Cône alluvial à Compton
Cône alluvial à Compton
Photo : MRC de Coaticook

Les inondations sont les phénomènes naturels imprévisibles les plus fréquents au Québec. Après avoir vécu des épisodes particulièrement éprouvants, les municipalités doivent maintenant rattraper un certain retard si elles veulent mieux faire face au risque.

Mai 2017 : Montréal a les pieds dans l’eau. Ce n’est pas la première inondation majeure au Québec, mais en frappant la métropole, elle a soulevé des doutes sur la capacité des villes à s’en sortir. La question se pose avec d’autant plus d’acuité que les changements climatiques pourraient intensifier le nombre et l’envergure des inondations.

L’avenir à ce chapitre recèle bien des incertitudes. Les redoux hivernaux pourraient augmenter le risque d’inondation par embâcle, mais en faisant fondre la neige, ils pourraient aussi limiter les inondations printanières. « On prévoit une augmentation des inondations, mais ce n’est pas uniforme sur le territoire. Cela dépend de la configuration des bassins versants », résume Laurent Da Silva, économiste principal à Ouranos.

Quoi qu’il en soit, les inondations coûtent déjà très cher aux Québécois. Dans un rapport publié en 2015, Ouranos a calculé que, depuis 1974, le ministère de la Sécurité publique (MSP) dépense en moyenne 23 M$ annuellement pour indemniser les victimes d’inondation1. C’est sans compter les dépenses liées aux mesures d’urgence et à la réfection des infrastructures, auxquelles s’ajoutent les coûts indirects absorbés par la société.  On pourrait faire mieux.

Agir sur la vulnérabilité

Le risque est la résultante d’un aléa, comme une inondation, et de la vulnérabilité à cet aléa, rappelle Marc Morin, chef du service de l’analyse et des politiques à la Direction générale de la sécurité civile et de la sécurité incendie au MSP. Comme il est difficile de contrôler l’aléa, c’est donc sur la vulnérabilité qu’il faut agir. C’est ce que vise la Politique de protection des rives, du littoral et des plaines inondables (PPRLPI) du gouvernement du Québec. Adoptée en 1987, elle a été révisée à plusieurs reprises, la dernière fois étant en 2014.

En bref, cette politique précise que les constructions sont interdites dans les zones où une crue peut survenir avec une récurrence de 20 ans. Elle prescrit également que les constructions situées dans les zones exposées à une crue centenaire doivent être immunisées contre les inondations. Par « immunisées », on entend par exemple que ces constructions doivent être rehaussées ou encore qu’elles ne doivent pas comporter d’ouvertures sous la ligne des eaux.

Or, force est de constater que la politique n’a pas empêché la construction dans les zones inondables. « Il y a beaucoup de secteurs encore non cartographiés. Cela limite l’application de la politique », observe Pascale Biron, professeure au Département de géographie, d’urbanisme et d’environnement à l’Université Concordia, ajoutant que « le Québec n’est pas particulièrement champion dans la connaissance des risques d’inon­dation par rapport à l’Europe ». Il faut dire qu’en vertu d’une directive européenne de 2007, les pays membres ont eu jusqu’en 2011 pour cartographier les zones inondables et jusqu’en 2015 pour mettre en place un système d’alerte afin de prévenir les citoyens.

« Tous les bâtiments à l’intérieur de cette limite ne sont pas exposés au même risque, car le terrain n’est pas plat. »
– Nicolas Milot

Revoir les cartes

Les inondations de 2017 ont sonné le réveil au Québec. Le gouvernement a alors adopté plusieurs mesures pour aider les villes à s’adapter à ce type de risques. En mars 2018, le MSP a déposé le Plan d’action en matière de sécurité civile relatif aux inondations. Puis, en mai 2018, il a publié le Règlement sur les procédures d’alerte et de mobilisation et les moyens de secours minimaux pour protéger la sécurité des personnes et des biens en cas de sinistre. « L’idée du règlement est de faire en sorte que l’ensemble des municipalités du Québec ait une préparation générale qui leur permette de faire face à n’importe quel type de situations incluant les inon­dations », explique Marc Morin. Autre résultat de cette prise de conscience, en décembre 2018, les Fonds de recherche du Québec lançaient le Réseau Inondations intersectoriel du Québec (RIISQ) pour étudier la gestion des risques liés à ce phénomène dans un contexte de changements climatiques.

Plus concrètement, en vertu de la mesure 14 du Plan d’action, le gouvernement a octroyé des fonds aux municipalités pour qu’elles actualisent la cartographie du risque d’inondation dans leur environnement. Ainsi la Communauté métropolitaine de Montréal (CMM) est en train de mettre à jour le tracé de ses zones inondables en révisant les cotes de crues de récurrence de 20 et de 100 ans et en s’inspirant de l’Europe pour y ajouter de nouvelles variables comme la hauteur de l’eau, le vent ou la vitesse du courant.

