Photo : BillionPhotos.com, Adobe Stock

La modification unilatérale d’un contrat de services professionnels par le client ou la cliente ne peut se faire en toute impunité si elle a pour effet de dénaturer fondamen­talement le mandat octroyé. Ce genre de comportement peut notamment être qualifié d’abus de droit et donner lieu à une compensation. C’est ce qu’a conclu la Cour supérieure dans une affaire récente concernant la construction d’un nouvel hôpital. Le donneur d’ouvrage s’est vu condamné à verser des dommages-intérêts de plus de 12 M$ à des consortiums. De plus, la Cour a conclu que le donneur d’ouvrage a fait preuve de mauvaise foi institutionnelle dans sa conduite.

Les faits pertinents

Cette affaire débute par l’appel d’offres lancé par le donneur d’ouvrage pour sélectionner des équipes de professionnelles et professionnels. Des firmes d’architectes forment alors un consortium afin de présenter une offre de services. 

Les documents d’appel d’offres prévoient que les équipes sélectionnées auront à la fois le mandat d’élaborer le concept général pour l’ensemble du nouvel établissement ainsi que celui de préparer les plans et devis préliminaires afin de préciser le concept retenu. L’appel d’offres mentionne également que ces équipes participeront à l’établissement d’un budget convenu avec le donneur d’ouvrage pour la réalisation du projet, et ce, peu importe le mode de réalisation ultimement retenu – conventionnel avec un contrat d’entreprise à forfait ou partenariat public-privé.

Le consortium qui remporte l’appel d’offres signe quelques mois plus tard la convention de services professionnels. Le donneur d’ouvrage décrète ensuite que le projet sera réalisé en partenariat public-privé. Peu de temps après, il modifie la convention de services en retirant notamment au consortium le mandat de conception générale et de préparation des plans et devis préliminaires. Le rôle des professionnels et professionnelles est alors réduit à celui d’accompagnement, ce qui a pour effet de réduire de 71 % les prestations contractuelles des architectes.

Le consortium intente alors un recours judiciaire en prétendant, entre autres, que le donneur d’ouvrage a violé son droit contractuel en se livrant à une application déraisonnable, excessive et abusive de la clause de modification prévue à la convention de services. Il réclame des dommages-intérêts afin d’être compensé pour le préjudice résultant du non-respect des modalités prévues aux conventions. Pour sa part, le donneur d’ouvrage prétend que la clause de modification incluse dans la convention lui permettait d’agir comme il l’a fait.

Le jugement

Le tribunal souligne que la convention de services constitue un contrat d’adhésion et qu’elle doit être interprétée en faveur des professionnelles et professionnels. Il ajoute que les usages enseignent qu’une telle clause permet d’apporter des modifi­cations à un contrat, mais n’autorise pas pour autant des changements qui affectent fondamentalement la portée générale du contrat. 

Le tribunal réfère également à la définition de « changement » prévue au contrat, qui se lit comme suit : « Augmentation, suppression ou toutes autres révisions qui modifient sans affecter fondamentalement la portée générale du contrat […] ». Il conclut alors que cette clause limite toute modification à un changement de nature secondaire. 

Le donneur d’ouvrage ne pouvait imposer au consor­tium de signer des contrats radicalement différents, tout en conservant les clauses qui lui étaient favorables.

Le tribunal se prononce alors sur la prétention du consortium suivant laquelle le donneur d’ouvrage, en modifiant fondamentalement la con­vention de service, a appliqué abusive­ment la clause de modification, tout en violant son obligation d’agir de bonne foi.

Le tribunal établit que l’abus de droit découle notamment de l’exercice déraisonnable et excessif d’un droit et est étroitement lié à l’obligation d’agir de bonne foi. L’abus de droit qui résulte de l’utilisation abusive d’une clause peut émaner d’un changement contractuel imposé d’une ampleur telle qu’il désavantage l’autre partie au point de dénaturer ou de transformer le contrat, rompant ainsi l’équilibre contractuel. 

Suivant l’étude de la jurisprudence, le tribunal précise qu’une modification unilatérale de l’ordre de 15 % à 20 % n’est pas nécessairement abusive, mais qu’au-delà de ce seuil, les tribunaux considèrent généralement que le changement unilatéral dénature ou transforme le contrat puisqu’il fait alors fi du consen­tement accordé par le cocontractant.

Le tribunal est d’avis que le donneur d’ouvrage ne pouvait imposer au consor­tium de signer des contrats radicalement différents, tout en conservant les clauses qui lui étaient favorables, notamment en ce qui concerne le taux horaire réglementaire et une clause d’exclusivité. 

Conclusion

En somme, le tribunal conclut que les modifications effectuées sont abusives et désavantagent les professionnels et professionnelles de façon excessive et déraisonnable, allant ainsi à l’encontre de la bonne foi. Cette application démesurée de la clause de modification était tellement éloignée des obligations essentielles prévues aux conventions de services qu’elle les a dénaturées. Le tribunal arrive même à la conclusion que cela constitue de la mauvaise foi institutionnelle de la part du donneur d’ouvrage.

Avant d’accepter une demande de modification proposée par un donneur d’ouvrage, consultez un conseiller ou une conseillère juridique. ●