C’est par vidéoconférence que s’est réuni, les 24 et 25 février dernier, le jury des Prix d’excellence en architecture de l’OAQ. Son mandat : évaluer 79 dossiers, couronner les projets lauréats dans 10 catégories et décerner un Grand Prix. Retour sur ces échanges, qui n’ont pas manqué de mordant.
Les délibérations se sont déroulées alors que Québec et Montréal étaient ensevelies sous une bordée de neige. « J’ai visité pas mal de pays du Nord, mais jamais en hiver », regrettait Didier Brault, qui prenait part aux discussions depuis Paris. Le président du jury des Prix d’excellence en architecture 2022 n’est venu qu’une fois au Québec, à l’automne 2019. Néanmoins, il a su poser sur les projets soumis au jury un regard aiguisé par sa riche expérience d’architecte et de directeur de studio aux Ateliers Jean Nouvel. Il a aussi pu compter sur l’appréciation des quatre autres membres du jury.
L’un de ces membres était Étienne Bernier, associé principal d’Agence Spatiale, à Québec, et lauréat du prix Relève en architecture 2021. « C’est très enrichissant d’examiner tous ces projets et d’avoir sur eux des points de vue d’architectes d’ailleurs au Canada et d’Europe, et celui d’une représentante du public », a-t-il estimé.
Ladite représentante, l’autrice Kim Thúy, a d’entrée de jeu indiqué ne pouvoir évaluer les projets qu’à l’aune d’une « appréciation non avertie de la beauté » en architecture. Mais sa capacité à décrire avec sensibilité les impressions ressenties à la vue des projets a contribué de façon notable à l’évaluation de ceux-ci.
L’inclusion d’une personne du public dans un tel jury est essentielle, a justement souligné un autre membre du groupe, l’architecte Eric Pelletier, associé principal chez Lemay et concepteur du projet lauréat du Grand Prix d’excellence en 2021. « On ne fait pas de l’architecture pour nous. Le plus important, c’est toujoursla réaction des gens, a-t-il fait valoir. L’architecture fait vivre des émotions, comme la littérature. »
Marie-Odile Marceau, architecte et cofondatrice de McFarland Marceau Architects, à Vancouver, s’est quant à elle montrée particulièrement attentive à l’intégration des bâtiments à leur milieu. « Souvent, il manque du contexte et il manque des annotations sur les plans », a-t-elle observé. Le jury aurait d’ailleurs souhaité que cet aspect soit davantage mis en évidence dans les dossiers, notamment dans les schémas d’implantation et les textes.
Des dessins à parachever
En particulier dans les catégories où les dossiers soumis étaient nombreux, comme celles des bâtiments résidentiels unifamiliaux et des bâtiments institutionnels publics, le jury a relevé l’absence d’éléments qui auraient permis de mieux comprendre et caractériser les projets.
« Devant autant de projets, la qualité et l’ordre de présentation des dessins sont importants pour montrer la démarche, a souligné Didier Brault. J’ai aussi trouvé dans beaucoup de projets que les dessins étaient raides, secs. J’ai été surpris parla qualité de certains projets en photos, en comparaison avec leurs dessins. C’est mieux que l’inverse, cela dit ! »
Eric Pelletier déplorait quant à lui le manque de dessins en coupe : « Je le répète souvent : la vérité est dans la coupe. » En marge des délibérations, il précisait : « La coupe nous en révèle beaucoup sur les intentions de l’architecte. Elle indique si l’architecte pense en trois dimensions et pas seulement en plan. On peut y lire les interconnexions entre chaque espace. »
Et le développement durable ?
Le jury est aussi resté sur sa faim en ce qui concerne les moyens déployés pour limiter l’empreinte écologique des projets.
Rappelons que le conseil d’administration de l’OAQ a retiré l’an dernier les « mentions », notamment celles qui ciblaient le développement durable et l’accessibilité universelle. Comme l’expliquait le président de l’Ordre, Pierre Corriveau, en préambule des délibérations, ce choix s’appuyait sur l’idée selon laquelle « l’accessibilité universelle et l’impact sur l’environnement, en réponse à l’urgence climatique, doivent de toute façon être inclus dans notre perception de l’excellence ».
Or, les textes et images reçus étaient à cet égard laconiques. « On dirait qu’il n’y a plus d’effort écologique par rapport à ce qu’on voyait il y a quelques années au Québec », s’est désolée Marie-Odile Marceau.
« À notre époque, c’est déplorable, a poursuivi Eric Pelletier. Je crois que nous devons nous questionner là-dessus comme architectes. Les efforts en ce sens ne semblent pas si ancrés dans notre pratique, alors qu’ils devraient l’être. »
Malgré ces quelques bémols, les délibérations se sont conclues dans l’enthousiasme à l’égard de cette « cuvée ». « Je trouve que la qualité architecturale croît chaque année au Québec », s’est réjoui Eric Pelletier. La maîtrise d’ensemble du projet, la finesse d’exécution des détails et l’aménagement astucieux de l’espace sont au nombre des qualités que le jury a relevées dans de nombreux projets lauréats. Le fait que des entreprises et des villes ont manifesté leur détermination à investir dans une architecture de qualité pour des projets de type industriel a aussi été salué.
Il reste que la barre est haute pour les prochaines candidatures. ●
Le jury des Prix d’excellence
Didier Brault, architecte, président du jury
Didier Brault est spécialisé dans la conduite de projets de grande échelle. Après des études à l’École nationale d’architecture de Paris-La Villette, il se joint aux Ateliers Jean Nouvel en 1987. Il obtient son diplôme d’architecte en 2000, puis un diplôme en paysage à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne en 2001. Il a dirigé notamment les phases de conception et de réalisation de la Fondation Cartier pour l’art contemporain à Paris et du musée du quai Branly – Jacques Chirac, à Paris. Nommé directeur d’atelier en 2008, il prend en charge, entre autres, le projet de la tour La Marseillaise et la direction du chantier de la Philharmonie de Paris. Depuis 2018, il assure, à titre de directeur de studio, la conception et le développement de projets en Chine, en étroite collaboration avec Ateliers Jean Nouvel Shanghai.

