Centre-ville de Coaticook
Centre-ville de Coaticook
Photo : Vincent Cotnoir

Les municipalités peuvent-elles ressusciter un centre-ville sur le déclin tout en contrôlant l’étalement des zones commerciales ? L’exercice est complexe, mais pas impossible.

Des bâtiments patrimoniaux recouverts de crépi ou de vinyle, des poignées de porte encombrées de Publisac, des vitrines décorées de photos de chats perdus : en 2008, la rue Main de Coaticook avait piètre allure. « Le tiers des locaux commerciaux était à louer. Ça faisait dur ! » évoque Julie Favreau, directrice de Rues principales Coaticook, l’organisme à but non lucratif chargé de la revitalisation du secteur commercial de cette municipalité des Cantons de l’Est.

Dix ans plus tard s’alignent les pimpantes façades de commerces à saveur locale : un magasin de chaussures, une bijouterie, un détaillant de meubles… Nombre de locaux à louer sur la rue Main ? Zéro. « On manque d’espace au centre-ville pour accueillir tous les commerçants qui souhaitent s’établir chez nous », dit Julie Favreau.

Cette spectaculaire métamorphose est le résultat d’une forte volonté politique « en lettres majuscules soulignées trois fois », explique-t-elle en riant. En 2008, à la suite d’une étude de territoire faisant ressortir la dévitalisation du cœur commercial de Coaticook, la municipalité et la MRC ont mis sur pied deux programmes de subventions : l’un destiné à revamper le patrimoine, l’autre à bonifier l’offre commerciale. Résultat : 67 façades ont été rénovées et 32 nouveaux projets commerciaux – agrandissement, nouveau commerce, diversification de l’offre, etc. – ont pris forme sur la rue Main.

En 2014, la municipalité a également créé une « signature » au centre-ville, poursuit l’intervenante : décorations saisonnières, animation, aménagement de parcs, nouveau mobilier urbain. Il s’agissait de souligner la création de Foresta Lumina, un parcours nocturne signé Moment Factory qui jalonne le parc de la Gorge de Coaticook, situé tout près. La Ville a aussi subventionné un service de navettes afin que les visiteurs de Foresta Lumina profitent des services du centre-ville sans prendre leur voiture. La popularité exceptionnelle de cet évènement estival n’est d’ailleurs pas étrangère à la revitalisation de Coaticook, souligne Julie Favreau.

L’art du place-making

Trouver « l’ADN » d’un centre-ville ou d’une artère commerciale est essentiel au succès de sa revitalisation, avance Myrabelle Chicoine, chargée de cours en développement du territoire à l’Université du Québec à Trois-Rivières et à l’Université Laval et fondatrice de Tribu Stratégie, une firme spécialisée en développement territorial.

« Il faut miser sur le patrimoine bâti pour créer une expérience et une ambiance propices au lieu. Par exemple, l’identité de la rue Jean-Talon Est à Montréal ne sera pas la même que celle de la rue Wellington. C’est la même chose pour le cœur d’une plus petite municipalité, qui, de toute façon, ne pourra jamais rivaliser avec un centre commercial. »

C’est aussi l’avis de l’urbaniste Pier-Olivier Morissette, de l’organisme Rues principales. « Le centre-ville [ou l’artère commerciale] doit se doter d’une image de marque. C’est souvent ce qui fait défaut par rapport aux centres commerciaux. »

Les municipalités peuvent stimuler la revitalisation de multiples façons, ajoute-t-il : regroupement de l’information utile aux propriétaires, promoteurs ou commerçants potentiels (caractéristiques des locaux à louer, profil et provenance des consom-mateurs, etc.), mise sur pied d’un organisme consacré à la revitalisation, aide à la promotion, amélioration des aménagements physiques, nouvel éclairage, aide à la rénovation de façades, animation, etc. « Le rôle du commerçant est d’attirer les consommateurs à l’intérieur de son magasin; celui de la Ville, dans sa rue principale. Il n’y a pas de recette toute faite : l’important, c’est de miser sur la personnalité existante du centre-ville afin qu’il devienne un lieu de rencontre et un moteur de l’économie locale. »

Dans certains cas, un changement de zonage peut s’avérer judicieux. Par exemple, les microbrasseries ne peuvent souvent s’établir dans le cœur des villes, illustre l’urbaniste, car leur activité relève de la production industrielle. « Certaines municipalités auraient tout avantage à modifier leur grille des usages de façon à autoriser une éventuelle microbrasserie à s’implanter sur une artère commerciale. Quand le brasseur se présentera, elles seront prêtes à l’accueillir. » Les autorités municipales peuvent aussi recourir à des usages conditionnels pour permettre l’implantation d’un certain type de commerce – un gîte touristique, par exemple – sans qu’il soit nécessaire d’adapter la réglementation, précise-t-il.

