Concevoir pour les communautés autochtones nécessite de prendre le temps qu’il faut pour bien comprendre leur contexte culturel, afin de répondre avec justesse à leurs valeurs et à leur mode de vie.
Quand il a décidé de participer au concours international d’architecture pour le Centre culturel Tjibaou, en Nouvelle-Calédonie, Renzo Piano savait qu’il allait devoir éviter deux écueils. Le premier : prétendre reconstituer l’architecture du peuple autochtone kanak. Le second : imposer un bâtiment essentiellement européen qui ferait abstraction de la culture locale et du contexte environnant. Le mandat consistait à concevoir un grand complexe incluant notamment musée, centre de spectacles, médiathèque, palais des congrès, centre de recherche et parc paysager. Retenu pour élaborer une des prestations soumises au jury, Piano a compris l’importance de l’authenticité culturelle du projet et a fait appel à un ethnologue spécialiste du peuple kanak. Ayant remporté le concours en 1991, il a collaboré avec ce même spécialiste tout au long du projet ainsi qu’avec l’Agence de développement de la culture kanake.
Si les formes du bâtiment inauguré en 1998 rappellent celle des huttes traditionnelles kanakes, l’organisation, l’échelle et les matériaux peuvent sembler d’une tout autre nature. Ainsi, pour le revêtement extérieur, on a utilisé du bois d’iroko plutôt que les fibres végétales tissées qui sont caractéristiques de ces huttes, afin que la construction résiste au temps et aux éléments. En revanche, les parcours que forment les aires de circulation ont été conçus avec une sensibilité particulière au rapport à l’espace de la culture kanake.
Bref, l’architecte a innové en s’appuyant sur la culture, non pas pour la copier, mais pour l’intégrer à une fonction qui n’avait pas d’équivalent sur le territoire. En réinterprétant les observations ethnologiques dans le bâti contemporain, il a fait se rencontrer les deux cultures pour qu’elles s’apprivoisent et se parlent.

Photo : David Stanley (cc-by-2.0)
Au Québec, les projets architecturaux destinés aux communautés autochtones font face à un défi similaire, comme l’évoque le dossier de ce numéro d’Esquisses. Sous-représentés dans le milieu architectural québécois, les autochtones sont ici servis la plupart du temps par des architectes allochtones qui apprennent à mieux concevoir le bâti qui leur est destiné.
De nos jours, il n’est plus question d’imposer, comme on l’a fait autrefois, des modèles déconnectés des cultures locales. Mais on ne saurait non plus se limiter à l’intégration superficielle de symboles culturels.
Les architectes qui se voient confier de tels mandats semblent unanimes : concevoir pour les communautés autochtones nécessite de prendre le temps qu’il faut pour bien comprendre leur contexte culturel, afin de répondre avec justesse à leurs valeurs et à leur mode de vie. Cela suppose d’établir un dialogue avec les communautés et de prendre en compte la recherche de consensus propre à leur processus décisionnel. Cela fait en sorte qu’il peut s’écouler plusieurs années entre le début d’un projet et sa mise en service.
Les peuples autochtones ont une belle leçon à nous transmettre : il faut donner du temps au temps, au dialogue et à la réflexion. On devrait d’ailleurs appliquer cette leçon à tous les projets, peu importe à qui ils sont destinés.
Une telle lenteur peut sembler incompatible avec l’efficacité qui domine nos manières de faire habituelles. Or, je suis d’avis que les peuples autochtones ont une belle leçon à nous transmettre : il faut donner du temps au temps, au dialogue et à la réflexion. On devrait d’ailleurs appliquer cetteleçon à tous les projets, peu importe à qui ils sont destinés.
Je l’ai souvent dit, pour faire des projets de qualité, les architectes ont besoin de temps. Du temps pour étudier le contexte d’insertion, pour saisir les habitudes et les besoins de la clientèle de même que pour mesurer les contraintes de toute nature. Prendre du temps pour expliquer, valider, ajuster. Laisser le temps à l’autre pour comprendre et s’exprimer. Les propositions que l’on fait ont avantage à être discutées et bonifiées par les parties prenantes, ce qui donne lieu à de multiples itérations. Il en faut des séances de consultation, des perches tendues, des observations, des lectures et relectures, des prises de recul et des essais de toutes sortes pour en arriver au meilleur projet possible. Escamoter ces étapes cruciales, comme on le fait trop souvent, c’est se priver d’occasions d’améliorer durablement les milieux de vie.
Alors, j’invite toutes les collectivités du Québec à changer les paradigmes existants et à embrasser une manière de bâtir l’avenir qui existe ici depuis des millénaires : ralentir pour réfléchir ensemble, sans laisser personne derrière et avec un profond respect pour le territoire. Ce sera peut-être parfois plus long, mais les bienfaits seront certainement plus durables. ●