Travailler avec les municipalités : un mal nécessaire ou un chemin vers des projets d’architecture bonifiés ? Tour de table au sujet des principaux irritants et des solutions pour améliorer les relations entre les architectes et les municipalités.
Le maire de Mirabel et président de la Commission de l’aménagement et des transports de l’Union des municipalités du Québec, Jean Bouchard, l’architecte à la Ville de Québec Annie Blackburn et la présidente de l’Association des architectes en pratique privée du Québec (AAPPQ), Anne Carrier, dressent le portrait de la situation.
Chaque municipalité rédige des règlements de construction qui lui sont propres. Pourquoi n’y a-t-il pas de code unique ?
Jean Bouchard : En vertu de la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme, il y a des règlements obligatoires que chaque municipalité doit rédiger, comme les règlements de zonage, de lotissement et de construction. Le Code national du bâtiment (CNB) s’applique de manière générale. Il n’est pas de la responsabilité des municipalités de veiller à son application stricte.
Les règlements de construction permettent aux municipalités d’apporter des modifications justifiées par leur contexte ou par les orientations du conseil municipal. Une municipalité peut exiger des toits en pente pour minimiser les risques d’effondrement sous le poids de la neige, par exemple. Une autre pourrait mettre en place des normes de construction écologique plus exigeantes.
Anne Carrier : Il faut en effet distinguer le code de construction des règlements de zonage. Les villes peuvent choisir quel code elles suivront. Certaines appliquent le CNB de 2010, mais de nombreuses municipalités appliquent encore celui de 1995, voire celui de 1985. Un code de construction unique dans l’ensemble du Québec serait plus simple. Le public serait aussi mieux protégé…
Annie Blackburn : … mais les règles sont aussi conçues en fonction de la taille de la ville. Il serait difficile d’avoir un code unique, car la réalité est bien différente d’un endroit à l’autre. Chaque ville a sa personnalité !
Est-ce difficile pour un architecte de bien connaître la réglementation dans une municipalité ?
AC : Oui, c’est un défi. Le plan d’urbanisme et les règlements de zonage diffèrent d’une municipalité à l’autre, voire d’un secteur à l’autre. S’ajoutent les plans et règlements d’urbanisme, eux aussi différents selon les quartiers. La difficulté pour les architectes consiste à bien interpréter ces règlements. L’AAPPQ encourage d’ailleurs les villes à consulter les architectes avant d’adopter une nouvelle réglementation.
AB : Il est vrai que la documentation est complexe et volumineuse. À Québec, malgré l’harmonisation à la suite des fusions municipales, la ville demeure un grand territoire qui comporte plusieurs usages. L’administration municipale a dû élaborer une documentation détaillée qui répond à tous les besoins.
« Dans les processus d’appel d’offres, les autorités municipales favorisent le plus bas soumissionnaire, même quand elles optent pour une formule qui tient compte à la fois de la qualité et des coûts. »
– Anne Carrier, présidente, AAPPQ
Quels sont les principaux irritants dans les relations entre architectes et municipalités ?
AC : Ils concernent surtout les appels d’offres et l’obtention des permis. Les appels d’offres diffèrent beaucoup d’une municipalité à l’autre. On constate, surtout dans les plus petites municipalités qui gèrent peu de projets d’architecture, un manque d’expertise pour définir les projets et préparer les documents.
Dans les processus d’appel d’offres, les autorités municipales favorisent le plus bas soumissionnaire, même quand elles optent pour une formule qui tient compte à la fois de laqualité et des coûts. Une étude commandée par l’AAPPQ et l’Association des firmes de génie-conseil – Québec a démontré que l’importance accordée à l’aspect financier était tellement grande que le plus bas soumissionnaire était presque toujours choisi, ce qui ne favorise pas le développement d’une architecture de qualité. Cette approche diminue aussi l’intérêt des firmes d’architecture envers ces appels d’offres.
