En novembre 2019, le gouvernement de François Legault a annoncé le lancement du vaste chantier des maisons des aînés, avec l’objectif de transformer les milieux d’hébergement pour personnes âgées. Un consortium d’architectes a été mis à contribution. Incursion dans ce processus hors de l’ordinaire.
Le projet, déjà ambitieux, a pris de l’ampleur au fil des mois. Plutôt que les 30 résidences prévues initialement, il y a maintenant 46 maisons des aînés et pavillons alternatifs (voir « Les pavillons alternatifs : pour qui ? », ci-dessous) à construire aux quatre coins de la province. « Le nombre de places à livrer est passé de 2600 à plus de 3400, explique Caroline Bourgeois, vice-présidente, gestion de projets à la Société québécoise des infrastructures (SQI). D’ici la fin de l’été 2022, il faut mettre en service au moins 2600 places. Les autres seront offertes graduellement à partir de l’automne suivant. » Le coût total estimé pour l’ensemble des établissements atteint maintenant 2 G$.
Pour mener un projet de cette envergure, à l’échéancier aussi serré, la SQI a choisi d’élaborer un concept de base pour l’ensemble des maisons plutôt que pour chacune d’entre elles. Dans ce but, la société d’État s’est adjoint les services d’une équipe maître formée des firmes Provencher_Roy, BBBL architectes, DMG Architecture, GLCRM & Associés et Groupe A/Annexe U, toutes retenues à la suite d’un appel d’offres.
Chaque membre de ce consortium a reçu un mandat précis. Provencher_Roy et BBBL ont assuré la conception architecturale et la création des différentes typologies des bâtiments, qui peuvent compter de 48 à 192 lits. DMG s’est penché sur les exigences techniques afin de rédiger les devis de performance et les fiches techniques. GLCRM s’est vu confier la programmation architecturale et le dessin des plans types, de concert avec les équipes de conception. Quant au Groupe A, il a agi comme chargé de projet en plus de procéder à l’analyse des divers sites.
Les pavillons alternatifs : pour qui ?
À la différence des maisons des aînés, ces établissements accueilleront des adultes vivant avec des déficiences physiques, qui seront regroupés au sein d’une même maisonnée. Quelque 1000 places sont réservées à cette clientèle dans les projets actuels du gouvernement québécois.
Travail intensif
L’équipe maître s’est mise à l’œuvre dès août 2019 afin de définir les éléments programmatiques et architecturaux. La commande était claire : il fallait rompre avec le modèle traditionnel des CHSLD pour créer des milieux de vie qui se rapprochent le plus possible d’un domicile.
Et pas question de travailler en cloisonnement. « Il y a eu plusieurs rencontres de conception intégrée, qui duraient environ une journée, avec des équipes du MSSS [ministère de la Santé et des Services sociaux], de la SQI et les équipes maîtres en architecture et en ingénierie », explique Érick Rivard, architecte de la firme Groupe A/Annexe U.
Chaque rencontre rassemblait une trentaine de participants et de participantes autour d’un thème. Fait rare, les architectes ont même collaboré au choix des sites. « Nous sommes partis de la plus grande échelle, à savoir les choix d’implantation. Nous voulions que les maisons des aînés soient vraiment au cœur des communautés. Nous avons aussi travaillé à une échelle plus micro, en nous penchant sur le modèle d’une chambre », ajoute Érick Rivard.
« L’un des buts des maisons des aînés, c’est l’ouverture sur la communauté. Nous avons voulu en faire un lieu plus agréable à fréquenter pour les familles. »
– Érick Rivard
Au fil des trois mois de rencontres, le concept s’est précisé : chaque maison des aînés serait constituée de maisonnées de 12 chambres conçues comme de grands appartements, avec des pièces de vie ouvertes les unes sur les autres et des chambres disposées en périphérie. « Celles-ci seront climatisées et munies de salles de bain individuelles avec douche à l’italienne », dit l’architecte. Fini, donc, les longs corridors qui caractérisent les CHSLD actuels.
« L’un des buts des maisons des aînés, c’est l’ouverture sur la communauté. Nous avons voulu en faire un lieu plus agréable à fréquenter pour les familles. Personne n’a envie de passer son samedi dans le couloir d’un CHSLD », poursuit Érick Rivard.
« Une attention particulière a été accordée à la qualité de la lumière qui pénètre dans le bâtiment, ajoute Yves Gagné, architecte collaborant pour le consortium DMG | GLCRM | Groupe A | Provencher_Roy_BBBL. Chaque chambre profite d’un éclairage naturel. Ces pièces sont orientées vers le côté urbain, alors que les aires de vie donnent sur le côté jardin. »
Les espaces extérieurs seront un élément fort des maisons des aînés. Ils visent entre autres à encourager un mode de vie actif. « Chaque maison sera dotée d’un grand jardin de 500 m2 qui sera au cœur du bâtiment et qui permettra un contact avec la nature », souligne Érick Rivard. Dans certaines maisons des aînés, il y en aura deux, et même trois dans les plus grandes. Des bancs, des balançoires, des bacs surélevés pour jardiner sans difficulté et même des modules de jeux – pour les enfants en visite – font partie des aménagements prévus.
