Photo : Shandorgor, Adobe Stock
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Au Québec, différents obstacles ralentissent le développement de l’économie circulaire. Les architectes qui se risquent à inclure des matériaux récupérés à leur projet doivent souvent emprunter un chemin semé d’embûches. Survol.

La réutilisation des matériaux de construction a peu de secrets pour André Bourassa, conseiller spécial de BGA Architectes et ancien président de l’Ordre des architectes du Québec (OAQ). Des solives de la charpente de son bureau de Saint-Christophe-d’Arthabaska proviennent d’ailleurs de l’entreprise de récupération que tenait son beau-père bien avant l’avènement des fameux « 3RV » : réduction, réemploi, recyclage, valorisation.

Au cours d’un entretien téléphonique, l’architecte enchaîne les anecdotes sur les possibilités de réemploi qu’offrent les chantiers de construction, mais nombre de ces histoires se terminent dans un site d’enfouissement. Comme celle des sièges d’un centre sportif qu’il souhaitait récu­pérer pour une œuvre d’art. Au moment d’en prendre possession, il a appris que les strapontins avaient été jetés à la poubelle. Il évoque aussi les fenêtres en aluminium d’une école qu’il aurait bien vues dans un solarium, mais qui n’ont pas trouvé preneur.

« Tout est à faire, insiste-t-il. Et il faut développer la grappe du réemploi parce que le grand magasin planétaire est en train de s’épuiser. »

Manque d’information

Même si André Bourassa a à cœur de donner une nouvelle vie à des matériaux, encore faut-il que sa clientèle soit d’accord et que l’entreprise de construction retenue pour le projet colla­bore à la démarche. Or, il reste bien du travail à faire en ce sens, selon l’architecte Marilène Blain-Sabourin, qui a installé sa firme à Notre-Dame-des-Bois, en Estrie. « On rencontre beaucoup de résis­tance, confie-t-elle. Ce qu’on entend, c’est que c’est plus cher, plus compliqué et que ça prend plus de temps. Les clients ne sont pas nécessairement prêts à payer pour cela. »

À moins, bien sûr, que les composantes à réutiliser se trouvent déjà sur le chantier. Dans des projets de rénovation résidentielle qu’elle a pilotés, l’architecte est parvenue à remployer des briques, recueillies après la création de nouvelles ouvertures dans des murs extérieurs, de même que des lattes de plancher, récu­pérées après le déplacement d’un escalier.

Peu de fournisseurs organisés

Mais s’il faut se procurer les matériaux usagés à l’extérieur du chantier, la démarche est généralement laborieuse. Quelques dizaines de détaillants en vendent au Québec, d’après le portail Web RénoCyclage, qui les recense. Toutefois, la plupart ne publient pas leur inventaire en ligne, ce qui complique les recherches. Qui plus est, les conditions dans lesquelles ces matériaux sont conservés peuvent compromettre leur qualité – notamment si l’entrepôt est hu­mide et mal chauffé – et, par conséquent, empêcher leur réutilisation.

« C’est un métier en soi de récupérer des matériaux, de les entreposer et de les classer comme il le faut », dit André Bourassa.

Des flous réglementaires

Si des matériaux ayant déjà servi sont ajoutés à des projets d’architecture, leur usage doit être encadré.

« Il n’est pas interdit [d’en utiliser], mais ils doivent répondre à certaines exigences en termes d’efficacité énergé­tique, de résistance au feu et de standard de qualité », explique le porte-parole de la Régie du bâtiment du Québec (RBQ), Sylvain Lamothe.

Une fenêtre fabriquée dans les années 1980 ne possède pas la même performance d’isolation thermique qu’une fenêtre manufacturée en 2022, illustre-t-il. Il précise cependant que le réemploi d’une porte intérieure n’occasionne pas ce problè­me dans un projet résidentiel, dans la mesure où elle satisfait les exigences du Code de construction.

Cela dit, si on souhaite que le bâti­ment soit couvert par la Garantie de construction résidentielle (GCR), mieux vaut jouer de prudence, parce que s’il comprend « une forte proportion de matériaux recyclés usagés », il ne respecte pas les critères d’admissibilité, signale Jean-Sébastien Lapointe, porte-parole de l’organisme à but non lucratif qui administre ce plan de protection.