En ce qui a trait à l’obtention des permis, les situations varient grandement d’une municipalité à l’autre. Là aussi, le problème se situe surtout dans l’interprétation des règlements qui encadrent un projet. Les experts internes peuvent avoir du mal à les interpréter.
JB : Lorsque l’architecte doit présenter le projet de son client et que le propriétaire lui met beaucoup de pression pour qu’il soit accepté par la Ville, même quand il ne se soumet pas aux règles, c’est pénible pour les employés municipaux. Il faut comprendre que les municipalités sont là pour veiller à la réalisation d’une vision d’ensemble.
Avez-vous l’impression que les personnes qui évaluent les projets au sein des municipalités ont les outils suffisants pour prendre de bonnes décisions ?
AC : La composition des comités consultatifs d’urbanisme (CCU) étant variable d’une ville à l’autre, le jugement critique des projets varie en qualité aussi et peut basculer dans l’arbitraire. Les membres des CCU devraient avoir un minimum de connaissances en architecture. L’AAPPQ croit aussi qu’on doit y limiter le nombre d’élus pour favoriser l’objectivité du processus. On souhaite également que le ministère des Affaires municipales et de l’Habitation crée des pôles d’expertise pour appuyer les villes.
AB : C’est difficile pour les architectes de vendre le projet en ne disposant que d’une courte période d’audition. Quand le CCU en discute, les architectes ne participent pas au débat. Ils reçoivent les conclusions par courriel. Il y a un échange qui serait bénéfique, mais qui ne se fait pas.
JB : Chaque municipalité forme son CCU comme elle l’entend. Les membres n’ont pas à être des experts de l’architecture : ils représentent le point de vue des citoyens sur un projet pour en évaluer la conformité. Ils sont appuyés par les fonctionnaires qui ont, selon moi, toute la compétence requise pour le faire. Je tiens également à rappeler que le CCU ne décide rien : il fait des recommandations au conseil municipal, qui, lui, tranche.
Il est parfois impossible de consulter le CCU en amont du dépôt du projet pour discuter de ce qui est possible ou pas. Les architectes doivent donc investir beaucoup de temps et d’argent pour soumettre un projet à l’aveuglette. Est-ce un problème selon vous ?
AC : Oui. Souvent, il y a plusieurs couches d’approbation : le CCU, le comité du patrimoine, le Comité Jacques-Viger à Montréal, le ministère de la Culture et des Communications… À chaque étape, un jugement critique est posé. Si les architectes pouvaient obtenir un avis préliminaire, les échanges seraient plus constructifs. Cela aiderait les architectes à concevoir un projet de qualité en collaboration avec la municipalité. Cette approche limiterait aussi les honoraires pour modifications aux plans.
JB : Il faut éviter de déposer un projet final et immuable et plutôt travailler avec les professionnels de la Ville dès le début, dans un esprit de cocréation. On accélère ainsi le traitement des dossiers et on facilite l’approbation des projets.
AB : La Ville de Québec a mis sur pied un comité consultatif des projets majeurs. Ce comité a pour but d’expliquer la réglementation et de permettre au promoteur ou à l’architecte d’élaborer son projet tout en respectant les règles. Il se réunit plusieurs fois par mois, donc le retour vers l’architecte ou le promoteur se fait rapidement. Ce dernier a ainsi accès à un suivi avec une seule personne à la Ville, qui présente le projet à l’ensemble des intervenants : la gestion des matières résiduelles, la gestion des eaux pluviales, le transport… Le processus est en place depuis quelques années, et nous avons reçu de bons commentaires à son sujet.
La lourdeur administrative, la paperasse et la lenteur du processus sont des irritants qui reviennent souvent lorsqu’on parle des relations avec les municipalités. Comment pourrait-on simplifier le tout ?
AC : L’AAPPQ recommande que les villes adoptent une approche par objectifs plutôt qu’une approche prescriptive. Il faut laisser les professionnels proposer des solutions architecturales au lieu de leur dire quoi faire. C’est d’ailleurs ce qui est de plus en plus préconisé dans les plus récentes versions du Code national du bâtiment et dans le Code de construction québécois.
