Les Prix d’excellence en architecture de l’Ordre des architectes du Québec (OAQ) sont une façon de sensibiliser le public à la qualité architecturale et au rôle de l’architecte, des aspects qui dépassent largement la simple recherche de beauté. Cette année, le jury était aussi à l’affût d’innovation, de fonctionnalité et, bien sûr, de réponses en phase avec la transition socioécologique.
La sélection des projets lauréats va bien au-delà de l’esthétisme. Pour qu’ils soient qualifiés d’excellents, il faut qu’ils viennent épouser d’autres critères qui sont tout aussi essentiels. C’est l’adéquation entre les différents éléments qui permet d’arriver à un résultat qui est à la fois beau, efficace, bien construit et qui s’insère bien dans son environnement, et ce, qu’il s’agisse d’un petit ou d’un grand projet », expose l’architecte Gilles Saucier, cofondateur de Saucier + Perrotte Architectes et président du jury cette année.
D’ailleurs, l’OAQ a établi un ensemble de critères pour évaluer la qualité architecturale des projets soumis, qui vont de la réponse aux besoins à l’expérience, en passant par la pérennité du bâti ou l’inclusivité (voir encadré). « Avoir des balises claires permet aux membres du jury de prendre du recul par rapport aux différents projets, note Gilles Saucier. Ces critères les aident à vérifier leurs perceptions, à s’assurer qu’elles ne sont pas que superficielles. »
Réunis pendant deux jours à Montréal en février 2024, les quatre membres du jury provenant du milieu de l’architecture ont analysé les dossiers sélectionnés parmi la centaine qui avaient été soumis. La représentante du public, Angela Konrad, professeure à l’École supérieure de théâtre de l’UQAM et directrice générale et artistique de l’Usine C, n’a pas pu prendre part aux délibérations. « Elle a toutefois participé à la présélection des dossiers, et ses commentaires ont aussi été considérés par l’ensemble du jury au moment des discussions », spécifie Jacques White, ancien directeur de l’École d’architecture de l’Université Laval et conseiller technique pour les Prix d’excellence depuis 2013.
Des points de vue complémentaires
Les membres du jury ont pris le temps de communiquer à leurs collègues leur propre vision de l’excellence en architecture, ce qui a permis d’examiner chaque projet sous différents angles. Ainsi, le président du jury a analysé le tout sous le prisme de l’innovation. « Cette notion couvre différents aspects des projets, autant du point de vue environnemental que créatif, ou encore pour se donner une identité propre », a-t-il résumé.
Architecte et cofondatrice de La Shed Architecture, Renée Mailhot s’est quant à elle intéressée à la cohérence dans les différents dossiers soumis.
Il faut aussi analyser la relation qu’entretiendra un nouveau bâtiment avec son contexte et avec ses usagères et usagers, mentionne pour sa part Gil Hardy, architecte et cofondatrice du cabinet NÓS. Contrairement aux photographies, les plans ne peuvent pas mentir quant à la qualité d’un projet. « Certains bâtiments sont parfois très beaux, mais ne sont pas fonctionnels. » C’est le cas d’un intérieur où beaucoup d’espace est perdu, illustre-t-elle.
De son côté, le professeur en architecture de l’Université Laval André Potvin s’est intéressé de près à l’intégration, soit la démonstration tangible que le projet prend en compte toutes les dimensions économiques, culturelles et environnementales, notamment, dans un souci d’accélération de la transition socioécologique. « Les décisions que l’on prend à l’échelle du bâtiment ont une incidence importante non seulement sur la ville, mais aussi sur la justice sociale », soutient-il, faisant référence aux questions comme le logement abordable ou l’étalement urbain. « Les architectes ont un rôle important à jouer dans cette transition juste. »
Cette complémentarité de points de vue a permis d’enrichir l’analyse de chacun des projets et a suscité de bons débats, note le président du jury. L’absence de catégories, une nouveauté depuis l’an dernier, a par ailleurs offert une grande latitude au jury, qui a pu sélectionner des projets finalistes de différentes échelles et de types variés.
