North Tyneside police
Poste de police, North Tyneside (Royaume-Uni), Ryder
Photo : police de Northumbria

Pour s’assurer que ses projets de construction et de rénovation majeure satisfont leurs usagers, le gouvernement central britannique les soumet depuis 2013 à une politique appelée Government Soft Landings. Cependant, beaucoup d’éducation reste à faire sur la manière d’appliquer ses lignes directrices.

À l’annonce de la construction de son nouveau laboratoire de métrologie avancée à Teddington, au sud-ouest de Londres, en 2013, le Bureau national des mesures a dit souhaiter que l’installation puisse s’adapter aux progrès de la science pendant au moins une dizaine d’années avant de nécessiter des rénovations. Pour s’en assurer, l’agence gouvernementale a organisé dès le début du projet une rencontre entre ses représentants, les scientifiques, les responsables de l’entretien et l’équipe de conception.

Le geste illustre parfaitement l’esprit de la politique Government Soft Landings (GSL), entrée en vigueur la même année. « Avec cette politique, nous voulions nous assurer que les intérêts des utilisateurs ne soient pas oubliés durant la planification, le design, la construction et la mise en œuvre d’un bâtiment, explique Roy Evans, président du Groupe de travail sur la GSL. Nous voulions aussi nous assurer que la performance réelle soit aussi près que possible de la performance prévue. »

Outre le recours à la modélisation des données du bâtiment (MDB/BIM), devenue obligatoire en 2016, la politique demande que l’équipe de construction assure un suivi d’un à trois ans pour tout projet assujetti, ce qui englobe les évaluations post-occupation. ‘

La GSL a été élaborée à la suite du dévoilement de la Stratégie nationale de construction britannique, en mai 2011. Le gouvernement central avait alors décidé de se pencher sur la performance de ses biens immobiliers : bureaux administratifs, prisons, tribunaux, édifices militaires, certains centres de santé et écoles, entre autres.

Intégrer les utilisateurs

Comme son nom l’indique, la GSL est basée sur l’approche dite Soft Landings (SL), dont l’objectif est de permettre l’« atterrissage en douceur » d’un bâtiment au moment de la livraison au client. « Vers 2004, quand le terme est apparu, l’idée était que l’équipe de construction aide les nouveaux propriétaires à résoudre les différents problèmes qui peuvent survenir une fois le bâtiment occupé et à faire graduellement les ajustements nécessaires pour que les performances réelles soient le plus près possible de celles prévues au moment de la conception », résume Roderic Bunn, analyste en performance de bâtiments qui dirige l’initiative SL de la Building Services Research and Information Association (BSRIA).

La version gouvernementale de ces bonnes pratiques a comme principal objectif d’intégrer les utilisateurs non seulement à l’étape finale de la mise en service, mais aussi dès le début, lors de l’idéation du projet, puis à toutes les étapes de celui-ci, afin de répondre adéquatement à leurs besoins dans trois secteurs-clés : la fonctionnalité du bien immobilier, ses coûts opérationnels et ses impacts environnementaux.

« La GSL en elle-même ne peut résoudre tous les problèmes, fait toutefois remarquer Michelle Agha-Hossein, ingénieure et consultante en construction durable à la BSRIA. Combinée à la MDB, elle offre effectivement une plateforme pour permettre aux membres de l’équipe d’un projet de travailler ensemble et de partager les responsabilités, mais pour que cela fonctionne, une meilleure planification et plus d’intégrité dans le déroulement du projet sont nécessaires. »

En théorie, l’application de cette politique à tout projet de construction ou de rénovation majeure relève de chaque ministère. Sauf que, dans les faits, elle « n’est pas une obligation, mais bien une attente » du gouvernement, tient à préciser le président du Groupe de travail sur la GSL. En décembre 2016, on y avait eu recours seulement pour une poignée de projets, dont celui de la rénovation de la cuisine de la prison de Liverpool et celui du laboratoire de Teddington.

Une adaptation pour tous

Du côté des architectes, la GSL est perçue comme une « légère variante » de l’approche SL, déjà utilisée dans l’industrie britannique depuis plusieurs années. « Je crois que tout le monde apprécie la stratégie », avance Dale Sinclair, directeur de la pratique technique chez AECOM et ambassadeur de la collaboration et du progrès technique du Royal Institute of British Architects (RIBA). « Les clients ont toujours été préoccupés par le fait que les équipes de construction sont plus concentrées sur le parachèvement du bâtiment que sur sa livraison au client et sa mise en service, note-t-il. Ils sont donc plutôt contents qu’une politique les aide à s’assurer que l’édifice leur convient une fois livré. »

L’une des plus grandes difficultés pour les architectes réside toutefois dans la manière de recueillir la rétroaction des utilisateurs. « Cela semble complexe pour plusieurs », reconnaît Dale Sinclair en soulignant qu’il existe des outils à cet effet. C’est pourquoi le RIBA propose une série de stratégies de mise à disposition à ses membres.

Les futurs propriétaires doivent aussi s’adapter. « La GSL représente un défi pour les clients, car ils doivent réfléchir aux caractéristiques fonctionnelles du bâtiment qui leur semblent essentielles et aux mécanismes qui leur permettront de s’assurer que celles-ci seront véritablement livrées », fait valoir Roy Evans.