Étienne Bernier, architecte
Étienne Bernier est diplômé de l’École d’architecture de l’Université Laval. Il a aussi étudié et travaillé en Italie, en Chine et en France. En 2011, il démarre son atelier, Étienne Bernier Architecture, qui prend en 2022 le nom d’Agence Spatiale. En parallèle, il fonde avec quatre collègues le collectif Plux.5, qui explore diverses formes de création architecturale et conçoit des installations éphémères. Les réalisations de l’atelier et du collectif lui ont valu de nombreuses distinctions, dont le prix Relève en architecture décerné par l’Ordre des architectes du Québec en 2021. Étienne Bernier agit aussi comme chargé d’enseignement à l’Université Laval et s’investit dans divers groupesde recherche.

Photo Maxyme Gagné
Marie-Odile Marceau, architecte AIBC, FRAIC, LEED AP
Marie-Odile Marceau est la patronne de McFarland Marceau Architects, un cabinet situé à Vancouver qui offre des services d’architecture aux établissements d’enseignement, de loisirs et institutionnels. L’entreprise s’efforce de produire des bâtiments bien adaptés aux conditions locales d’implantation et à l’environnement tout en répondant aux exigences en matière de fonctionnalité, de flexibilité, d’intégrité de l’enveloppe et de facilité d’entretien. Par-dessus tout, la firme vise à créer des bâtiments qui sont appréciés de leurs propriétaires. Outre ses 30 ans en pratique privée, Marie-Odile Marceau a travaillé 10 ans au gouvernement fédéral comme architecte régionale pour le ministère des Affaires autochtones et du Nord Canada en Colombie-Britannique.

FRAIC, LEED AP
Eric Pelletier, architecte
Eric Pelletier a cofondé Croft Pelletier architectes en 1995, puis, en 2009, EPa architectes. En 2013, il s’est joint à Lemay en tant qu’associé principal, Conception. Il a été concepteur principal et directeur de projet dans de nombreux mandats institutionnels et culturels : citons la bibliothèque du Boisé et l’intervention de préservation et de mise en valeur du Grand Théâtre de Québec, tous deux lauréats du Grand Prix d’excellence de l’OAQ en 2015 et 2021. Ses méthodes de travail axées sur un processus de design intégré encouragent l’innovation et reposent sur la participation des maîtres d’ouvrage à une équipe multidisciplinaire. Leadership, facilité d’adaptation et créativité font d’Eric Pelletier un concepteur attentif, inclusif et inspiré.

Photo : Lemay
Kim Thúy, écrivaine
Kim Thúy a fui le Vietnam à l’âge de 10 ans lors de l’exode des boat people et s’est installée avec sa famille au Québec en 1978, après avoir vécu dans un camp de réfugiés en Malaisie. Diplômée en traduction et en droit de l’Université de Montréal, elle a travaillé comme couturière, interprète, avocate et restauratrice avant de devenir écrivaine. Kim Thúy a reçu de nombreux prix, dont le Prix littéraire du Gouverneur général 2010, et a été l’une des quatre finalistes du Nobel alternatif en 2018. Ses livres sont traduits en 29 langues et distribués dans 40 pays et territoires. Elle vit à Montréal et se consacre à l’écriture.

Photo : Carl Lessard