Les guides touristiques vantent la Lettonie comme une destination de nature et de patrimoine. Sa nouvelle politique nationale de l’architecture devrait assurer l’avenir de cette réputation.

Les Lettons aiment rappeler que leur pays compte parmi les plus verts de la planète. Vue du ciel, la Lettonie ressemble effectivement à une immense forêt jouxtant les plages de sable fin de la mer Baltique.

À y regarder de plus près, les villes et villages conjuguent une architecture éclectique mêlant chalets modestes, bâtiments de styles divers – roman et gothique du 13e siècle, néoclassique, art nouveau, modernisme soviétique – et constructions contemporaines. Une véritable ligne du temps à ciel ouvert !

Il faut dire que huit siècles d’histoire séparent les maisons traditionnelles en bois des façades de verre de la nouvelle bibliothèque nationale de Lettonie en plein cœur de Riga, sa capitale (voir Esquisses, hiver 2016-2017). La construction de ce bâtiment emblématique, au coût de 240 M$, a d’ailleurs suscité un débat public sur la façon d’intégrer le folklore à la modernité. D’où la nécessité grandissante d’établir une feuille de route pour préserver le patrimoine et construire l’avenir de ce pays de deux millions de résidents, 10 fois plus petit que la France avec ses quelque 65 000 km².

Conversion d’un ensemble industriel en complexe résidentiel de 62 logements – Gypsum Factory (phase II), Riga, Zaigas Gailes Birojs Photo: Ansis Stark
Prise de conscience 

« Jusqu’à il y a une dizaine d’années, il n’y avait pas vraiment d’intérêt de la part du public et des architectes pour une Politique nationale de l’architecture (PNA) », avoue Janis Dripe, aujourd’hui expert en architecture au ministère de la Culture. La sortie du bloc soviétique, en 1991, avait certes marqué une prise de conscience, mais l’entrée du pays dans l’Union européenne (UE), en 2004, a catalysé une volonté d’affirmation devant un plus grand ensemble. « Cela a accéléré notre envie d’adopter une législation pour protéger notre héritage culturel et architectural, en plus d’élaborer nos propres plans d’aménagement pour Riga et les autres grandes villes. »

Il reste que, dès le milieu des années 1990, le gouvernement letton entre dans une phase de tâtonnements et de glanage d’inspiration auprès des pionniers européens en matière de PNA (Pays-Bas, Norvège, Danemark, Suède, France, Estonie, etc.). Tradition nordique oblige, le voisin finlandais aura une influence déterminante. En 1999, alors que la Finlande préside l’UE, son premier ministre, Paavo Lipponen, impulse la création d’un Forum européen des politiques architecturales (FEPA), dont le premier rendez-vous aura lieu en 2001, sous la présidence française cette fois. La même année, le Conseil de l’Europe adopte une résolution sur la qualité architecturale qui se révélera par la suite très inspirante pour l’équipe de rédaction de la PNA lettone.

Mise sur pied en 2008 par le ministère de la Culture, cette équipe était dirigée par Janis Dripe, alors maître architecte de la ville de Riga, et composée d’architectes, d’académiciens et de représentants des institutions publiques. Peu contraignant, le texte issu de leurs travaux a été adopté – sans difficulté – par le gouvernement pour la période 2009-2015.
 

Esprit de collaboration

L’équipe de Janis Dripe a tenu à ce que le document revête un caractère plutôt général et consensuel : qui peut s’opposer à une architecture de qualité ? Le texte rappelle l’importance de l’environnement bâti et précise le rôle de l’architecture dans le développement durable du pays. Stratégiquement, il établit surtout des alliances formelles et pragmatiques entre le ministère de la Culture et l’Association des architectes de Lettonie. Cette collaboration donnera naissance au Conseil national des architectes et à la création, en 2011, d’une deuxième école d’architecture au sein de RISEBA, l’une des plus importantes universités du pays, qui attire des étudiants lettons comme internationaux.

