Photo : fizkes, Adobe Stock

Interrompre ses services en cours de mandat place toujours l’architecte dans une position délicate. Il lui faut invoquer des motifs raisonnables et procéder avec tact, en respectant plusieurs obligations déontologiques.

En 2019, l’architecte montréalaise Karine Dallaire a décidé de mettre fin à son contrat dans le cadre d’un projet de réfection d’un immeuble d’appartements en copropriété. « L’édifice se trouvait en assez mauvais état et exigeait des rénovations majeures, raconte-t-elle. De plus, la façade présentait des risques pour la sécurité des passants. Or, je sentais que le client ne me croyait pas. Il disait que j’exagérais. Le lien de confiance s’effritait. Je ne souhaitais plus être associée à ce projet. »

Consciente de se trouver dans une situation épineuse, elle s’est tournée vers le Fonds des architectes (devenu la direction du fonds d’assurance de l’OAQ en avril 2020), qui l’a dirigée vers un avocat. Ce dernier lui a conseillé de rompre le contrat et lui a fourni un modèle de lettre à envoyer au client. Elle a donc rédigé une missive dans laquelle elle énumérait les motifs de la résiliation. S’est ensuivie une courte négociation pour régler le paiement final qui lui était dû. « Je n’ai jamais regretté ma décision », confie-t-elle.

Obtenir des conseils

L’architecte risque de se mordre les doigts d’avoir mené une résiliation maladroi­tement. Me Marie-Pierre Bédard, directrice du service des sinistres à la direction du fonds d’assurance de l’OAQ, rappelle que, contrairement à une résiliation de contrat par le client ou la cliente, la résiliation par l’architecte constitue une décision d’affaires qui ne vient pas avec une protection d’assurance. « Si un client alléguait avoir subi des dommages découlant de cette seule résiliation, aucune couverture ne serait offerte à l’architecte, explique-t-elle. Il est donc primordial de consulter la direction du fonds d’assurance avant de procéder. »

La direction du fonds d’assurance agit principalement en conseillant les architectes par l’entremise de son service Info-Fonds. « Une intervention en amont permet de prévenir les situations délicates pouvant résulter d’une résiliation de contrat », estime MBédard.

Elle précise que si les risques sont moindres quand la résiliation survient d’un commun accord, l’architecte a tout de même avantage à consulter la direction du fonds dans ces circonstances, par mesure de précaution. 

Des architectes contactent plutôt l’Association des architectes en pratique privée du Québec (AAPPQ). « Les deux problèmes que l’on nous rapporte le plus souvent sont des cas où le client ne paie pas et des projets qui deviennent ingérables, par exemple en raison de délais indus, de clients qui tergiversent trop ou de rupture du lien de confiance », résume Julien Serra, directeur des communications de l’AAPPQ. L’Association ne donne pas de conseils juridiques, mais peut aider l’architecte à évaluer si la situation justifie l’interruption de services.

Une raison valable

Dans ces situations, l’architecte doit d’abord s’assurer de la validité du motif de l’interruption de ses services. L’article 2125 du Code civil permet au client ou à la cliente de mettre fin à un contrat en tout temps, même si la réalisation de l’ouvrage ou la prestation de services a déjà débuté. De son côté, l’architecte doit s’en tenir à des raisons justes et raisonnables comme celles qui sont évoquées à l’article 25 de son Code de déontologie (voir tableau 1, ci-dessous).

Le contrat type proposé par l’AAPPQ décrit explicitement, au point 6.3, le droit de l’architecte de mettre fin à sa prestation de services si ses honoraires restent impayés 60 jours après la facturation. La partie 10 encadre quant à elle la résilia­tion du contrat, sur présentation d’un préavis d’au moins sept jours, ainsi que l’établissement de la rémunération de l’architecte et des frais de résiliation. Enfin, la partie 11 insiste sur la responsabilité qu’ont les deux parties de favoriser une résolution des différends plutôt que d’en arriver au point de rupture.

Séparation à l’amiable

« L’interruption doit demeurer une solution de dernier recours, avertit Marie-Joëlle Larin-Lampron, architecte et inspectrice à l’OAQ. L’architecte a l’obligation de fournir ses services selon les conditions stipulées au contrat et de maintenir une bonne communication avec le client ou la cliente pour assurer la réussite du projet. »

Elle conseille donc aux architectes de prendre du recul et de s’interroger quant aux motifs qui les amènent à envisager une résiliation et aux impacts d’une telle décision sur le client ou la cliente. « L’architecte ne doit pas lui causer de préjudice », résume l’inspectrice (voir tableau 2, ci-dessous).

Pour Sophie Lamothe, architecte au cabinet A4 Architecture Design, à Gatineau, le plus important reste d’ailleurs de faire de la prévention. « Nous sommes très attentifs à certains éléments lors des négociations de contrat et nous n’hésitons pas à refuser un projet si le client se montre dès le départ impatient, s’il n’arrive pas à comprendre le rôle et les obligations d’un architecte ou s’il est très agressif pour faire baisser le prix », précise-t-elle.

Esquisses a d’ailleurs publié un article intitulé « Nouveaux mandats : le test de la crédibilité » (vol. 31, no 3), qui donne des conseils pour entamer la relation d’affaires sur des bases solides ainsi que pour évaluer la faisabilité du projet.