Dans les grandes villes, où les étapes d’approbation sont multiples, il serait souhaitable d’harmoniser les procédures de façon à éviter les contradictions entre les comités et les allers-retours souvent longs et coûteux.
AB : Il est normal que les membres des CCU discutent entre eux, mais pour alléger le processus actuel, il serait bon de permettre aux architectes de revenir devant le CCU pour recevoir les commentaires et y répondre en personne.
JB : Les procédures administratives sont exigeantes aussi pour les fonctionnaires municipaux. Si les promoteurs ne voient pas nécessairement l’utilité des documents à court terme, les employés municipaux constatent au quotidien que la rigueur est nécessaire pour éviter les erreurs coûteuses. Par exemple, en menant une étude environnementale en amont, on évite de construire un bâtiment qu’on pourrait devoir démolir si on s’aperçoit après coup qu’il est néfaste pour un milieu naturel. Sans oublier la renaturalisation du site, qui serait alors nécessaire.
En ce qui concerne les délais imposés par la loi, il est vrai qu’ils sont longs. On peut notamment compter typiquement un minimum de six mois pour l’entrée en vigueur d’une modification de zonage, même lorsque celle-ci ne pose pas d’enjeux particuliers. Nous demandons d’ailleurs une révision de la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme, vieille de 40 ans, afin de l’adapter aux pratiques actuelles en urbanisme et pour tenir compte, notamment, du nouveau rôle des municipalités en tant que gouvernements de proximité. Il faut par contre souligner que ces délais donnent aux citoyens l’occasion de se prononcer sur l’aménagement de leur municipalité.
Entre les grandes villes et les petites municipalités, quelles sont les principales différences en matière de relations entre architectes et autorités municipales ?
AC : Les grandes villes sont dotées de services d’urbanisme et d’architecture et sont bien outillées, alors que les petites manquent souvent de ressources. L’AAPPQ a souvent plaidé pour qu’elles aient accès à un pôle d’expertise afin de les accompagner. Le ministère des Affaires municipales et de l’Habitation semble aller dans cette direction, mais les avancées sont encore timides.
AB : L’ampleur des projets n’est pas la même. À Québec, on a des projets de plusieurs millions de dollars. Les petites municipalités n’ont souvent qu’un seul projet majeur. Nous sommes par exemple souvent sollicités par des gens de petites municipalités pour les épauler dans la construction de bibliothèques ou de complexes sportifs. Il serait souhaitable que d’autres municipalités partagent aussi leur expertise.
JB : Dans les milieux moins denses, les enjeux sont moins complexes, et il y a moins de spécialistes impliqués. Ça simplifie l’analyse, mais ça peut aussi mener à négliger certains aspects, comme les éléments plus techniques de l’étude d’une demande de permis. Chaque milieu a ses avantages et ses inconvénients. l
La position de la Régie du bâtiment du Québec sur le code unique
La Régie du bâtiment du Québec (RBQ) a mené des consultations, à l’automne 2015, en vue d’améliorer la qualité de la construction et la sécurité du public. L’adoption d’un code du bâtiment unique était l’une des pistes envisagées. Ces rencontres ont fait progresser le dossier, mais certains éléments restent à préciser. On a notamment reconnu qu’il peut être difficile pour les municipalités, en raison des ressources humaines et financières disponibles, d’adopter la dernière version du code et de surveiller son application.
La RBQ estime important de poursuivre le dialogue sur un code unique avec les municipalités et les acteurs de la construction. D’ailleurs, la ministre des Affaires municipales et de l’Habitation et responsable de la RBQ, Andrée Laforest, a entrepris une tournée de la province pour rencontrer les élus municipaux, et la question du code unique fait partie de ces échanges. La ministre pourra ensuite analyser les commentaires recueillis avec la RBQ afin de prendre les décisions appropriées dans ce dossier.