Depuis 1992, L’ŒUF Architecture montre comment il est possible de concevoir et de construire des projets à portée sociale qui sont à la fois écologiques et esthétiques.
Le sens du collectif
La vision particulière de L’Office de l’éclectisme urbain et fonctionnel (L’ŒUF) se manifeste dès ses premiers projets, telle la coopérative d’habitations Benny Farm. Elle y est toujours dans ses plus récentes réalisations, dont Demain Montréal, un ensemble à usage mixte en cours de développement.
L’ŒUF a fait œuvre de pionnière en concevant des logements sociaux, des écoles et des centres culturels non seulement pour les communautés, mais aussi avec elles. « Le défi de jongler avec les aspects abordable, durable et esthétique est tellement complexe que le meilleur projet, c’est celui que le client développe avec nous », estime Daniel Pearl, architecte principal et fondateur de L’ŒUF.
« Pour L’ŒUF, le client n’est pas seulement l’organisation qui a payé le projet, c’est aussi le public qui va utiliser l’infrastructure », précise Lisa Bornstein, professeure agrégée à l’École d’urbanisme de l’Université McGill, qui a soutenu la candidature de L’ŒUF pour le prix Engagement social.
Pour le projet Benny Farm, dans le quartier montréalais de Notre-Dame-de-Grâce, les architectes, ingénieurs et ingénieures, urbanistes ainsi que les usagers et usagères ont élaboré ensemble une vision, comme on le fait aujourd’hui dans le processus de conception intégrée (PCI), qui est de plus en plus employé. « Le PCI, ce n’est pas nouveau pour nous », commente Daniel Pearl. Par ailleurs, sur le plan environnemental, Benny Farm prévoyait déjà, au début des années 2000, des mesures de réduction des gaz à effet de serre (GES), d’économie d’eau et de réutilisation des matériaux, notamment des briques des anciens bâtiments, ce qui participe à l’esthétique des lieux.
Repenser la carboneutralité
Demain Montréal est l’un des projets lauréats du concours Reinventing Cities, de l’organisme C40 Cities. L’objectif de ce concours est d’explorer des avenues pour décarboner le bâtiment. Quand il est question de carboneutralité, on pense aux émissions générées par la fabrication des matériaux et à celles qui sont produites lors de la construction, ainsi qu’à l’énergie consommée par le bâtiment durant sa phase d’opération. On considère plus rarement les émissions liées à la consommation des résidentes et résidents. « Quant à L’ŒUF , ils ont présenté leur projet, ils ont expliqué que concevoir un bâtiment carboneutre, c’est le minimum, dit Hélène Chartier, directrice de l’urbanisme et de l’architecture à C40. Or, leur stratégie inclut les émissions intrinsèques (générées par la construction) et des services pour encourager les citoyens à réduire les leurs. C’est une approche assez pionnière. »
Demain Montréal se présente donc comme un catalyseur de nouveaux modes de consommation grâce à un fab lab, à un restaurant, à une épicerie zéro déchet et à des initiatives d’agriculture urbaine. « Au lieu de faire un bâtiment vedette, il faut donner des outils à la communauté, et on a réussi à montrer par modélisation qu’on peut diminuer encore plus les émissions de GES en travaillant sur les habitudes de consommation des gens plutôt que sur le bâtiment uniquement », indique Daniel Pearl.
Comme lors de ses projets précédents, L’ŒUF a travaillé avec la communauté et a même fait appel à des sociologues et à des ethnographes pour s’assurer d’entendre toutes les voix. « Les sociologues nous montrent comment faire de la cocréation et du coapprentissage, mais il faut aller plus loin, car les personnes vulnérables, par exemple, ne peuvent pas toujours participer à une séance publique. Les ethnographes nous aident à recueillir l’avis de ces personnes », décrit Daniel Pearl. C’est ce que Lisa Bornstein appelle une pratique de l’architecture « attentive », car à l’écoute des préoccupations de tous et toutes, dans une perspective d’apprentissage. « Il y a un engagement social à manifester durant le processus de conception, et aussi tout au long de la vie du projet, en permettant à la population d’apprendre à vivre de façon plus écologique », renchérit Daniel Pearl.
Une pratique qui inspire
Daniel Pearl enseigne à l’École d’architecture de l’Université de Montréal et mène des projets de recherche avec Lisa Bornstein. Par ailleurs, L’ŒUF accueille régulièrement des architectes stagiaires. La professeure voit ainsi naître une nouvelle génération d’architectes qui s’imprègne de la pratique de L’ŒUF. Au fil des projets, cette pratique déteint aussi sur les multiples partenaires sociaux, politiques et professionnels de la firme, et s’exporte même à l’international. L’ŒUF a notamment des partenaires en France, en Inde et au Chili.
Comme quoi l’engagement social est aussi une valeur qui s’exporte. ●