même sondage, seulement 19,5 % des projets suspendus ou annulés provenaient de donneurs d’ordre publics.

Du côté de la Société québécoise des infrastructures (SQI), on confirme par voie de communiqué avoir la volonté de poursuivre les projets en cours, en particulier ceux qui en sont aux étapes de planification et de conception, de même que les appels d’offres pour les services d’architecture.

« Les firmes qui détiennent un portefeuille de mandats équilibré, contenant des projets publics et privés dans différents domaines, sont peut-être mieux équipées pour traverser la crise. »

– Lyne Parent

Le bât blesse surtout du côté des projets privés. Et rares sont les industries épargnées, comme le rappelle Jean-Philippe Bonneau, président de Gestion Ambicio, qui offre des services-conseils d’accompagnement aux entreprises. « Les petits clients [des firmes d’architecture] auront-ils eux-mêmes assez de liquidités pour continuer leur projet plus tard ? » demande-t-il, évoquant les restaurants, les boutiques et les autres commerces touchés par la crise. Un récent sondage de la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante (FCEI) indique d’ailleurs que 63 % des entreprises au pays ne pensent pas pouvoir compenser leurs pertes une fois la crise passée. « Les projets non essentiels risquent donc d’être remis aux calendes grecques », s’inquiète-t-il.

« Les firmes qui détiennent un portefeuille de mandats équilibré, contenant des projets publics et privés dans différents domaines, sont peut-être mieux équipées pour traverser la crise. L’avenir nous le dira », lance Lyne Parent, précisant que l’AAPPQ ne ménage pas ses efforts pour que toutes les firmes d’architecture aient accès aux appels d’offres publics. « Nos travaux avec la SQI pour proposer des critères de sélection et de pondération permettant à un plus grand nombre de firmes de se qualifier pour ses projets sont prometteurs à cet égard, dit-elle. Cela permettra, je le souhaite, d’élargir le bassin des firmes obtenant des mandats avec cet important donneur d’ouvrage. »

Arrimer toute la chaîne d’approvisionnement

Chose certaine, croit Lyne Parent, les architectes se trouvent au cœur d’une chaîne d’approvisionnement qui sera appelée à s’adapter au cours des prochains mois. Des producteurs de matériaux de construction aux entrepreneurs généraux, chaque maillon de cette chaîne dépend des autres.

Les matières premières seront-elles accessibles ? Les grossistes et les fournisseurs seront-ils capables de s’approvisionner ? Les prix fluctueront-ils ? Autant de questions auxquelles on n’a pas nécessairement de réponse pour le moment. « Alors que les conditions du marché ont changé du jour au lendemain, rien n’indique que les entrepreneurs pourront réaliser les travaux aux mêmes conditions contractuelles, ajoute Lyne Parent. Chaque projet sera un cas d’espèce et on devra revoir tous les contrats signés avant la crise. »

En clair, échéanciers et coûts devront être réévalués. Cela signifie aussi que les architectes et les concepteurs pourraient devoir retourner à leur table à dessin et faire preuve de créativité dans la recherche de solutions. « La communication entre tous les intervenants d’un projet est, plus que jamais, primordiale », insiste-t-elle.

Sur le terrain, les différents acteurs tentent d’anticiper les conséquences de la crise. « Beaucoup de chantiers recommencent en même temps, analyse Ilan Gewurz, vice-président de la Corporation Proment, dont le siège est situé à L’Île-des-Sœurs, à Montréal. On s’attend donc à des délais plus longs en ce qui concerne la réception des matériaux. »

Ilan Gewurz, vice-président de la Corporation Proment.
Photo : courtoisie

Une préoccupation partagée par la dirigeante de Construction St-Pierre Roseberry. « On a bien planifié et commandé nos matériaux à l’avance afin d’être prêts à relancer nos chantiers à 7 h le jour 1 », souligne Karine St-Pierre, responsable du développement et du service de ce promoteur situé à Québec.

Karine St-Pierre, responsable du développement et du service chez Construction St-Pierre Roseberry
Photo : gracieuseté

Regards vers la reprise

Selon l’architecte Toon Dreessen, de la firme Architects DCA, à Ottawa, les gouvernements auraient tout intérêt à lancer en parallèle des projets de moindre envergure afin d’aider les PME telles que les firmes d’architecture à se relever de la crise actuelle. « Dix modestes projets d’habitation de 20 M$ peuvent donner du travail à 10 petites firmes compétentes, alors qu’un projet de 200 M$ ne créera d’occasion que pour une seule entreprise », plaide-t-il dans le blogue de son site Internet.

En attendant la reprise, Jean-Philippe Bonneau conseille aux entreprises de profiter du ralentissement des affaires pour entamer une réflexion stratégique : « C’est peut-être un bon moment pour repenser son modèle d’affaires, voire développer de nouvelles méthodologies de travail. » (Voir à ce sujet l’article « Contrôle qualité : c’est le temps d’y voir ! »)

Et si la crise permettait à la profession de s’améliorer ?