Quel pourcentage de composants réutilisés faut-il éviter de dépasser pour que la propriété soit protégée par la GCR ? Impossible de le savoir pour le moment. « Il y a peu ou pas de jurisprudence en la matière », indique Jean-Sébastien Lapointe.

Et l’architecte qui a opté pour le réemploi pourra-t-il se prévaloir d’une certaine protection en cas de problème ? La police d’assurance offerte par le Fonds de la responsabilité professionnelle de l’OAQ n’exclut pas la possibilité de recourir à des matériaux usagés. « Il revient à chaque professionnel de juger si le projet s’y prête et de prendre les précautions nécessaires, indique par courriel la Direction du fonds d’assurance de l’OAQ. L’architecte devrait le faire avec le consentement de son client, tout en lui faisant part des risques associés à l’utilisation de matériaux de cette nature. »

Volonté politique

Enfin, tant les municipalités que le gouvernement du Québec doivent agir pour développer l’économie circulaire dans l’industrie de la construction, estime André Bourassa. Pour l’ancien président de l’OAQ, il est nécessaire de taxer forte­ment l’enfouissement et de subven­tionner la filière du réemploi. « S’il y avait une volonté politique, ça bougerait vite. »

Valoriser le gypse, ce mal-aimé

Le gypse offre plusieurs possibilités de valorisation, mais il se retrouve la plupart du temps dans les sites d’enfouissement. Survol des écueils actuels et des pistes pour les contourner.

Pas moins de 132 000 tonnes de gypse provenant surtout des plaques ou panneaux utilisés en construction ont atterri dans les dépotoirs en 2019, d’après des données de Recyc-Québec. Lorsqu’il est enfoui, ce matériau dégage des émanations de sulfure d’hydrogène nauséabondes et toxiques, raison pour laquelle certains sites d’enfouissement le refusent.

La valorisation du gypse comporte cependant de nombreux défis, selon une étude de la firme Deloitte publiée en 2018. La rareté du tri à la source (avec pour conséquence une contamination fréquente des résidus), la faible valeur de revente, les coûts de transport de même que le manque d’équipement dans les centres de tri pour traiter ce matériau friable contribuent à rendre l’enfouissement plus attrayant.

Un matériau recyclable

Pourtant, le gypse peut être recyclé. Recyc-Québec rapporte que 6000 tonnes de gypse ont pu être revalorisées en 2018 après avoir été acheminées dans l’un des 37 centres de tri sondés pour le bilan annuel de l’organisme. Cette matière est par exemple ajoutée dans les procédés des cimenteries comme agent retardateur à la prise du ciment. En agriculture, on peut l’épandre pour rehausser l’apport du sol en calcium et en soufre. Elle peut également servir à produire de nouveaux panneaux de construction.

Pour augmenter la proportion de gypse revalorisé au Québec, il faut sensibiliser le milieu de la construction et la population en général, souligne l’étude de Deloitte. Des interventions gouvernementales pourraient aussi être utiles, par exemple une hausse des taxes à l’enfouissement et la mise en place de subventions pour mieux soutenir ce secteur.

Le rôle du gouvernement

Le Regroupement des récupérateurs et des recycleurs de matériaux de construction et de démolition du Québec, 3R MCDQ, recommande pour sa part la création d’un programme de responsabilité élargie des producteurs (REP) qui obligerait ces derniers à gérer leur produit à la fin de sa vie utile.

Le Bureau d’audience publique en environnement est aussi d’avis que des mesures réglementaires sont nécessaires pour encourager la valorisation du gypse. Dans son rapport L’état des lieux et la gestion des résidus ultimes, publié en janvier dernier, ses commissaires évoquent l’interdiction de l’enfouissement, l’obligation du tri à la source et un programme de REP.

Le cabinet du ministre de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques, Benoit Charette, indique pour sa part par courriel que le ministère et Recyc-Québec mènent actuellement des travaux afin d’augmenter les redevances à l’élimination des déchets de construction, de rénovation et de démo­lition, d’améliorer les équipements des centres de tri qui doivent les gérer et de trouver de nouveaux débouchés pour réutiliser ces matériaux.