Après s’être adaptées au télétravail généralisé qu’a imposé la pandémie de COVID-19, les firmes d’architecture tentent maintenant d’établir de nouvelles modalités pour le retour au bureau. Les gestionnaires cherchent un juste milieu entre les désirs de flexibilité des architectes et les besoins de l’entreprise.
NDLR: Les entrevues de cet article ont été menées en août et septembre 2021; la situation pourrait avoir changé depuis.
Un sondage interne effectué cet été par le cabinet Provencher_Roy montrait que la majorité de l’équipe souhaite à l’avenir travailler deux ou trois jours au bureau et le reste du temps à la maison, sans se voir imposer d’horaire obligatoire.
Cette formule hybride suscite cependant des interrogations au sein des équipes de direction. « Nous ressentons plusieurs inquiétudes quant à l’impact sur la synergie, les transferts d’information, la formation des jeunes, la capacité à tisser des liens par relations informelles et à maintenir notre culture organisationnelle », résume Mélissa Bélanger, architecte associée chez Provencher_Roy.
Pour les firmes, les premiers défis sont d’ordre pratique. « Les cabinets doivent multiplier par deux les équipements informatiques des équipes afin que le personnel soit aussi bien outillé à la maison qu’au bureau », illustre Anik Shooner, architecte et associée principale de Menkès Shooner Dagenais LeTourneux (MSDL). « Les locaux des firmes d’architectes sont par ailleurs souvent des aires ouvertes, donc si tout le monde se met à y tenir des réunions hybrides avec de la visioconférence, la cacophonie rendra le travail impossible. »
L’architecte se demande d’ailleurs comment elle pourra convaincre ses troupes de se rendre au bureau dans un contexte où la plupart des réunions se tiennent toujours en mode virtuel. Tant qu’à y être, croient plusieurs, aussi bien travailler de chez soi !
L’équipe éparpillée
Les gestionnaires des firmes d’architecture s’inquiètent également de l’impact du travail hybride sur l’encadrement et l’ambiance du travail. « Auparavant, une réunion de remue-méninges rassemblait plusieurs personnes autour d’une table et c’était très dynamique, tout le monde participait, les idées fusaient, on dessinait sur toutes sortes de supports, rappelle Vincent Hauspy, designer associé
chez Provencher_Roy. En ligne ou en mode hybride, ce n’est pas du tout la même énergie. Les échanges manquent de spontanéité. »
Il ajoute que la présence au bureau crée une synergie naturelle en mêlant les plus jeunes et les plus vieux, les architectes avec les technologues et les designers. En formule hybride, le personnel se scinde en plus petites équipes liées chacune à un projet, constate-t-il. Le côtoiement informel disparaît.
De son côté, Sylvain Morrier, architecte et associé principal chez Jodoin Lamarre Pratte, souhaite ardemment un retour complet au bureau. « Nous menons de gros projets, souvent avec des équipes de plus de 20 personnes, explique-t-il. Les rencontres hybrides et le télétravail s’y prêtent mal. »
Il note aussi les difficultés que posent la supervision et l’évaluation à distance des membres de l’équipe. « Nous ne les voyons plus travailler, donc nous devons les évaluer davantage d’après leurs résultats, l’atteinte de leurs objectifs et le respect de leurs échéanciers », indique-t-il.
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Génération sacrifiée ?
Les quatre gestionnaires avec qui nous nous sommes entretenu ont embauché pendant la pandémie, mais ont à peine vu leurs recrues en personne. « Nous avons recruté cinq personnes et nous avons tenu à réaliser une entrevue au bureau, raconte Sylvain Morrier. Ensuite, les gens sont venus chercher du matériel, mais ils ont travaillé de la maison. Pas facile de réussir leur intégration dans ces conditions. »
C’est particulièrement ardu dans le cas de l’intégration des stagiaires et des jeunes; un constat similaire dans les quatre firmes. « L’encadrement des jeunes membres de l’équipe a été beaucoup plus exigeant et moins efficace en télétravail qu’en personne », déplore l’architecte Victor Marques, associé directeur principal et chef des opérations du cabinet NFOE, qui a recruté une quinzaine de personnes depuis mars 2020.
« Les jeunes apprennent beaucoup moins en télétravail et en mode hybride, confirme Anik Shooner. Ils n’entendent pas les conversations au quotidien dans le bureau, ne voient plus comment les personnes plus expérimentées règlent certains problèmes et ne peuvent pas aussi facilement poser des questions. »
En quête d’équilibre
Au début de septembre, le gouvernement québécois recommandait toujours de donner préséance au télétravail. Mais lorsque cette entrave sera levée, les gestionnaires devront trancher. Mélissa Bélanger résume bien leur dilemme : « Nous cherchons un équilibre entre les désirs du personnel et les besoins de l’entreprise, dans un marché qui favorise les travailleurs et travailleuses en raison de la rareté de la main-d’œuvre. »
Aucune des quatre firmes interrogées n’avait arrêté sa réflexion au début de septembre, mais elles souhaitaient toutes encadrer le travail hybride. Elles songeaient à offrir de la flexibilité en fonction du type de projet ou de tâche, ou à imposer au moins une journée de présence au bureau dans la semaine, la même pour l’ensemble du personnel.
« L’architecture reste un travail d’équipe, et c’est important de sentir qu’on est un groupe de 125 personnes qui poussent dans la même direction », conclut Anik Shooner.