Des défis de conception
Selon Érick Rivard, le défi le plus important à relever pour l’équipe de conception était de conférer un caractère résidentiel aux maisons, à la demande du MSSS. « Nous nous sommes donné des règles, dit-il.Les bâtiments n’auront jamais plus de trois étages, de façon à respecter l’échelle humaine. La fenêtre en saillie des chambres, un élément emprunté au résidentiel, sera caractéristique d’une maison des aînés. À l’intérieur, cet oriel devient un espace où l’on peut installer un lit d’appoint pour un membre de la famille qui voudrait accompagner son parent dans un moment difficile ou en fin de vie. »
Les architectes ont également choisi de dissimuler le volet clinique en arrière-scène, dans un espace dont l’accès sera contrôlé. « C’est là que se trouveront le centre de coordination, les bains thérapeutiques et autres services de soins, explique Yves Gagné. Dans les espaces de vie, nous voulions éviter tout ce qui ressemble à un hôpital. »
Le MSSS a aussi demandé aux équipes de conception de faire en sorte que les maisons des aînés, sans être identiques, soient reconnaissables, quel que soit l’endroit où elles s’implanteront. « Elles seront faciles à repérer avec leur marquise, la présence d’un matériau incombustible s’apparentant au bois et leur fenestration caractéristique », dit Yves Gagné.
Un modèle résilient
Un autre grand défi a été de composer avec la pandémie. Confinement oblige, tout le monde a dû adopter le télétravail. « Nous n’avons jamais passé autant de temps devant nos écrans ! » dit Érick Rivard. Par ailleurs, les importants foyers d’éclosion qui ont touché les CHSLD ont poussé l’équipe à réexaminer le modèle qu’elle avait mis au point. « Outre quelques ajustements mineurs, nous nous sommes rendu compte que le choix d’aménager des maisonnées de 12 personnes était résilient. » Il sera selon lui plus facile de contrôler la propagation d’un virus dans ces bâtiments regroupant un petit nombre de résidents.
La construction des premières maisons des aînés, à Saint-Jean-sur-Richelieu, à Québec (dans les quartiers Lebourgneuf et Sainte-Foy) et à Havre-Saint-Pierre, s’est amorcée moins d’un an après le début du processus de conception. « Dans un cadre normal, un projet de cette envergure aurait pu s’étaler sur au moins trois ans, commente Érick Rivard. Nous sommes arrivés à réduire le calendrier parce que nous avons constitué une équipe agile. Malgré la charge de travail, nous étions fiers de travailler sur un tel mandat. Nous avons eu l’impression de travailler pour un projet plus grand que nous. »
Favoriser le vieillissement actif
Les maisons des aînés s’inscrivent dans la vision mise de l’avant dans la politique Vieillir et vivre ensemble, chez soi, dans sa communauté au Québec. En l’adoptant en 2012, le Québec devenait la première province canadienne à se doter d’une politique pour mieux répondre aux besoins des personnes de 65 ans et plus, dont le nombre est en croissance (voir « Chez soi jusqu’au bout »). De cette politique ont découlé deux plans d’action, dont le plus récent, Un Québec pour tous les âges (2018-2023), est doté d’une enveloppe de 12,3 G$.
Les mesures prévues visent notamment à aider les aînées et aînés à demeurer dans leurs résidences le plus longtemps possible – un souhait largement exprimé par cette population – ou dans des milieux d’hébergement qui favorisent l’adoption ou le maintien de saines habitudes de vie. C’est à cet objectif que répond le modèle de maisons des aînés avec des lieux conçus pour que le résidant ou la résidante puisse s’occuper de façon autonome et spontanée, selon ses capacités. Même le programme de soins s’y ajustera au rythme de la personne et de ses proches, comme si elle vivait encore à la maison.
La politique vise aussi à accompagner et à outiller les municipalités dans la construction ou la rénovation de bâtiments durables et adaptés aux besoins des aînés et aînées. Une entente entre le Secrétariat aux aînés et Écobâtiment a par exemple donné naissance au projet Bâtiment durable pour aînés, lancé en 2017, et dont la deuxième phase est en cours. Il consiste à déterminer les éléments clés pour aménager des lieux de vie sains, à proximité des services et des activités et où les risques de maladies chroniques et d’accidents sont réduits. Plus de renseignements, dont des outils et un guide à télécharger, se trouvent sur batimentdurablepouraines.org.