L’abordabilité des logements et la densification des villes constituent les deux faces de la même médaille. Alors que freiner l’étalement urbain s’impose en réponse à l’urgence climatique, cela ne peut se faire que si les logements demeurent à prix raisonnable dans les centralités.
Or, dans la plupart des centres urbains du Québec, on tire les mêmes constats : un nombre croissant de ménages habitent un logement réputé trop cher pour leurs moyens; les taux d’inoccupation sont au plus bas, augmentant la pression sur les coûts; les ménages avec enfants tendent à migrer vers les périphéries pour trouver une habitation qui correspond à leurs besoins et à leur budget; ceux à faible revenu sont chassés de leur quartier, victimes de la gentrification et des « rénovictions » (ces rénovations entreprises afin de hausser le prix des loyers, un phénomène qui sévit particulièrement à Montréal). En parallèle, le financement du logement social et abordable offert par les différents ordres de gouvernement est jugé insuffisant.
Nul doute qu’il faille augmenter l’offre rapidement. Heureuse nouvelle, c’est là une préoccupation de plusieurs municipalités, si on en croit leurs politiques d’habitation. En 2019, Montréal a mis cartes sur table avec le dépôt de son règlement « 20/20/20 », qui veut contraindre les promoteurs à prévoir, dans la plupart des projets résidentiels, 20 % de logements sociaux et 20 % de logements abordables, et à offrir 20 % de logements familiaux sur le total des unités. Gatineau, Lévis et Longueuil ont aussi évoqué la possibilité de formuler une exigence similaire.
La société gagne à ce que les ménages à revenu modeste demeurent dans les centres urbains. Cela permet d’optimiser les infrastructures existantes tout en fournissant aux entreprises locales la main-d’œuvre dont elles ont besoin.
Certains observateurs estiment que ce type de mesures fera fuir les promoteurs ou entraînera une hausse du coût des logements. D’autres, au contraire, considèrent que les villes doivent établir un cadre strict afin d’atteindre leurs objectifs de densification et d’abordabilité. Pour que le débat reste constructif, il importe de prendre un certain recul.
La société gagne à ce que les ménages à revenu modeste demeurent dans les centres urbains. Cela permet d’optimiser les infrastructures existantes tout en fournissant aux entreprises locales la main-d’œuvre dont elles ont besoin. Dans cette perspective, le logement devrait être vu comme une infrastructure collective. Encore faut-il s’assurer que les acteurs en place, si on les contraint à fournir cette infrastructure, bénéficient de l’aide requise pour en garantir la viabilité.
À cet égard, le cas de Vienne, en Autriche, est devenu une référence: environ 60 % de la population y vit dans des logements à loyer modéré. Ce parc n’abrite pas que les plus démunis: les ménages de la classe moyenne s’y établissent aussi, attirés par la qualité qu’on y trouve. Le tout est financé par l’impôt sur le revenu, entre autres.
Cette formule peut sembler utopique en Amérique du Nord, mais elle n’a rien de farfelu si on considère que l’accès à un logement convenable est un droit, comme le prône l’ONU. Par « logement convenable », l’organisation entend notamment un logement salubre et sécuritaire que les occupants peuvent se payer sans compromettre les autres aspects de leur vie, et qui donne accès aux possibilités d’emplois et aux services publics de santé et d’éducation. L’institution précise que ce droit n’implique pas que l’État doive fournir des logements de ce type à tout le monde, mais plutôt qu’il instaure des conditions qui favorisent la création de tels logements et qui protègent les habitants contre les expulsions.
Le Québec peut faire plus pour garantir ce droit à ses citoyens. Il est vrai que la dépendance des villes envers l’impôt foncier ne facilite pas la construction de logements abordables. Or, des solutions de rechange existent: tarification de services, taxation de produits ciblés, transfert et ajustement de la taxe de vente, allocation de l’impôt sur le revenu transférée aux municipalités, impôt variant selon l’utilisation du sol, partage de l’assiette fiscale entre villes… Aucune de ces formules ne semble parfaite, il faut le reconnaître, et tout changement risque de demander des adaptations. Mais puisque la tendance actuelle doit être corrigée, on n’a d’autre choix que de réfléchir collectivement à un modèle viable et prometteur pour demain.