L’architecte, designer urbain et architecte paysagiste Peter Soland combine ses trois pratiques pour participer à la transformation de la ville en alliant paysage et cadre bâti. Portrait d’un amoureux de Montréal.
Peter Soland « mange » sa ville. Si sa firme Civiliti réalise des mandats dans plusieurs municipalités québécoises, Montréal demeure sa première source d’inspiration et de création.
« Les meilleurs designers urbains, dit-il, sont ceux qui habitent et connaissent la ville où ils travaillent. Nous croyons à Montréal. Nous sommes heureux de nous y concentrer. L’aménagement, pour nous, c’est d’abord local. Nous tirons notre inspiration des sites. Mieux les comprendre, c’est mieux les servir. »
L’un des projets les plus importants que réalise actuellement sa firme est la création d’un premier écoquartier sur l’île de Montréal, dans l’arrondissement de Lachine. Il s’agit de transformer un ancien site industriel de 60 hectares en un milieu de vie moderne et diversifié. « Dans ce projet, explique Peter Soland, nous cherchons à tirer parti des lignes historiques et des traces pour sortir des formes habituelles. Avant le canal Lachine, les Sulpiciens avaient commencé à creuser un cours d’eau au 17e siècle. Il faut inscrire ces identités dans les espaces publics. Par exemple, on peut faire un parc avec une friche plutôt que d’en créer un nouveau ailleurs dans le quartier. »

Photo : Stéphane Najman
Au-delà de sa ville, une autre inspiration de ce passionné d’espace public a été l’architecte et artiste Melvin Charney (1935-2012). Comme lui, Peter Soland a étudié à la maîtrise à l’Université Yale après son baccalauréat en architectureà l’Université de Montréal. « J’ai été son étudiant. Il a formé toute une génération d’architectes sensibles à la reconstruction de la ville. Au moment où il m’enseignait, son Jardin de sculptures au Centre Canadien d’Architecture était en chantier, et cela a influencé ma pratique, qui allie les sensibilités architecturale et paysagère. »

Illustration : Civiliti
Du dessin au terrain
Le professionnel multidisciplinaire aime particulièrement un dicton de son célèbre professeur : « C’est dans la rue que ça se passe. » Et s’il n’est pas nécessaire d’être architecte pour devenir designer urbain, Peter Soland estime que les deux disciplines se complètent admirablement.
« Nous apprenons, comme architectes, à concevoir, à imaginer et contrôler la forme, à apprécier la ligne et la composition. C’est important pour la qualité des espaces que nous créons. Ma formation d’architecte m’a appris à imaginer et à réfléchir par le dessin. C’est essentiel. Le fait de devenir architecte paysagiste et designer urbain rejoint mon attrait pour le monde vivant, qui bouge, qui change. »
L’architecture et le design urbain représentent les deux faces d’une même pièceselon lui. « C’est comme la stéréoscopie. L’architecture d’un côté et le paysage de l’autre. Quand nous mettons ces lunettes 3D, nous voyons alors le monde véritable devant nous. »
Cette vision englobante exige parfois de mettre son ego de côté. Peter Soland n’a pas qu’un seul intérêt à satisfaire. Il doit se montrer « fort et déterminé » envers ses clients et clientes, estime-t-il, tout en restant à l’écoute de l’espace, de l’histoire, du bâti, des citoyens et citoyennes, de la ville, des promoteurs, etc.
Le design urbain comme œuvre collective

Illustration : Civiliti
Peter Soland a fondé la firme Urban Soland en 2001, devenue Civiliti en 2015. Dans ce nom, on peut lire les mots civilité et civisme, qui renvoient au savoir-vivre etau bien commun, des valeurs chères à ce professionnel.
« Avant, les architectes qui pratiquaient le design urbain avaient peut-être encore une vision morphologique, ou construite, de l’organisation du bâti. Mais aujourd’hui, plusieurs s’investissent dans l’environnement, dans la mobilité, dans la biodiversité, dans la gestion des eaux. C’est ce qui m’a attiré. Je me concentre moins sur l’objet que sur ma contribution à une œuvre collective. » L’écoute des citoyens et des citoyennes permet d’ailleurs de saisir l’intelligence d’un lieu et aboutit à des projets enracinés, à son avis.
Son travail porte souvent sur des espaces moins délimités, comme les friches ou les terrains abandonnés. « Il faut être capable de lire dans ces lieux une poésie urbaine, une petite histoire parallèle à la grande Histoire qui retient de la ville les grands objets et les grandes architectures. Les quartiers, les ruelles et les friches participent aussi à ce qu’est la ville. »
Erreurs du passé

Peter Soland croit que la Ville de Montréal a appris de ses erreurs afin de concilier nature et culture, mobilité et espace public, patrimoine et avenir. Toujours dans cet esprit, Civiliti planche également sur le réaménagement du carrefour des chemins Remembrance et Côte-des-Neiges, qui supprimera un viaduc et transformera cet accès à la montagne.
« Ce qui marche bien dans notre pratique, c’est notre capacité de créer un fil narratif où tout le monde est capable de se reconnaître. Nous rendons compréhensible ce qui est important dans un quartier, comment tisser tout ça ensemble pour créer des lieux publics significatifs qui ne sont pas abstraits. »
Cette approche lui permet d’entrevoir l’avenir avec optimisme.
« Nous ne manquons pas de travail, conclut-il, parce que nous avons développé notre expertise au même moment où se développait un intérêt marqué pour l’espace urbain. » ●
Une avenue réinventée

Illustration : Civiliti
Le projet de l’avenue McGill College s’annonce spectaculaire en plein centre-ville de Montréal. Civiliti a remporté ce concours international de réaménagement avec la firme Mandaworks.
« C’est comme si on faisait couler la montagne le long de l’avenue avec un grand volet végétal et de la biodiversité, tout en respectant le patrimoine du quartier. Les deux tiers de l’espace sont destinés à une végétalisation accompagnée d’une série de petits et de moyens salons urbains. »
À ce sujet, la conseillère en aménagement et design urbain à la Ville de Montréal, Noémie Bélanger, estime qu’un tel projet « phare » met les équipes des deux firmes à l’épreuve étant donné un environnement changeant et complexe, tant sur les plans technique et politique que social.
« Peter et son équipe ont beaucoup d’expérience et démontrent une bonne capacité d’adaptation et de réactivité face aux différents aléas qui surviennent en cours de mandat, précise-t-elle. La qualité du travail se reflète dans leur capacité à rassembler des professionnels compétents, au sein d’une équipe multidisciplinaire qui démontre une belle cohésion. Cela se voit aussi dans le travail de conception et leur habileté à transformer des contraintes en occasions de design. »
Trois professions de l’aménagement
Peter Soland est diplômé en architecture, en architecture du paysage et en design urbain. Les trois disciplines comportent des cursus et des champs de pratique différents, bien que connexes.
« L’architecture de paysage est centrée sur le vivant, le végétal et leur aménagement, souvent en milieu urbain, même si ce n’est pas toujours le cas, explique-t-il. L’aménagement du domaine public, par contre, relève du design urbain. » Cette discipline se penche sur le verdissement, les transports et la gestion des eaux, par exemple.
De ces trois professions, celle d’architecte est la seule à être régie par un ordre professionnel au Québec. Les spécialistes du design urbain proviennent parfois de disciplines comme l’urbanisme ou l’environnement. Les architectes paysagistes ont une formation en architecture de paysage. La collaboration entre ces différentes professions est de plus en plus fréquente en raison de la multidisciplinarité qu’exigent de nombreux projets d’aménagement.