Pour les personnes âgées, les escaliers deviennent des obstacles (arrondissement La Cité-Limoilou, Québec).
Photo : Valérie Levée

L’hébergement des personnes âgées pourrait se résumer à un simple mot : chez-soi. C’est à la maison qu’elles veulent rester le plus longtemps possible. Puis, quand elles déménagent en résidence privée pour aînés, elles cherchent à recréer le sentiment d’être chez elles. Tour d’horizon.

On parle beaucoup, au Québec, des résidences privées pour aînés (RPA), mais la majorité des personnes aînées vivent dans une maison ou un appartement sans services particuliers. Selon le ministèrede la Famille, en 2016, 90 % des Québécois et Québécoises de plus de 65 ans rési­daient dans leur domicile et, même après 85 ans, ils et elles étaient encore 59 % à en faire autant.

« De 65 à 75 ans, les aînés sont assez actifs et ils habitent dans les mêmes types de logements que le reste de la population, que ce soit des maisons unifamiliales ou des appartements, confirme Paula Negron-Poblete, professeure à l’École d’urbanisme et d’architecture de paysage de l’Université de Montréal. C’est après 75 ans, et surtout après 85 ans, qu’ils ont recours à des formes résidentielles qui se rapprochent des résidences pour personnes âgées. »

L’enquête annuelle de la Société canadienne d’hypothèques et de logement (SCHL) sur les résidences pour personnes âgées indique qu’en 2020, seulement 18,4 % des personnes de plus de 75 ans vivaient en RPA.

La perte progressive d’autonomie ne se traduit donc pas systématiquement par un déménagement en RPA. « Les personnes âgées vont s’accommoder le plus longtemps possible [de leur perte d’autonomie] parce qu’elles veulent demeurer chez elles », rapporte Éric Gagnon, chercheur à VITAM – Centre de recherche en santé durable, à l’Université Laval. En effet, d’autres facteurs décisionnels se surimposent à la santé pour guider leur choix de résidence.

Un dilemme

Si les personnes aînées restent longtemps dans leur domicile, c’est en grande partie parce qu’elles s’y sentent chez elles. C’est la maison pleine de souvenirs, l’appartement qu’on a aménagé à sa convenance, le quartier où on a ses habitudes et des relations de voisinage.

Être chez soi, c’est aussi préserver son indépendance. « La difficulté de déménager en RPA, c’est qu’on perd de l’intimité, la capacité de recevoir, une partie de ses occupations », explique Éric Gagnon.

Mais occuper son propre domicile suppose aussi de l’entretenir et d’avoir la mobilité suffisante pour faire ses courses et vaquer à ses activités. Or, avec l’âge, faire le ménage ou conduire une voiture devient plus difficile. Monter sur une chaise pour changer une ampoule est hasardeux, et l’escalier se transforme en obstacle.

Dès lors, décider de rester chez soi ou de partir revient à mettre en balance un ensemble de facteurs que Noémie Roy, architecte chez STGM, a décortiqués au cours de son projet de maîtrise. « Si la personne habite près des commerces ou des services de santé, elle voudra rester chez elle. Sinon, elle pourrait vouloir déménager pour s’en rapprocher », illustre-t-elle. Une personne qui bénéficie de l’aide du voisinage sera quant à elle tentée de demeurer dans son domicile plus longtemps. Une autre pourrait déménager afin de se rapprocher de ses enfants.

La « marchabilité » (le potentiel piétonnier) de l’environnement urbain, la présence d’espaces verts, l’accès au transport collectif, la sécurité du quartier et même le marché de l’immobilier – s’il faut vendre la maison – sont d’autres éléments qui influenceront la décision d’adapter son domicile pour y rester ou de partir, ajoute l’architecte.

Un parcours en étapes

« Les personnes âgées ont une capacité d’adaptation très importante et vont apporter des modifications à leur logement pour y demeurer le plus longtemps possible », affirme la professeure Paula Negron-Poblete. Elles installeront par exemple une main courante dans les escaliers ou une barre d’appui dans la douche. « Quand l’escalier devient un obstacle, les aînés renoncent à descendre au sous-sol et déplacent la laveuse et la sécheuse au rez-de-chaussée », donne en exemple Éric Gagnon. Les services d’entretien et de livraison peuvent aussi remédier aux limitations de mobilité.

D’autres choisiront un logement adapté ou adaptable qui les rapprochera des services avant d’envisager de partir en RPA. « Les aînés explorent beaucoup d’avenues avant d’aller en résidence [pour aînés], confirme Paula Negron-Poblete. Ils passent par exemple d’une maison unifamiliale à un appartement ou déménagent du deuxième étage au rez-de-chaussée d’un duplex. » Beaucoup optent pour une copropriété afin de bénéficier de quelques services, comme l’entretien extérieur et celui des aires communes, tout en conservant leur indépendance.