Renverser la tendance ?

Comme Coaticook, la municipalité de Drummondville a aussi pris le taureau par les cornes pour freiner la dévitalisation de son centre-ville et diversifier l’offre commerciale. Mais ici, impossible de miser sur les paysages pour attirer les visiteurs. « On n’a pas de montagnes et même pas de rivière navigable ! Pour nous, la revitalisation passait par le commerce de détail », lance Guy Drouin, de Commerce Drummond, l’organisme paramunicipal qui orchestre le développement commercial de cette municipalité depuis 1991.

À l’époque, le centre commercial Les Promenades Drummondville venait de s’établir en bordure de l’autoroute 20, aspirant sur son passage des commerces établis au centre-ville, qui s’est retrouvé avec 35 % de locaux vides. Commerce Drummond a lui aussi fait appel à Rues principales pour « passer d’un centre-ville mort à une artère vivante », explique Guy Drouin. « On a passé les deux, trois premières années à consulter les commerçants et les citoyens pour déterminer quelle image et quelle vocation on voulait pour le centre-ville. »

Quatre axes d’intervention ont été retenus : développement économique, intervention physique, animation et mise en valeur du patrimoine. En 1996, le taux d’inoccupation avait chuté à 5,1 %. « C’était tout un défi, car il fallait recréer un mix commercial adéquat à la suite du départ de plusieurs boutiques [magasins de vêtements, de chaussures, d’articles de sport]. On a misé sur l’événementiel, la restauration, le divertissement et les commerces spécialisés absents du centre commercial, comme du prêt-à-manger ou un atelier de meubles. » Aujourd’hui, le taux d’inoccupation oscille autour de 9 % selon Guy Drouin, mais l’équilibre reste fragile : une fermeture peut en entraîner d’autres.

L’attrait du power center

En matière de gestion de l’offre commerciale, même les municipalités les plus visionnaires sont soumises à une vive tentation, soulignent tous les intervenants : le power center ou le lifestyle center à la Dix30 et leur avalanche de taxes foncières.

Devraient-elles résister à leur implantation ? « Dans un monde idéal, la réponse est oui, mais ce n’est vraiment pas évident », dit Pier-Olivier Morissette. Si vous barrez la route à Walmart ou à Costco, il y a fort à parier qu’elles jetteront leur dévolu sur la municipalité voisine, qui sera trop heureuse de mettre la main sur le pactole, explique-t-il. « C’est un pari à prendre. L’idée, c’est de ne pas concur-rencer les commerces de proximité du centre-ville. »

C’est justement ce que Drummondville a fait. Pour y parvenir, la municipalité s’est dotée d’un outil que Guy Drouin dit unique au pays : une Charte de développement commercial, qui définit la mission de chacun des pôles commerciaux du territoire à l’échelle locale, régionale et suprarégionale. « Au lieu de contrer les power centers, on a favorisé leur installation à des endroits stratégiques. Il faut respecter le marché et les besoins des consommateurs. »

Reste que pour garnir leurs coffres, certaines municipalités ont « tendance à laisser faire n’importe quoi », dit Christian Savard, directeur général de Vivre en Ville. « Les revenus que génèrent les taxes des commerces permettent de limiter les hausses de taxes foncières pour les citoyens. Et comme ce sont eux qui votent, on a tendance à dérouler le tapis rouge devant n’importe quel commerçant ou promoteur prêt à construire une grande surface uniquement accessible en voiture. »

Et si les power centers, ces aimants à voitures, avaient fait leur temps ? Certains experts le croient (voir « Power Centers : Passés de mode »). Pier-Olivier Morissette, pour sa part, tente de prouver qu’ils ne sont pas si rentables pour les municipalités. Son étude du cas de Victoriaville, qui a récemment revampé son centre-ville, s’est révélée concluante. « À superficie de terrain équivalente, une trame de bâtiments de deux étages – vocation commerciale au rez-de-chaussée, résidentielle à l’étage, une typologie fréquente – rapporte deux fois plus de taxes foncières à la municipalité que le power center situé en périphérie de la ville. »

Il entend vérifier son hypothèse ailleurs au Québec. « Si on est capable de démontrer qu’au mètre carré, il est moins rentable pour une municipalité d’avoir un power center que d’investir dans une trame de ville standard, il faudra le communiquer haut et fort… »

Histoire à suivre.