Concevoir pour demain
L’aspect environnemental a également pesé lourd dans la balance et est revenu souvent dans les discussions. « Quand on construit un bâtiment, c’est un legs pour plusieurs années, explique Renée Mailhot. Il faut en avoir conscience dès le début d’un projet et voir à long terme. » Les bâtiments doivent donc non seulement être construits de façon durable, mais aussi conçus en fonction de leur évolution dans le temps, renchérit Gil Hardy. Penser au cycle de vie du bâtiment pendant et après la construction fait partie de cette équation.
La question de la transition socioécologique est d’ailleurs primordiale pour l’OAQ, comme l’a rappelé son président, Pierre Corriveau, juste avant le début des délibérations. Bien qu’il soit nécessaire de trouver un équilibre entre différents critères, le président de l’Ordre a incité les membres du jury à se montrer particulièrement sensibles à cet enjeu. « Cette transition comporte plusieurs volets très importants, dont l’inclusion de l’ensemble des usagers et la réduction de l’impact climatique et écologique de l’ensemble de nos interventions en tant qu’architectes. »
D’ailleurs, les critères d’évaluation des candidatures ont été revus l’an dernier pour faire plus de place à ces questions, dans la foulée du Plan stratégique 2022-2025 de l’OAQ et de la Politique nationale de l’architecture et de l’aménagement du territoire, présentée en 2022.
Selon Jacques White, les architectes ont tendance à relier ces questions à l’expérience humaine, qu’elle soit individuelle ou collective. Plusieurs se concentrent aussi sur l’aspect technique du développement durable. Or, il est rare que les projets soient à l’avant-garde à ce chapitre, remarque-t-il, possiblement en raison des conditions complexes et contraignantes de la commande architecturale au Québec. « Cela explique peut-être le décalage entre les ambitions des architectes et ce qu’ils sont réellement capables d’accomplir. »
Créer des références
Somme toute, les Prix d’excellence en architecture permettent de mieux faire connaître le travail des architectes auprès du public ainsi que la diversité de leurs mandats. « Les Prix d’excellence mettent bien en valeur le fait que la qualité architecturale se retrouve à plusieurs échelles, autant dans les projets résidentiels que dans ceux de plus grande envergure. Ces initiatives ne se limitent pas aux milieux urbains, ce qui nous montre qu’il y a une réponse architecturale intéressante qui peut se déployer dans différents contextes », analyse Renée Mailhot.
Les projets lauréats représentent aussi des jalons, fait valoir Gilles Saucier : « Identifier ce que nous considérons comme excellent, en tant que communauté d’architectes, permet au public et aux donneurs d’ouvrage de se raccrocher à des exemples, d’y retourner, de se demander pourquoi un projet a été primé. » Un travail extrêmement important, puisqu’il permet de créer des références pour de futurs projets, conclut-il.
Les critères d’évaluation
D’une part, le jury a évalué les projets soumis aux Prix d’excellence en architecture 2024 en fonction de la liste de critères suivants :
- L’environnement
- Le coût du cycle de vie
- Le patrimoine culturel
- La pérennité du bâti
- La localisation
- Le contexte d’implantation
- La réponse aux besoins
- L’inclusivité et l’accessibilité universelle
- L’expérience
- La santé et le confort
- La sécurité
Ces critères correspondent aux « principes directeurs de la qualité architecturale » qui figurent dans le document Pour une architecture humaine, durable et créative : aide-mémoire sur la qualité architecturale, publié par le gouvernement du Québec en 2022.
D’autre part, le jury a tenu compte de critères « spécifiques au projet », définis dans le règlement comme des « critères [qui] se rapportent principalement aux circonstances, aux intentions, aux stratégies et aux solutions particulières à chaque projet soumis, témoignant d’un effort de justesse et d’exemplarité ».