Une véritable « industrie du prix » en architecture a émergé avec la multiplication des médailles, trophées et autres récompenses au fil des ans. Soulignent-ils l’excellence ou sont-ils surtout des outils de marketing ? Lors de l’évènement Que vaut un prix d’architecture ?, organisé par l’organisme Kollectif le 24 novembre 2022 à Montréal, des panélistes ont tenté de répondre à ces questions.
Dans une vidéo présentée au début de l’événement, l’architecte Jean-Pierre Chupin – titulaire de la Chaire de recherche du Canada en architecture et codirecteur avec Carmela Cucuzzella et Georges Adamczyk de la publication The Rise of Awards in Architecture – a rappelé que, depuis l’instauration du Grand Prix de Rome, en 1720, 24 000 prix en architecture ont été remis dans une trentaine de pays par 150 organisations.
Dans un des panels, Georges Adamczyk, professeur à l’Université de Montréal, a noté qu’il existe trois sortes de prix : ceux décernés par des pairs, ceux qui sont accordés par des lobbies dans des secteurs précis et ceux qui sont consacrés à la sensibilisation du public.
« On ne peut pas en discuter de la même manière, a-t-il dit. Je suis très attaché aux prix octroyés par les organisations professionnelles. »
Sa collègue Carmela Cucuzzella, professeure à l’Université Concordia, a ajouté : « Face à la prolifération des honneurs, je me demande si on ne s’achète pas finalement des “prix de vanité”. Si on veut célébrer l’excellence en architecture, comment peut-on le faire parmi une foule ? Tout devient flou. Nous avons besoin d’un index des prix. »
Marketing
Puisque les architectes doivent payer pour leur candidature à un prix, l’animateur de la soirée, Marc-André Carignan, de Kollectif, s’est aussi demandé si les prix n’étaient pas « achetés » davantage pour des raisons de marketing.
Brigitte Gadoury, coprésidente de l’agence PID, qui décerne les Grands Prix du design, a expliqué que son organisation ne « remet pas des prix pour remettre des prix », même s’ils peuvent rehausser la réputation d’une firme. « Notre mission c’est la promotion du design et de l’architecture pour les professionnels, le grand public et les clients. »
Elle a noté que, si soumettre sa candidature à un prix peut effectivement être considéré comme un achat de visibilité, cela reste la dépense marketing la moins chère, si on considère qu’une inscription coûte environ 300 $. « Préparer les photos et les textes est un exercice qu’une firme doit faire de toute façon, ne serait-ce que pour son site Web. »
Les échanges ont démontré que les architectes voient les prix d’un œil plutôt favorable. Pour Isabelle Beauchamp, architecte associée chez Blouin Tardif et membre du comité des prix de l’OAQ, « la reconnaissance motive l’engagement » au sein des équipes. Même son de cloche de Krystel Flamand, architecte associée chez PRISME Architecture, qui a ajouté que la reconnaissance venant des collègues contribue tant à la notoriété d’une firme qu’à la confiance en soi comme architecte. « Mais la première question à se poser, c’est “Comment définit-on l’excellence en architecture ?” Notre travail comporte plusieurs facettes, et je me demande comment on peut toutes les voir sur une photo. »
Critères
Il est donc important de savoir ce que les prix reconnaissent, en honorant un projet ou un autre, pour comprendre leur réelle valeur.
Pour Marie-Josée Lacroix, ex-chef d’équipe du Bureau du design de la Ville de Montréal, les prix Commerce Design qu’elle a créés cherchaient à montrer que « l’excellence est plurielle et peut faire tache d’huile pour élever la qualité sur le territoire et intéresser le public à ce travail ».
De son côté, Stephan Chevalier, architecte associé chez Chevalier Morales, estime qu’avant de soumettre sa candidature, ce qui nécessite du temps, il est important de connaître la composition du jury, la solidité de sa réflexion et les retombées du prix. « Ils n’ont pas tous la même valeur. On choisit les bons prix pour les bons projets, mais ça ne fait pas partie de notre plan marketing », a-t-il dit.
La valeur d’un prix
La présidente de l’Association professionnelle des designers d’intérieur du Québec, Marie-Claude Parenteau-Lebeuf, a rappelé que la réflexion menant à une candidature éventuelle ne se fait pas à la légère. « C’est une longue démarche. On oublie à ce moment-là qu’on veut “acheter” un prix. On le fait en toute humilité en présentant son projet devant des pairs. La valeur des prix repose sur la qualité des documents présentés et sur la qualité du jury. »
Lauréat du Prix de Rome et professeur à l’École d’architecture Peter Guo-hua Fu de l’Université McGill, Andrew King se souvient qu’auparavant, les jurys sérieux travaillaient presque comme des « laboratoires » explorant les conceptions contemporaines de l’architecture. Aujourd’hui, la prolifération des prix demande d’y regarder de près avant de soumettre une candidature. « Des jurys qui se basent sur quelques photos et un texte de trois paragraphes ne sont pas en mesure d’évaluer les projets en fonction d’un discours critique. Les prix n’ont pas tous la même valeur, et il faut rechercher ceux capables d’un certain niveau de discussion critique sur l’architecture. »
Krystel Flamand estime tout de même qu’on n’a jamais cessé de placer la barre plus haut quant à la qualité du travail architectural au Québec. « Les critères d’excellence doivent en tenir compte. Si tout le monde utilise le mot “excellence”, que devient l’excellence ? Il faudrait améliorer les critères de base. Aussi, les projets devraient être jugés après deux ans de vie active pour gommer la magie du jour un. »
Beau ou bon ?
En fin de compte, « Récompense-t-on les beaux ou les bons produits ? » a encore demandé Marc-André Carignan.
« C’est là qu’importe l’intelligence du jury, a répondu Pierre Corriveau, président de l’Ordre des architectes du Québec. Il faut des jurys qui ne délibèrent pas sur 400 candidatures. Les délibérations entre pairs, et avec des non-pairs, prennent du temps. »
Marie-Josée Lacroix croit d’ailleurs que les discussions à plusieurs lors des délibérations sont essentielles.
« La qualité des décisions repose sur les échanges entre les membres du jury. S’il y a trop de dossiers, on manque de temps pour juger, et ça fragilise la valeur des concours. La qualité des prix dépend avant tout de la valeur des projets déposés. L’important, c’est que les projets répondent aux critères de qualité de leur époque. »
Évolution
Anne-Marie Blais, architecte associée chez Groupe A / Annexe U, siège au comité des prix de l’OAQ. Elle pense que les prix doivent évoluer selon le message que l’organisation veut envoyer.
« Les Prix de l’Ordre sont des outils pour l’année en cours et les suivantes. On cherche à offrir un message à la société sur la profession d’architecture. On vise la pertinence et la cohérence en pensant à l’avenir, et notamment à l’environnement. »