Loin d’être uniquement tournée vers le passé, la préservation du patrimoine immobilier est un ingrédient clé d’un avenir meilleur : Paul Lanoie, commissaire au développement durable du bureau du Vérificateur général du Québec, en est convaincu. Il revient avec nous sur ses observations à ce sujet incluses dans le rapport de l’institution pour 2020-2021.
Le rapport du Vérificateur général publié en juin dernier consacre tout un chapitre à la sauvegarde et à la valorisation du patrimoine immobilier. « Le patrimoine immobilier devrait faire partie de notre prise de conscience environnementale », lit-on dans le troisième chapitre du document, qui met en lumière l’absence de stratégie, le manque de cohérence et le leadership insuffisant du ministère de la Culture et des Communications du Québec en matière de préservation du patrimoine bâti.
En parallèle, le commissaire au développement durable propose, dans le même document, une « réflexion complémentaire » dans laquelle il décortique les raisons non seulement environnementales, mais aussi sociales et économiques, qui « militent en faveur de [la] nécessaire sauvegarde » du patrimoine bâti. Nous en avons discuté avec lui.
ESQUISSES : En quoi le patrimoine immobilier, aussi nommé patrimoine bâti, et le développement durable sont-ils liés ?
PAUL LANOIE : Puisque le développement durable tient compte des générations à venir, je considère la préservation du patrimoine immobilier comme un véritable enjeu de développement durable. Tout un courant de recherche scientifique montre que conserver les édifices existants et les rénover a souvent moins d’effets néfastes sur l’environnement que de les jeter à terre pour en construire de nouveaux, si on tient compte de l’ensemble du cycle de vie d’un bâtiment. L’étude américaine The Greenest Building: Quantifying the Environmental Value of Building Reuse, que je cite dans le rapport, démontre par exemple que rénover une maison unifamiliale peut occasionner des gains d’environ 10 à 11 % sur le plan de l’utilisation des ressources par rapport à sa démolition et à la construction d’une maison neuve.
Dans la même veine, on considère parfois l’entretien du patrimoine bâti comme un fardeau en raison des coûts élevés que cela engendre, mais vous y voyez surtout de nombreux avantages. Lesquels ?
C’est vrai que l’entretien des bâtiments patrimoniaux coûte cher, mais la réhabilitation d’un bâtiment existant a d’autres bienfaits, notamment sur le plan économique. D’abord, la restauration d’immeubles crée plus d’emplois. Une étude du gouvernement de l’Ontario a démontré que les rénovations demandent 66 % plus de main-d’œuvre que la reconstruction [ce qui profite à l’économie]. Ensuite, la valorisation du patrimoine immobilier est bénéfique pour l’industrie touristique. Enfin, la préservation de ces bâtiments rehausse la valeur foncière dans leur secteur. Les municipalités gagneraient donc à investir dans leur patrimoine immobilier.
Vous faites en outre valoir dans le rapport que « le patrimoine immobilier peut enrichir le capital social ». De quelle manière ?
Préserver le patrimoine immobilier permet de mieux comprendre notre histoire et de créer un sentiment d’appartenance. Il constitue également un héritage pour les générations futures. De plus, sa préservation et la création d’environnements esthétiquement riches qui en résulte augmenteraient la qualité de vie de la population.
Vous concluez vos observations en qualifiant les constats du rapport d’audit de « préoccupants ». Quelle devrait être la priorité du ministère de la Culture et des Communications cet automne en la matière ?
La priorité sera d’enclencher la mise en œuvre des neuf recommandations faites par le Vérificateur général du Québec, à commencer par l’élaboration d’une stratégie d’intervention en matière de sauvegarde et de valorisation du patrimoine immobilier.
Changements climatiqueset patrimoine
Dans ses observations, Paul Lanoie évoque les changements climatiques, qui « créeront vraisemblablement des difficultés additionnelles pour la sauvegarde du patrimoine immobilier ». Parmi les principaux enjeux qui touchent le Québec : la hausse des températures et l’accroissement des précipitations en hiver et au printemps, qui risquent d’« exacerber la dégradation des matériaux ». Voici les solutions qu’il propose pour y faire face :
• Améliorer l’entretien et la surveillance des édifices patrimoniaux;
• Mieux se préparer aux changements climatiques en misant sur la recherche, la diffusion des connaissances et la qualité des plans de gestion;
• Mettre en place des mesures d’adaptation, par exemple des digues pour protéger les sites côtiers ou la plantation d’arbres pour atténuer les problèmes d’érosion;
• S’inspirer des façons de faire qui ont permis de bâtir des édifices qui ont traversé les années.
Regard sur le parc immobilier scolaire
Le bureau du Vérificateur général du Québec s’est penché sur la qualité et la disponibilité des bâtiments scolaires dans un autre rapport, publié celui-là à la fin de 2019. Le commissaire au développement durable y notait que « de nombreuses interrogations » subsistaient, en particulier en ce qui a trait aux enjeux environnementaux entourant la rénovation et la construction d’écoles.
« Comme on va investir beaucoup d’argent pour bâtir ou rénover des écoles dans les prochaines années, j’ai le souci qu’on le fasse le mieux possible », souligne en entrevue Paul Lanoie.
On devrait, croit-il, porter une attention particulière à la consommation d’énergie, aux émissions de gaz à effet de serre et à la gestion des déchets de construction, sans toutefois évacuer les critères – organisation de l’espace, luminosité et qualité de l’air, notamment – qui font d’une école un lieu qui favorise le développement des enfants.