Prix d’excellence en architecture, Œuvres hors catégorie
L’installation Le parloir – L’empreinte a permis aux étudiants de l’École d’architecture de l’Université Laval de réfléchir aux notions de paysage et d’altérité… bien assis sur du feutre recyclé ! Genèse d’une intervention architecturale hors du commun.
Quelques mois après sa conférence aux Instantanés d’architecture de l’École d’architecture de l’Université Laval, Alain Carle a été invité à prendre part au cycle d’expositions de l’établissement, qui vise à faire découvrir aux étudiants le travail de différentes firmes.
« J’aurais trouvé redondant d’afficher ce qui se trouve déjà sur notre site Web, précise celui qui est à la tête d’Alain Carle Architecte depuis 2000. J’ai donc dit à mes collaborateurs : “Faisons un travail qui permettrait à l’étudiant de comprendre notre approche, de saisir le processus et les principes essentiels qui mènent à nos réalisations”. »
« La source de mon approche conceptuelle est le paysage au sens très large, poursuit Alain Carle, qui est aussi professeur invité à l’École d’architecture de l’Université de Montréal. Et ce qui m’intéresse, c’est de travailler avec la notion d’altérité plutôt qu’avec celle d’identité québécoise. »
C’est dans cet esprit qu’a été conçue l’installation Le parloir – L’empreinte, qui a occupé, du 17 janvier au 22 février 2019, la salle d’exposition Jean-Marie-Roy, autrefois le parloir du Vieux-Séminaire de Québec.
Une empreinte
Alain Carle décrit le lieu de son intervention comme « un lieu qui a de l’histoire, mais [qui comporte] aussi des éléments inhabituels pour une salle d’exposition : un foyer, des moulures, une colonne ». Il a donc conçu la forme de son installation en fonction de ces éléments architecturaux. « Nous avons découpé [dans des couches de feutre recyclé] une courbe qui fait un banc là où plusieurs se sont installés devant le foyer par le passé. D’ailleurs, le parloir est une métaphore de l’altérité : c’était le seul point de contact [des pensionnaires du Séminaire] avec l’extérieur.
« Nous avons fait une empreinte du lieu, un peu comme un masque funéraire », poursuit-il, en soulignant que cette démarche renvoie à un artiste qui l’inspire, Pascal Convert. Comme ce plasticien français, l’architecte a intégré des projections vidéo en boucle à son installation. « J’ai choisi une vingtaine de films dans lesquels le paysage est un personnage en soi, et qui abordent la question de l’altérité : Mère et fils d’Alexandre Sokourov, Roma de Fellini, Le charme discret de la bourgeoisie de Buñuel et des films de Chabrol, d’Hitchcock, de David Lynch… » Entre chacun, le film expérimental 13 Lakes de James Benning était projeté. « Le milieu de l’art fait partie des sources d’altérité auxquelles l’architecte devrait constamment s’abreuver », estime Alain Carle.
Au profit de la communauté
Diffuser ces films tout en respectant les règles du droit d’auteur a constitué un défi. L’exposition a donc été intégrée à un cours d’architecture, un contexte dans lequel les projections ont pu être autorisées.
Autre démarche qui sort de l’ordinaire : pour construire la forme incurvée qui trônait au centre de la salle, la firme a acheté et mis en place environ 5 m3 de feutre recyclé. Plusieurs de ses employés se sont ensuite déplacés de Montréal à Québec pour effectuer les relevés de l’espace, le montage et le démontage de l’exposition, avec l’aide d’un menuisier.
Le tout a permis à la communauté universitaire de profiter de l’installation. Des étudiants venaient s’y ressourcer durant les longues soirées de travail, et l’ambiance agréable du lieu a produit une impression favorable sur les étudiants comme les professeurs, nous indique-t-on par courriel à la coordination des opérations de l’École d’architecture.
« Je crois que chacun en est reparti avec quelque chose qui l’a touché, conclut Alain Carle. Et à la fin, on a tout démantelé pour que les morceaux de feutre puissent être utilisés par les étudiants, ajoute l’architecte. Il doit encore y en avoir qui traînent à l’École ! »

Installation Le parloir – L’empreinte, Québec, Alain Carle Architecte
Image : Alain Carle Architecte
EMPLACEMENT : Québec
CLIENT : École d’architecture de l’Université Laval
ARCHITECTE : Alain Carle Architecte
COLLABORATEURS : Ariane Bernier, Jerry Carew, Alexandre Lemoyne, Isaniel Lévesque, Gabriel Ostiguy
Commentaires du jury
Cette installation a captivé le jury. L’équipe d’architectes s’est imprégnée du lieu à investir pour y mettre en scène une représentation abstraite de sa démarche architecturale grâce à une expérience sensorielle forte. L’œuvre recourt à un matériau inusité, le feutre, pour ériger un objet dont le tracé s’inspire de la salle, mais en déjoue les habitudes de fréquentation. Le visiteur esquisse dès lors de nouveaux parcours et est incité à s’arrêter pour découvrir, sur deux écrans qui se substituent aux entrées habituelles, des films dont le contenu fait écho à l’approche de la firme. Cette démarche est conçue comme un geste créatif d’écriture spatiale, en dialogue constant avec le paysage. Le jury rend hommage à cette recherche conceptuelle étoffée et à sa traduction dans une intervention sobre, sensible, évocatrice et originale.
Photo : Gabriel Ostiguy