Mais pas question de s’arrêter en si bon chemin ! Après 2015, le gouvernement letton modifie ce premier jet pour l’intégrer de façon plus large à Lettonie créative, une feuille de route qui détermine les grandes orientations qui s’appliquent à tous les domaines de la création. « Dans cette continuité, nous avons commencé à élaborer un projet de loi sur l’architecture, que nous prévoyons rendre public d’ici la fin de 2017. Celui-ci reconnaîtra notamment l’architecture comme un secteur de l’industrie créative et intégrera les aspects artistiques, fonctionnels, technologiques, sociaux, économiques et écologiques de l’environnement spatial au sens large », avance Dzintra Purvina, responsable de la division des industries créatives pour le ministère de la Culture.

En attendant la loi, cette stratégie collaborative a déjà permis de concrétiser des actions proposées par les architectes. Sur le plan national, citons la création du Prix d’architecture de Lettonie, un événement annuel qui vise à faire connaître les meilleurs travaux au grand public tout en incitant à l’excellence architecturale. Dans le même esprit, le programme « Skolnieks Petnieks Pilsetnieks » (Élèves, explorateurs et citoyens) a été imaginé par la nouvelle Association des jeunes architectes pour guider les enfants dans leur compréhension de l’environnement bâti. Enfin, la mise en place d’un pavillon balte, conjointement avec l’Estonie et la Lituanie, a permis le rayonnement de la Lettonie à la Biennale internationale d’architecture de Venise en 2016.


Sur le terrain

En pratique, toutefois, la PNA semble manquer de dents. C’est du moins ce que pense Davis Gasuls, architecte à Riga pour l’agence Zaigas Gailes Birojs. Il dit douter parfois du réel pouvoir du Conseil national des architectes : « Son avis n’est pas toujours pris en compte, comme dans le cas de cette loi sur la construction votée en 2014 qui nous impose de produire des certificats énergétiques pour tous les projets d’architecture. Cette réglementation est très bonne pour les nouveaux bâtiments, mais pas parfaitement adaptée aux délicats travaux de rénovation du patrimoine historique », pense-t-il.

Heureusement, d’autres structures compensent les limites de la réglementation. Il cite en exemple le Conseil du centre historique de Riga, relié à l’UNESCO. Il s’agit d’une des rares organisations qui évaluent les projets en fonction de leur qualité architecturale, y compris leur impact sur l’espace public.

Mais globalement, l’architecte reconnaît que la sauce commence à prendre et que la nouvelle PNA a fait avancer les choses, notamment dans les changements du système de certification des architectes, ainsi qu’en matière de développement durable : « Les Lettons sont de plus en plus enclins à trouver des solutions énergétiques efficaces pour leurs maisons. Je remarque aussi une nette prise de conscience dans le domaine de l’accessibilité des espaces publics aux personnes handicapées. »

Promouvoir la qualité architecturale pour améliorer la qualité de vie de tout un chacun, c’est le credo de la délégation lettone qui s’est rendue en mars dernier à Malte pour la rencontre du FEPA. Sa mission, comme chaque année depuis 2004 : glaner les bonnes idées venues d’ailleurs pour tenter de les appliquer à la morphologie du pays. Janis Dripe et son équipe sont rentrés les valises pleines de nouveaux concepts qui façonneront sans doute le patrimoine letton de demain.  


Problèmes à l’origine de la mise en œuvre de la politique nationale de l’architecture en Lettonie

• Qualité du cadre bâti compromise par les lacunes de la réglementation en vigueur

• Absence d’une politique harmonisée et d’une gestion coordonnée du développement du secteur de l’architecture

• Niveau de compréhension insuffisant, chez les décideurs et dans la société en général, quant au rôle de l’architecture dans la création de milieux de vie de qualité

• Nécessité de préciser le positionnement de l’architecture comme discipline intersectorielle dans la résolution de problèmes liés à la construction et à l’aménagement

• Retard, voire déclin, de la recherche et de l’expérimentation en architecture, attribuable au manque de financement

Adapté d’un extrait de l’ébauche des lignes directrices élaborées par le groupe de travail mis sur pied par le ministère de la Culture et dirigé par Janis Dripe, 2008.