Poste de police,
North Tyneside (Royaume-Uni), Ryder
Photo : police de Northumbria

Dans tous les cas, conscientisation et formation sont actuellement nécessaires. « C’est un défi d’éducation dans les deux sens, constate le fonctionnaire. Les équipes de construction devront se faire enseigner les nouvelles exigences, et le gouvernement devra éduquer les clients pour leur permettre d’appliquer la réglementation. » Aucune formation n’est officiellement offerte à ce sujet, mais le Groupe de travail sur la GSL, la BSRIA de même que le RIBA fournissent des documents explicatifs et tentent de répondre aux questions spécifiques qui leur sont posées.

Quant aux architectes et aux ingénieurs, ils devront apprendre à se focaliser sur les rendements finaux des bâtiments autant qu’ils le font actuellement sur leur concept initial. « Sauf qu’ils ne sont pas formés pour cela dans les universités britanniques, fait remarquer Roderic Bunn. Ce qui veut dire que les programmes devront être modifiés. » Dale Sinclair et Michelle Agha-Hossein sont d’accord avec lui. « Les concepteurs et les constructeurs sont généralement persuadés qu’ils peuvent livrer un produit performant, mais ils ne communiquent pas assez entre eux, ce qui crée un écart entre la conception et la construction, ajoute cette dernière. La mise en commun de leurs savoirs et compétences est plus susceptible de donner des résultats souhaitables. »

Même s’il estime que ce sera un « changement radical dans la manière d’enseigner la conception aux professionnels », Paul Mercer, directeur chez Tangram Architects et facilitateur DQI (voir « DQI – Vision globale »), y voit beaucoup de points positifs. « Cela leur permettra de mieux comprendre les impacts de bâtiments qui feront partie du paysage pendant des décennies, voire des siècles, et de mieux saisir ce qui a fonctionné ou pas dans leur conception. Leur sentiment de satisfaction du travail bien fait augmentera, tout comme les connaissances qu’ils pourront appliquer à d’autres projets. »

Tout un progrès pour la profession et ceux qu’elle sert.


Déception et confusion

La Building Services Research and Information Association (BSRIA) britannique, qui propose depuis près de 10 ans un guide de recommandations sur l’approche Soft Landings (SL), est plutôt déçue de la politique Government Soft Landings (GSL).

« Le gouvernement semble confondre le produit bâti et l’étape de la construction, entre autres parce qu’il n’y a pas de ministère de l’Environnement bâti en Grande-Bretagne », estime Roderic Bunn, analyste en performance de bâtiments qui dirige la démarche SL de la BSRIA. « La GSL est principalement rédigée – et pas très brillamment, d’ailleurs – pour permettre aux clients de faire certaines demandes durant la construction, alors que notre approche est axée sur la performance réelle du bâtiment. » Il explique par exemple que la GSL requiert à plusieurs reprises de démontrer, par des calculs et des modèles, que les cibles énergétiques et financières seront atteintes, alors que l’approche de la BSRIA insiste davantage sur le suivi auprès des usagers une fois le bâtiment mis en service.

De son côté, Roy Evans assure que la GSL « est aussi axée sur le rendement réel que l’approche de la BSRIA », qui a d’ailleurs été prise en compte lors de l’élaboration de la politique. L’organisme n’a toutefois pas été invité à y participer. « Nous avons essayé très fort, mais je ne peux pas dire que nous avons réussi », se désole Roderic Bunn.


Pas de directives précises pour les ÉPO

La politique Government Soft Landings (GSL) préconise entre autres de mener des évaluations post-occupation (ÉPO). Par contre, le gouvernement ne prescrit aucune méthode en particulier pour les réaliser.

« Ces évaluations peuvent prendre plusieurs formes, tant qu’elles permettent de répondre à une question-clé : est-ce que le bâtiment satisfait les besoins que les utilisa­teurs ont précisés au début du projet ? » explique Roy Evans, président du Groupe de travail sur la GSL.

« Dans les faits, tous les outils qui permettent de recueillir les commentaires des usagers peuvent être utilisés, que ce soient les recommandations de la Building Services Research and Information Association (BSRIA), le formulaire TM 22 de la CIBSE [Chartered Institution of Building Services Engineers], le questionnaire méthodologique Arup-BUS, le DQI [voir « DQI — Vision globale »]… », énumère Roderic Bunn, de BSRIA.

Le gouvernement « ne peut recommander un outil propre à un organisme plutôt qu’à un autre » pour répondre à ses attentes d’ÉPO, mais il peut soutenir l’usage de mesures utiles et de programmes informatiques facilitant la cueillette de données, précise Roy Evans. C’est le cas de la modélisation des données du bâtiment (MDB/BIM).

Michelle Agha-Hossein, ingénieure et consultante en construction durable à la BSRIA, fait valoir que son association a mis au point plusieurs types d’ÉPO. Cependant, elle suggère « d’employer une méthode uniforme afin de pouvoir comparer ses résultats avec ceux de projets similaires ».