Ce printemps, le stagiaire en architecture Gabriel Payant a présenté à l’Ordre un stupéfiant compte rendu de voyage. Lauréat de notre bourse du Collège des présidents 2016-2017, il s’est rendu à New York, Zurich, Stuttgart et Londres pour documenter l’apport des robots industriels à la conception architecturale.
Il s’est notamment intéressé aux travaux de l’architecte et chercheur Giulio Brugnaro, qui, à la Bartlett School of Architecture de Londres, se sert de l’intelligence artificielle pour « enseigner » la gravure sur bois à un robot. La machine n’a pas encore l’adresse de l’humain, mais elle apprend et s’améliore !
Toujours à Londres, Gabriel Payant a découvert le projet Wood Chip Barn des étudiants de l’Architectural Association. Afin de construire un abri pour entreposer des copeaux de bois, ils ont récolté dans une forêt de leur campus 25 troncs d’arbres en forme d’Y. Puis, ils les ont numérisés en 3D avant de calculer, à l’aide d’un programme informatique – et des ingénieurs d’Arup –, l’agencement optimal qui leur permettrait de former des arches devant supporter un toit. Les troncs ont ensuite été assemblés sans autre transformation qu’une légère finition robotisée. Résultat : en tirant profit de la forme irrégulière des arbres, les étudiants ont éliminé plusieurs étapes de coupe normalement préalables à la construction. Le processus fait l’objet d’une vidéo en ligne; c’est à voir.
Au fil de son voyage, notre boursier a fait ce constat : la recherche la plus prometteuse dans ce domaine est le fait de partenariats entre l’architecture et le génie ou entre l’industrie et des architectes-chercheurs, qui ont ainsi accès à du financement et à des outils autrement difficiles à obtenir. Il a aussi réalisé qu’il existe un écart immense, en termes de ressources notamment, entre les travaux réalisés dans les endroits qu’il a visités et ceux menés dans les écoles d’architecture québécoises. Pourtant, Montréal dispose d’un des plus importants centres de recherche en intelligence artificielle du monde.
Comme lui, j’estime que la profession doit investir davantage ce champ, déjà occupé par le génie et l’informatique, entre autres. Nous aimons dire que l’architecture est à la rencontre de l’art et de la science : voilà une belle occasion de nous approprier la science pour y injecter le supplément d’âme qui donne au progrès sa dimension humaine.
L’architecture ne peut stagner alors que le monde évolue. D’autres disciplines innovent et nous bousculent dans nos pratiques, comme en témoigne l’avènement de la modélisation des données du bâtiment. Il faut suivre le mouvement ! Et avec les changements climatiques, nous devons limiter non seulement la consommation d’énergie des bâtiments, mais aussi celle que suppose le transport des usagers pour y accéder et celle qui est nécessaire à la fabrication et au transport des matériaux de construction. Prendre en compte toutes ces variables augmente la complexité des projets à un niveau sans précédent, qu’il faudra néanmoins maîtriser. Déjà, le Québec voit naître son premier bâtiment carbone zéro, une école, à Saint-Eustache.
Certains bureaux d’architectes considèrent l’innovation comme un muscle à exercer. Le cas le plus spectaculaire est sans doute celui de White Arkitekter, firme suédoise de 900 employés qui finance la R et D en y consacrant annuellement 10 % de ses profits. Ses architectes peuvent puiser dans un fonds spécial quand un de leurs projets requiert une part d’innovation que le client ne peut financer. Cette structure favorise également la collaboration avec les universités pour le développement d’expertises, entre autres dans le domaine du bois.
Plus près de nous, le cabinet vancouvérois HCMA a créé le programme TILT afin d’interagir avec la communauté et les autres disciplines pour générer de nouvelles idées. Cela donne lieu notamment à des résidences d’artistes à même les locaux de la firme. Et à Québec, Coarchitecture s’est dotée d’un laboratoire de matériaux écologiques en plus de collaborer avec l’Université Laval.
Comme le montre notre dossier sur l’innovation, apporter des solutions inédites est souvent risqué, coûteux et exige de ramer à contre-courant. C’est pourtant nécessaire si on veut faire avancer la discipline et consolider sa pertinence. Les architectes qui se lancent doivent baliser leur démarche, notamment en misant sur la multidisciplinarité et en évaluant bien les risques.
En adoptant son nouveau plan stratégique, l’Ordre a fait de l’innovation une de ses valeurs centrales. C’est dans cet esprit qu’il entend guider ses membres et réinventer ses propres pratiques.