Des éléments déclencheurs

L’option de la RPA se profile à mesure que l’âge accentue les difficultés physiques. S’il est aisé de se faire livrer l’épicerie et la pharmacie ou d’obtenir de l’aide pour l’entretien ménager ou la tonte du gazon, il est cependant plus difficile de déléguer les petites réparations, comme le rem­placement d’une ampoule ou d’une poignée de porte. Pour accomplir ces menues tâches, lorsque des proches ne peuvent s’en charger, il faut dénicher une personne fiable, puis la rémunérer.« À un moment donné, les aînés vont en RPA pour éviter ces soucis », dit Éric Gagnon.

Par ailleurs, certains évènements peuvent accélérer, voire forcer le départ vers une RPA. Ainsi, à la mort du conjoint ou de la conjointe, la pension du survivant ou de la survivante peut être insuffisante pour couvrir les frais d’entretien du domicile. Ou encore un accident ou la maladie peuvent nécessiter des soins difficiles à obtenir à domicile.

Un nouveau chez-soi en RPA

Les personnes aînées choisissent une RPA en fonction des soins dont elles ont besoin. Toutefois, là encore, les mêmes facteurs décisionnels que lorsqu’il est question de rester chez soi entrent en jeu : l’accès aux services et aux commerces, les systèmesde transport, le potentiel piétonnier du quartier. On peut aussi considérer la proxi­mité d’un parc doté de bancs où prendre une pause, les activités sociales, la possibilité de garder un animal de compa­gnie, l’accès à un balcon où faire pousser quelques plantes… « Quand on déménage en résidence, on veut recréer un chez-soi. Pour cela, il faut s’approprier les lieux à trois échelles : la résidence elle-même, l’environnement immédiat et le quartier », résume Paula Negron-Poblete.

Mais les RPA ne sont pas accessibles à tout le monde. Ainsi, l’éventail de RPA où une personne en perte d’autonomie peut s’établir est plus limité en milieu rural qu’en ville. Le revenu disponible restreint aussi les choix. Selon l’enquête de la SCHL, le coût mensuel d’un loyer en RPA en 2020 variait de 1844 $ à 3409 $, selon les soins offerts. Or, en 2017, le revenu moyen d’une personne de plus de 75 ans était de 29 300 $ après impôts, selon la Vitrine sur le vieillissement de l’Institut de la statistique du Québec (ISQ). Pour les aînées et aînés, il peut donc être difficile de payer de tels loyers, ce qui fait dire à Éric Gagnon que « le choix d’une RPA est un choix contraint ».

Un enjeu de société

Selon l’ISQ, le nombre de Québécoises et de Québécois âgés de 65 ans ou plus passera de 1,6 million en 2017 à 2,3 millions en 2031, soit le quart de la population*. En 2061, c’est près d’une personne sur trois (29 %) qui sera âgée de 65 ans ou plus au Québec. Répondre aux besoins en logement de ce segment de la population, tant sur le plan physique que financier, sera donc un enjeu colossal au cours des prochaines décennies.


* La version imprimée de cet article laisse entendre que les plus de 75 ans représenteront le quart de la population du Québec en 2029, ce qui est erroné. Nos excuses.

Villes et municipalités «amies des aînés»

Le concept de « ville amie des aînés » (VADA), mis au point par l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), répond au double phénomène du vieillissement et de l’urbanisation. Selon l’OMS, une ville amie des aînés adapte ses services et ses structures de manière à inciter les personnes âgées à demeurer actives au sein de leur communauté en optimisant leur santé, leur participation à la vie civile et leur sécurité, dans le but d’améliorer leur qualité de vie.

Les bâtiments d’une VADA comportent les éléments suivants :

  • ascenseurs
  • rampes d’accès
  • signalisation adéquate
  • garde-corps le long des escaliers
  • escaliers ni trop hauts ni trop raides
  • sols antidérapants
  • zones de repos équipées de sièges confortables
  • toilettes publiques accessibles aux personnes à mobilité réduite en nombre suffisant

En 2009, le gouvernement du Québec a lancé sa propre variante de la démar-che VADA : le programme Municipalité amie des aînés (MADA), affilié à l’OMS. Le réseau MADA compte aujourd’hui plus de 1000 municipalités, MRC et communautés autochtones participantes. Il rejoint ainsi plus de 90 % de la population québécoise.

En février 2021, Québec a injecté près de 1,3 M$ pour soutenir la réalisationde 48 projets liés à cette démarche dans 92 municipalités et MRC.