« Votre travail, parfois je l’apprécie et, parfois, je le subis. » C’est en ces termes que Martin Beauregard s’est adressé au parterre d’architectes réunis le 8 novembre au Centre des sciences à Montréal, lors de la remise des Prix d’excellence en architecture. Ayant assisté le jury pour l’attribution de la mention en accessibilité universelle, il était venu présenter le prix décerné au CHU Sainte-Justine ainsi qu’au consortium Provencher-Roy/Menkès Shooner Dagenais LeTourneux Architectes.
Fondateur de l’organisme AXCS, qui offre des solutions simples pour faciliter l’accès aux bâtiments aux personnes à mobilité réduite, Martin Beauregard se déplace en fauteuil roulant. Bien sûr, pouvoir entrer dans un bâtiment en passant par une rampe installée dans une ruelle est mieux que rien, a-t-il poursuivi, quoique cela suppose souvent de longer quelques conteneurs à déchets. Mais entrer par la même porte que tout le monde est une expérience beaucoup plus valorisante pour quiconque doit déjà surmonter son lot de difficultés liées à une incapacité.
Permettre à tous d’occuper l’espace de la même manière, c’est le principe sur lequel repose la notion d’accessibilité universelle – ou design universel, selon une appellation plus attrayante. Certes, le Code de construction prévoit des dispositions en ce qui a trait aux « parcours sans obstacles », mais ces normes, qui se limitent à permettre la circulation en fauteuil roulant manuel, ne correspondent plus à la réalité. En effet, un nombre croissant de personnes se déplacent en fauteuil roulant motorisé (ce qui nécessite plus d’espace), et la gamme des limitations ne se limite pas à la mobilité : une incapacité peut aussi être d’ordre sensoriel ou cognitif.
Par leur volonté de vivre et de se déplacer de manière autonome, les personnes vivant avec un handicap nous rappellent qu’on ne peut plus tenir compte d’un seul modèle d’usager – l’adulte dans la fleur de l’âge et capable de se mouvoir sur ses deux jambes – et reléguer les autres à des parcours signalisés par des pictogrammes bleu et blanc. C’est une question de dignité et de justice, comme en témoignent plusieurs intervenants dans le dossier de ce numéro.
Afin de créer un environnement bâti de qualité qui profite réellement à tous, pour paraphraser le slogan de l’OAQ, les architectes ont le devoir non seulement de respecter le Code, mais aussi de sensibiliser leurs clients à en dépasser les exigences. Comme l’illustrent les exemples cités dans le dossier, il est possible de faciliter la vie à une diversité d’usagers sans rien sacrifier à l’esthétique. Outre la dignité humaine, le développement durable et la saine gestion des ressources matérielles et financières entrent en ligne de compte. En effet, mieux vaut prévoir des aménagements universellement accessibles dès la conception plutôt que d’avoir à réinvestir pour remédier à des lacunes.
Force est de constater que les acteurs du bâtiment ont du rattrapage à faire à cet égard. En octobre 2014, l’émission La facture a visité 60 hôtels montréalais pour savoir s’ils respectaient le règlement les obligeant à offrir 10 % de chambres accessibles. Fait troublant, aucun n’était conforme. Interviewée dans ce reportage, j’avais alors affirmé que les architectes doivent produire des plans qui respectent la réglementation, mais qu’ensuite, ils ne peuvent être garants de la réalisation (à moins d’avoir un mandat de surveillance des travaux, ajoutais-je).
Cela dit, les architectes ont du travail à faire : la connaissance des exigences minimales du Code ne semble pas complètement acquise au sein de la profession. En février 2017, la Régie du bâtiment du Québec informait l’OAQ que parmi la soixantaine de plans d’architecte qu’elle avait jugés non conformes à la suite d’inspections, 40 % présentaient des lacunes sur le plan de la conception sans obstacles (Esquisses, été 2017). L’OAQ a depuis actualisé son offre de formation continue pour y réintroduire un cours à ce sujet. Il va sans dire que je vous le recommande fortement (voir la programmation). Au cours des prochains mois, le service de la pratique professionnelle compte également élaborer un cours sur les moyens d’aller au-delà du Code et d’atteindre une véritable accessibilité universelle.
Si la profession doit consacrer plus d’efforts à favoriser l’inclusion, c’est aussi le cas du gouvernement. Au printemps 2017, lors de notre tournée de conversations publiques sur une politique québécoise de l’architecture, des citoyens et des groupes des 13 villes visitées ont exprimé leur souhait de voir l’accessibilité universelle devenir un réflexe naturel dans tout projet d’aménagement.
Une éventuelle politique québécoise de l’architecture représente pour eux l’occasion rêvée de mettre ce principe de l’avant.
C’est l’une des raisons – et non la moindre – pour lesquelles je vous invite à signer et à faire circuler la Déclaration pour une politique québécoise de l’architecture, à oaq.com/declaration. En accessibilité universelle comme dans bien d’autres aspects de l’environnement bâti, il importe de se doter d’une vision d’ensemble comme société.