Alors que le gouvernement du Québec entend consacrer 20 M$ à la restauration et à la conversion du patrimoine religieux, Esquisses se penche sur cette pratique qui demande aux architectes une connaissance poussée de l’histoire.
Marie-Josée Deschênes a eu un véritable coup de foudre pour la restauration à sa sortie de l’école d’architecture, il y a 25 ans. En entrevue, sa voix s’anime, traduisant son enthousiasme à l’idée de donner une vitrine à cette spécialisation. « Notre patrimoine bâti est une image de ce qu’on est comme peuple. Il faut le préserver », résume celle qui y consacre sa carrière depuis 2008, en travaillant à son compte. La chapelle de Tadoussac, l’église La Nativité-de-Notre-Dame, à Notre-Dame-de-Beauport, et celle de Saint-Cyrille-de-Lessard ont notamment bénéficié de ses services.
Quant à Keven Blondin, son amour pour le patrimoine religieux s’est plutôt forgé au fil du temps. L’associé de Nadeau Nadeau Blondin architectes a repris la pratique de l’architecte principal du bureau, qui se spécialisait déjà dans la restauration, la conversion et la consolidation de divers types d’immeubles. La restauration de la huitième maison mère de la Congrégation de Notre-Dame à Montréal et celle de la cocathédrale Saint-Antoine-de-Padoue, à Longueuil, font partie de ses réalisations.
Outre la restauration visant à prolonger la vocation d’un lieu de culte, la conversion des églises en édifices voués à d’autres usages est aussi une spécialisation recherchée dans un Québec où le déclin de la pratique catholique se poursuit, comme l’indique la chute du nombre de baptêmes. D’après l’Assemblée des évêques catholiques du Québec, alors que 42 213 baptêmes ont été célébrés en 2012, ce nombre est passé à 30 394 en 2017, une baisse de 28 % en 5 ans.
Pour l’amour de l’histoire
L’architecte qui veut exceller dans ce domaine doit posséder une connaissance approfondie de l’histoire de l’architecture québécoise. « Avec le temps, il faut développer notre savoir en ce qui concerne nos façons d’intervenir sur le patrimoine, que ce soit pour les fenêtres, la maçonnerie ou la ferblanterie, dit Marie-Josée Deschênes. Il y a de bonnes interventions et il y en a de mauvaises, et les bonnes évoluent sans cesse. C’est un domaine de recherche en soi. »
Pour cette passionnée qui donne une clinique d’architecture patrimoniale dans Chaudière-Appalaches, la clé d’une bonne intervention réside dans la connaissance du bâtiment, de sa construction et de son histoire. « Par exemple, pour restaurer un édifice qui a été défiguré avec le temps, posséder des photos anciennes aide à retrouver les détails. Si on intervient de façon contemporaine, j’applique l’approche critique : l’architecte doit pouvoir justifier ses choix. »
« Ces bâtiments anciens demandent beaucoup d’attention, ajoute Keven Blondin. Ce sont des structures qui ne sont pas adaptées aux habitudes de vie d’aujourd’hui. Souvent, ce sont des constructions qui ont été faites avec des rondins de bois, des troncs d’arbres et de la maçonnerie sans aucune isolation, à des époques où les principes écologiques ou le souci de sécurité incendie n’existaient pas. Tout est à faire. »
Une restauration complexe
La restauration de la cathédrale Christ Church, à Montréal, représente un défi pour la spécialiste de la conservation patrimoniale Julia Gersovitz. « C’est compliqué à cause de l’historique du bâtiment. Malheureusement, les fondations n’ont pas été bien faites à l’époque de la construction. Le clocher a commencé à tomber dans les années 1920 et il a été enlevé. Pendant la Seconde Guerre mondiale, on a reproduit en aluminium le clocher, qui était auparavant en pierre. Cette reproduction a une certaine valeur, mais on doit la restaurer. Une autre complication vient du fait que, dans les années 1980, on a excavé tout autour et en dessous de l’église pour construire les Promenades Cathédrale [un centre commercial souterrain]. Il y a très peu de place pour nous permettre d’installer une grue. »
Conserver l’aspect communautaire
S’il y a déjà eu une vague de conversions d’édifices religieux en copropriétés résidentielles, particulièrement à Montréal, les architectes interviewés estiment que ce n’est pas là le destin idéal pour une ancienne église. « On veut conserver les lieux de culte parce qu’ils ont une valeur à nos yeux, souligne Julia Gersovitz, associée fondatrice de la firme EVOQ, qui compte la conservation du patrimoine parmi ses domaines d’expertise. L’église est un point de repère. En la transformant en condos, on compromet les valeurs du bâtiment, puisqu’il perd sa fonction communautaire. »
L’idée rallie désormais la majorité, selon Marie-Josée Deschênes, qui suit tout ce qui passe dans ce domaine au Québec depuis 1997. « Ce qui est gagnant, ce sont les lieux de rassemblement, comme une bibliothèque ou une salle de spectacle. Le meilleur exemple en est probablement la Maison de la littérature à Québec. Quand on franchit son seuil, on sent encore l’architecture patrimoniale. La conversion respecte l’histoire du bâtiment, malgré l’ajout de nouveaux objets, comme les escaliers ou les banquettes. L’intérieur est très réussi. »
Keven Blondin partage cet avis. « L’église était souvent la sortie du dimanche, un lieu de rencontre pour les familles. En la convertissant dans cet esprit, on redonne le lieu à la communauté. »
Une annonce bien accueillie
Si ces spécialistes saluent l’investissement de 20 M$ du gouvernement Legault dans la restauration et la conversion du patrimoine religieux, ils apportent toutefois des nuances.
Un fonds de 15 M$ par année affecté à la restauration existe déjà, et ce, depuis 1995. Depuis ce temps, le gouvernement a mis 357 M$ dans la restauration des églises au Québec. « Ce fonds permet aux architectes, aux entrepreneurs, aux ferblantiers, aux maçons, bref à tout un bassin de spécialistes dans le domaine, de vivre et de développer leur expertise. Ce qui est nouveau, c’est l’ajout de 5 M$ consacrés à la transformation », précise Marie-Josée Deschênes.
Plusieurs églises pourraient devenir des lieux à vocation mixte grâce à ce nouveau programme. « Souvent, dans les petites communautés, il y aura une partie bibliothèque, une partie salle multifonctionnelle… Les gens veulent pouvoir y célébrer encore des messes », ajoute-t-elle.
Et les besoins sont criants. « Ça fait déjà 40 ans qu’on sait qu’on aura un problème avec les églises. Je crois qu’il est nécessaire de réfléchir à ce que l’on veut faire avec les lieux de culte, de décortiquer la situation et d’établir des principes qui nous guideront », estime Julia Gersovitz.
Intervention divine ?
Entre 2010 et 2015, la restauration de l’église La Nativité-de-Notre-Dame, à Notre-Dame-de-Beauport, est l’un des projets qui ont le plus marqué Marie-Josée Deschênes. « On voyait que le bâtiment présentait des affaissements structuraux, alors on faisait de la consolidation sous les fondations pour qu’elles touchent au roc. L’ingénieur, un homme très réputé dans le domaine à Québec, m’a dit que c’était le dossier le plus complexe qu’il ait jamais eu à gérer. »