Malgré toutes ces précautions, Sophie Lamothe se souvient de certaines situations où la relation s’est dégradée. Dans ces cas-là, elle invite la partie cliente à réfléchir de son côté à la pertinence de poursuivre la collaboration. « C’est beaucoup plus simple si le client demande lui-même de résilier le contrat », admet-elle.

Marie-Joëlle Larin-Lampron confirme que l’idéal est de tenter de se séparer d’un commun accord. Mais peu importe le cas de figure, la manière de procéder pour résilier un contrat reste extrêmement importante. 

L’architecte devrait d’abord demander l’avis de la direction du fonds d’assurance de l’OAQ pour obtenir un premier point de vue sur la situation et un appui juridique. 

Dans tous les cas de résiliation, l’architecte doit se référer à l’article 26 de son Code de déontologie. Il lui faut envoyer une lettre au client ou à la cliente qui explique le ou les motifs de la résiliation ainsi que ses modalités. Il lui faut aussi accompagner le client ou la cliente pour lui permettre de poursuivre son projet; lui expliquer les conséquences de l’interruption de services (des retards, par exemple); lui remettre un récapitulatif des prochaines étapes; lui recommander un ou une autre architecte et demeurer disponible pour assurer la transition. 

La démarche doit aussi prendre en compte l’état du marché de la construction. En effet, si les secteurs de la construction et de la rénovation surchauffent, le client ou la cliente pourrait avoir besoin de plus de temps pour remplacer l’architecte qui se désiste. 

De son côté, Julien Serra y va d’un dernier conseil, primordial : toujours conserver des traces de toutes les commu­nications avec les clients et clientes, dès les premières discussions. Si la relation tourne au vinaigre, ces informations pourront démontrer que l’architecte a agi de bonne foi.

Rappelons qu’une bonne manière d’éviter d’en arriver là est de bien évaluer le mandat avant d’offrir ses services et d’être muni d’un contrat en bonne et due forme. ●

Tableau 1

Exemples de raisons pouvant être invoquées par l’architecte pour résilier son contrat (selon l’article 25 du Code de déontologie)

RaisonsIllustrations
Le client ou la cliente a perdu confiance en l’architecte.Le client ou la cliente remet en doute les informations communiquées par l’architecte, ses propositions, ses compétences.
L’architecte est en situation de conflit d’intérêts ou dans une situation où son indépendance professionnelle peut être mise en doute.L’entrepreneur au dossier est le client de l’architecte dans un autre projet.
Le client ou la cliente incite l’architecte à accomplir des actes illégaux, injustes ou frauduleux.Le client ou la cliente incite à produire des plans qui ne respectent pas la réglementation ou refuse d’obtenir un permis de la Ville.
Le client ou la cliente refuse de payer ses honoraires. 
Le client ou la cliente trompe l’architecte ou refuse de collaborer avec l’architecte. Le client ou la cliente refuse de remplir ses obligations, de fournir les plans d’arpentage, de répondre aux courriels, s’absente des réunions, dissimule de l’information.

Tableau 2

Exemples de raisons ne pouvant pas être invoquées par l’architecte pour résilier un contrat

Insatisfaction quant au rythme d’avancement du projet.
Volonté d’entreprendre un autre mandat plus profitable (voir Code de déontologie, article 36 : l’architecte doit subordonner son intérêt à celui du client ou de la cliente).
Relation difficile avec le client ou la cliente (cela ne peut constituer en soi un motif de résiliation; selon l’article 25 du Code de déontologie, l’architecte doit démontrer une perte de confiance de sa part).

En résumé : les grandes étapes d’une interruption de services

1. S’interroger sur les raisons qui motivent ce souhait chez soi.

2. Vérifier s’il est possible d’interrompre les services d’un commun accord avec le client ou la cliente (si oui, passer à l’étape 4, sinon, passer à l’étape 3).

3. Vérifier, notamment, si le motif d’interruption est juste et raisonnable selon l’article 25 du Code de déontologie.

4. Obtenir les conseils de son assureur professionnel.

5. Envoyer un écrit confirmant ses intentions et l’archiver (article 26 du Code de déontologie).

6. Faire en sorte que l’interruption de services soit aussi peu préjudiciable que possible au client ou à la cliente (ex. : prévoir un délai raisonnable en fonction de la situation du marché de la construction; article 26 du Code de déontologie).

7.  Aider le client ou la cliente à trouver un ou une autre architecte (ex. : recommander un ou une collègue ou renvoyer au bottin de l’AAPPQ).

8.  Prélever les sommes dues.

9.  Assurer sa collaboration avec l’architecte qui prendra la relève.

Ressources

• « Résiliation de contrat », Esquisses, vol. 28, no 2, été 2017.

• « Les contrats de service », capsule vidéo dans l’Espace membre de l’OAQ.

• « Plan de continuité des affaires : Bien réagir en cas d’urgence », Esquisses, vol. 29, n4, hiver 2018-2019.

• « Nouveaux mandats : le test de la crédibilité », Esquisses, vol. 31, no 3, hiver 2020-2021.

• Manuel canadien de pratique de l’architecture, chapitre 3.8 (règlement des différends, recouvrement des honoraires, etc.).

Conciliation et arbitrage

En cas de mésentente concernant un compte d’honoraires, la partie cliente peut faire appel au service de conciliation de compte de l’OAQ. Si cette démarche échoue, il est aussi possible de recourir à l’arbitrage, également offert par l’Ordre.