La cote de crue indique la limite que l’eau peut atteindre selon une probabilité déterminée, par exemple une fois tous les 20 ou les 100 ans. Cependant, « tous les bâtiments à l’intérieur de cette limite ne sont pas exposés au même risque, car le terrain n’est pas plat », explique Nicolas Milot, conseiller en recherche au Bureau de projet de gestion des risques d’inondation à la CMM.

De son côté, à la suite des inondations qu’elle a connues en juin 2015, la MRC de Coaticook a mené un projet de recherche, avec Pascale Biron notamment, pour réviser la cartographie de ses zones inondables en y ajoutant les zones de mobilité de la rivière et les cônes alluviaux. Les premières représentent les lieux où la rivière peut se déplacer dans un horizon de 50 ans. Quant aux cônes alluviaux, ils désignent les endroits où sont déposés les sédiments que charrient les ruisseaux transformés en coulées de boue par les pluies torrentielles. « Ces petits cours d’eau se sont déchaînés, ont sectionné des routes et arraché des ponceaux. Ce sont eux qui ont causé le plus de dommages », relate Marie-Claude Bernard, aménagiste à la MRC de Coaticook.

« On ne peut pas mettre des digues partout parce qu’une digue dans une ville accroît les risques pour les populations en aval. »
– Pascale Biron

Un éventail de mesures

Une fois les zones sensibles mieux délimitées, quelle stratégie adopter ? Le premier réflexe pour réduire le risque d’inondation a souvent été d’endiguer les rivières. Or, « on ne peut pas mettre des digues partout parce qu’une digue dans une ville accroît les risques pour les populations en aval », prévient Pascale Biron. Par ailleurs, dans les milieux naturels, et surtout dans les secteurs agricoles, beaucoup de ruisseaux qui auparavant dessinaient des méandres ont été redressés et canalisés, ce qui empêche l’eau de s’étaler et la précipite vers la rivière en aval. Comme Nicolas Milot, Pascale Biron propose de considérer le concept de transparence hydraulique, qui consiste à laisser l’eau prendre sa place dans les zones inondables. Ainsi, restituer à l’eau ce que les experts appellent ses « espaces de liberté » en amont des villes limiterait les crues en aval. Dans les villes, des zones inondables pourraient être aménagées en parcs et servir de bassins de rétention.

Une autre série de mesures consiste à travailler sur l’environnement déjà construit en immunisant les bâtiments ou en réduisant le ruissellement de l’eau par la végétation ou des revêtements perméables.

Sur un territoire fortement urbanisé comme celui de la Communauté métropolitaine de Montréal, par contre, le choix de l’approche à adopter n’est pas simple. « Doit-on laisser l’eau se répandre dans une logique de transparence hydraulique, faire une intervention de génie civil pour la détourner dans une zone inondable non urbanisée, privilégier des méthodes architecturales pour favoriser la résilience des bâtiments ? » se demande Nicolas Milot, ajoutant que les enjeux de densification et de transport en commun compliquent la donne. Après la cartographie, les analyses coûts-avantages comme celles d’Ouranos seront incontournables pour décider de la meilleure stratégie, croit-il.

Décisions économiques

Les analyses coûts-avantages consistent à comparer les coûts prévus d’une mesure d’adaptation aux économies qu’elle génère. Par exemple, une gestion des cours d’eau par espaces de liberté représente une perte de revenus agricoles ou fonciers, mais elle réduit les coûts relatifs à la stabilisation des berges et aux dommages liés aux inondations. Ouranos et Pascale Biron ont déjà réalisé une telle analyse pour évaluer l’opportunité d’aménager des espaces de liberté sur les rivières Yamaska Sud-Est, Matane et de la Roche. Il s’en dégage que, sur une période de 50 ans, les avantages excèdent les coûts dans un rapport allant de 1,7 à 7,1 fois, selon la rivière et les hypothèses économiques.

En bonne pionnière, la MRC de Coaticook s’apprête à retenir les services d’Ouranos pour déterminer les mesures d’adaptation les plus rentables. C’est louable, mais il reste que le Québec a du rattrapage à faire. En Angleterre, par exemple, tous les projets de réduction du risque d’inondation financés par des fonds publics sont assujettis à une analyse coûts-avantages, selon Laurent Da Silva.

Souhaitons que nos villes aient le temps de se mettre à jour avant la prochaine inondation d’envergure !