Après le nouvel urbanisme et le transit-oriented development (TOD; en français, l’aménagement axé sur le transport en commun), voici la dernière tendance urbanistique qui nous vient des États-Unis : le form-based code. En fixant des balises concernant l’aménagement des rues et des bâtiments, cette approche définit le paysage urbain et guide les architectes afin qu’ils puissent y inscrire leur projet. Des villes comme Terrebonne, Candiac et Pointe-Claire s’en inspirent déjà…
La ville est une mosaïque de secteurs monofonctionnels : des quartiers résidentiels, des pôles d’emploi, des espaces commerciaux. Voilà le résultat des réglementations d’urbanisme actuelles, qui précisent les usages des bâtiments sans fournir une vision claire du paysage urbain qui doit en résulter. Avec le form-based code (FBC; littéralement, la réglementation fondée sur la forme), on est ailleurs.
Au lieu de diviser le territoire en fonction des activités, le FBC pense plutôt la ville dans sa globalité et définit d’emblée les dimensions des bâtiments et des rues, les interfaces entre les espaces privés et publics, secteur par secteur. « Le FBC donne un cadre bâti déterminé avec des exemples visuels montrant comment les bâtiments doivent s’implanter », précise Marc-André LeChasseur, professeur adjoint à l’École d’urbanisme de l’Université McGill, spécialiste en droit de l’aménagement du territoire et associé principal du cabinet d’avocats Bélanger Sauvé.
Au Québec, le FBC s’applique pour l’instant à l’échelle de quartiers et non à l’ensemble d’une ville. « On est loin du concept original. Chez nous, ce n’est pas pour le moment un élément de planification à l’échelle d’une ville entière, nuance Michel Rochefort, urbaniste et professeur au Département d’études urbaines et touristiques de l’Université du Québec à Montréal. Mais les versions québécoises de cette approche donnent une idée précise et illustrée de la forme urbaine du quartier attendue par la ville. Cette réflexion d’ensemble est tout de même une belle avancée. »
De la forme au développement durable
Dans une perspective de développement durable, le FBC définit tout de même, pour chacun des secteurs, les usages des bâtiments afin d’assurer une mixité fonctionnelle. « Le FBC s’inscrit dans la continuité du TOD, des écoquartiers et des autres approches qui tendent vers le développement durable », reconnaît Michel Rochefort. Cela ne l’empêche pas pour autant d’émettre des réserves.
En ayant recours au FBC, il faut se garder d’accorder une importance excessive à la forme, prévient l’urbaniste. « La forme ne garantit pas le développement durable, la mixité sociale ou une diminution de l’utilisation de la voiture. On peut privilégier la mixité fonctionnelle avec des commerces et des services au rez-de-chaussée [d’immeubles d’habitation], mais ça ne veut pas dire qu’on a nécessairement une mixité sociale. Et ce n’est pas parce qu’il y a un arrêt d’autobus qu’il y a un service d’autobus… »
« Les architectes déplorent souvent que le PIIA est trop vague et n’indique pas assez clairement la direction à prendre. Je pense qu’ils vont préférer le FBC, qui définit de manière plus directive la vision attendue par la Ville, sans couper l’inspiration. »
– Marc-André LeChasseur, École d’urbanisme de l’Université McGill
Des balises claires pour tous
Le FBC a l’avantage de rassembler dans un même document tous les éléments de la réglementation concernant un quartier, au lieu de les saupoudrer dans les règlements de zonage et de lotissement, dans le plan d’implantation et d’intégration architecturale (PIIA), et autres codes et règlements. Mais comme le FBC ne figure pas dans la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme, les villes doivent continuer de recourir aux outils réglementaires existants. Chaque Ville trouve son propre moyen de rattacher ces derniers au document du FBC pour faire en sorte que celui-ci tienne lieu de règlement, indique Michel Rochefort.
À Candiac, ce document porte le titre de Guide d’aménagement pour des quartiers viables; à Pointe-Claire, c’est le Code villageois; à Terrebonne, c’est le Manuel d’urbanisme durable (MUD) du quartier URBANOVA. « Les architectes déplorent souvent que le PIIA est trop vague et n’indique pas assez clairement la direction à prendre. Je pense qu’ils vont préférer le FBC, qui définit de manière plus directive la vision attendue par la Ville, sans couper l’inspiration », croit Marc-André LeChasseur, qui a accompagné les municipalités de Pointe-Claire et de Terrebonne dans l’élaboration de leur FBC.
Cette clarification des attentes municipales devrait faciliter le dialogue entre l’architecte, d’une part, et le promoteur et les fonctionnaires, de l’autre. En outre, lorsqu’un projet de construction fait l’objet d’une évaluation par un comité consultatif d’urbanisme (CCU), celui-ci peut aussi s’appuyer sur les critères du FBC pour rédiger ses recommandations au conseil municipal.
Le cas URBANOVA
Terrebonne souhaite aménager le quartier URBANOVA, dans la partie sud-ouest de son territoire, tout en protégeant les milieux humides. Dans le MUD, qui reprend les objectifs du plan métropolitain d’aménagement et de développement (PMAD), les zones (transects) sont circonscrites par les milieux naturels et des corridors verts. Ces transects s’articulent le long de la future avenue Pierre-Dansereau, l’épine dorsale d’URBANOVA.
Pour chaque transect, un cadre bâti et des usages associés sont prescrits, avec une gradation de densité. « Dans le plan d’ensemble, il y a une hiérarchie de rues avec un cadre bâti bien défini. Par exemple, sur Pierre-Dansereau, les marges sont de trois mètres au pied d’édifices de sept ou huit étages, ce qui est rare en banlieue », illustre Luc Denis, architecte propriétaire de la firme Luc Denis Architecte, qui a participé à l’élaboration du PIIA de la place Alta Vista, la phase 1 d’URBANOVA, en reprenant les critères du MUD. Cet agencement devrait permettre à l’avenue Pierre-Dansereau de cumuler des fonctions résidentielles et commerciales et de favoriser le déplacement piétonnier, contrairement aux habituelles avenues de banlieue.
« Notre mandat était de faire le design des rues, des typologies de bâtiments et des parcs, et de prévoir la gestion des zones humides et des liens verts », explique Éric St-Louis, architecte principal chez Luc Denis Architecte. La place Alta Vista est surtout résidentielle, mais les phases suivantes apporteront de la densité et de la mixité fonctionnelle. Le PIIA est assorti d’une grille d’évaluation environnementale des bâtiments qui précise le nombre de points requis pour l’obtention d’un permis.
Pour favoriser le transport actif, le MUD prévoit aussi un réseau de sentiers multifonctionnels qui reliera les quartiers tout en traversant les milieux naturels.
Le MUD est cependant avare de détails en ce qui concerne le transport en commun. « On a fait attention, dans la planification urbaine, à ce que les résidences soient à 500 m ou moins d’une rue où il y aura éventuellement du transport en commun, mais l’intégration efficace de lignes d’autobus prendra un certain temps. C’est un peu une faiblesse à l’heure actuelle », reconnaît Luc Denis. De toute façon, l’aménagement d’URBANOVA devrait s’étaler sur une dizaine d’années, ce qui laisse le temps de bonifier l’offre…