Librairie Sélect, Saint-Georges

À contre-courant, c’est payant

Un libraire de Saint-Georges, en Beauce, a quitté le centre commercial pour s’installer au centre-ville. Et ses affaires ne s’en portent que mieux.

Martine Roux

Une saveur locale : c’est ce qui distinguait le tout nouveau Carrefour Saint-Georges, en Beauce, quand le père de Jean-François Genest y a fondé la Librairie Sélect, en 1975.

Mais avec les années, les commerces locaux ont peu à peu cédé la place aux géants du commerce de détail. L’arrivée de succursales d’Archambault et de Bureau en Gros, notamment, a grugé le chiffre d’affaires de cette petite librairie indépendante.

À tel point que lorsqu’il a repris le commerce familial, en 2005, le libraire et copropriétaire ne donnait pas cher du bail qui l’unissait au promoteur Cominar. « Tout avait changé depuis la fondation de la librairie par mon père : la circulation automobile pour accéder au centre commercial, le type de clientèle, la business… C’était devenu compliqué. »

Quand il entend parler d’un projet de revitalisation pour le centre-ville de Saint-Georges, qui prévoit notamment un aménagement axé sur les transports actifs, le libraire est charmé. En 2011, la Librairie Sélect s’installe dans le local d’une ancienne bijouterie, en face du centre culturel.

Une décision qu’il est loin de regretter. Comme son partenaire d’affaires et lui ont acheté le bâtiment de deux étages qu’ils occupent, le loyer du locataire du haut paie pratiquement l’hypothèque tout en constituant un actif en vue de sa retraite. « Notre loyer a baissé de 100 %. Sans parler de l’environnement du centre-ville, où il y a encore quelques locaux vides, mais qui devient de plus en plus intéressant. »

Et la clientèle ? « Elle a plus que suivi : on a gagné de nouveaux clients qui ne fréquentent pas le centre commercial. D’ailleurs, ceux qui viennent en voiture nous disent que c’est beaucoup plus facile de se garer ici qu’au Carrefour Saint-Georges… »


Réconcilier commerce et développement urbain durable

Rendez-vous le 10 mai

« Il n’y a pratiquement rien d’intéressant dans toute la nouvelle offre commerciale. » Ainsi s’exprime Christian Savard, directeur général de Vivre en Ville. Remarquant lui aussi la révolution en cours dans le commerce de détail, notamment en raison de l’essor des achats en ligne, il demeure dubitatif quant aux efforts des collectivités pour freiner l’étalement urbain qu’engendre ce secteur d’activité.

Martine Roux

Selon lui, au cours de la dernière décennie, les municipalités québécoises ont fait des pas de géant en matière d’aménagement, notamment en ce qui concerne la protection des milieux naturels ou le soutien à la mobilité durable. « On voit beaucoup d’initiatives intéressantes qui favorisent l’aménagement durable de nos villes… sauf en offre commerciale. »

Les nouveaux bâtiments commerciaux mettent de l’avant « des concepts très gros, très DIX30, déplore-t-il. Dans le commerce de détail, on est encore dans une logique de power center, ce qui favorise encore l’étalement urbain et les déplacements en voiture. »

Pourtant, dans les milieux bâtis, plusieurs artères commerciales traditionnelles – comme les rues Fleury, Masson ou Wellington à Montréal – ont retrouvé leur vitalité. « Il y a un retour vers l’économie locale et le commerce de proximité, ce qui est bon signe. Mais au-delà des quartiers anciens, on ne sait pas ce que l’avenir nous réserve, car on ne voit pas de nouveaux pôles commerciaux construisant la ville sur la ville, sans favoriser l’étalement. »

Pour tenter de comprendre les ressorts qui sous-tendent les motivations des différents acteurs du développement commercial, Vivre en Ville tiendra ce printemps l’évènement Réconcilier commerce et développement urbain durable. Il réunira une douzaine de conférenciers qui analyseront les pratiques et les conditions d’une planification réussie de l’offre commerciale.

Parmi eux, le journaliste français Olivier Razemon, auteur de Comment la France a tué ses villes, et Ellen Dunham-Jones, professeure d’architecture et de design urbain au Georgia Institute of Technology et coauteure de Retrofitting Suburbia. Le maire de Grenoble, Éric Piolle, y prononcera aussi une conférence.

L’évènement aura lieu le 10 mai au Centre des sciences de Montréal. Pour en savoir plus : vivreenville.org/rendez-vous.